La meilleure amie

Publié le 29 Août 2006

 

 

 

 

La surprise de l'amour

19/6/01

 

Elisabeth Chaussau, ma vieille cops d’étude à l’ENS a toujours tenu une place à part dans mon cercle très étroit d’amis. Je ne pense pas avoir eu plus fort attrait et complicité avec une autre personne de sexe opposé.

Belle (de la classe), brillante (mais pas trop, du genre à vous écraser), secrète (ça stimule l’imagination), une sensibilité aux choses à bien des égards très proche de la mienne, un frère homosexuel (sur lequel j’ai longtemps fantasmé jusqu’à ce que je le rencontre), disponible et a priori sans grand expérience sexuelle.

Je ne pouvais alors manquer de me laisser entraîner dans la chimère d’avoir trouvé la femme avec qui l’aventure conjugale devenait envisageable.

 Après quelques tentatives maladroites de flirt puis la révélation de mon homosexualité, notre amitié s’en était d’abord trouvée renforcée, nous pouvions par exemple désormais parler « comme deux copines » de nos déconvenues successives concernant nos visées sur Cédric : « Tu as vu ses mains ?… Son sexe ?… Différent de ses copains de … Homo ? » « Cela me paraît probable » avais je affirmé. Elise était sceptique.

Élisabeth avait sportivement accueilli Gabriel quand il fit irruption dans ma vie : mémorables séances photos et de « brain-storming » à Longeville pour faire l’invitation pour la location dans le Lubéron… (« Les enfants du regain » et leur gourou « Baschkiri »).  Pourtant ma félicité (ma meilleure amie aimait mon amant) n’allait pas durer longtemps, assez rapidement Elise s’est faite plus distante, plus inaccessible.

J’ai cependant conçu assez vite qu’il pouvait être salutaire pour elle de prendre du champ vis à vis de nous, au mieux parce qu’elle avait nourri pour moi d’autres projets que celui que je lui laissais et que donc ma nouvelle vie pouvait être source d’un malaise, d’une souffrance, au pire parce que de manière raisonnable, ce n’est pas en étant « un fille à pédé » qu’on trouve un mec. D’un autre côté, Elise m’avait habitué à des relations discontinues, cela faisait partie de notre histoire et de ses secrets. Je me souviens à cet égard combien j’avais pu être frustré de passer la plupart de mes WE sur le campus sans projet possible avec elle pendant que Mademoiselle vivait sa vie avec son réseau relationnel parisien.

C’était par conséquent de plus en plus moi qui la contactais et ce, de manière de plus en plus espacée, le plus souvent par carte postale à l’occasion d’un voyage.

Bien qu’elle eut manifesté ponctuellement (vœux de nouvel an) le désir de nous voir davantage, nous continuions ponctuellement à ne pas trouver le moyen de nous voir ou de mal nous rencontrer : le film coincé dans 2H30 de disponibilité constituait un alibi commode à peu se raconter même si le contact se renouait sans difficulté.

La naissance d’Angela, sa fille, le lien non rompu par des connaissances communes (Sophie et Céline amies de Pucci, père biologique de sa fille et vieux copain de Gabriel), nous ont fait nous retrouver en ce début d’année.

En quelques mois Elise a perdu successivement son grand-père et la grand-mère qui lui était si chère, entre temps sa fille était née avec une relation difficile à mettre en place avec le père de sa fille, celle de « parents divorcés avant de s’être mariés », elle m’a dit avoir « craqué » quelques temps.

Lundi dernier, après avoir décliné le projet d’aller voir « la chambre du fils » de Nanni Moretti pour cause de trop grande fatigue, elle a insisté pour venir malgré tout me voir afin de ne pas remettre aux calendes grecques cette rencontre.

J’ai retrouvé une complicité que je n’avais pas connue avec elle depuis longtemps sûrement grâce à une lucidité et une franchise que je ne lui connaissais pas. Par exemple, elle m’a dit avoir entamé un travail avec un psy qui lui avait fait le plus grand bien et qui l’avait notamment décidé à avoir Angela, elle suivait ainsi son frère qui l’avait précédé dans cette démarche et qui s’en trouvait également changé. Même si ce dernier n’a pas encore trouvé l’âme sœur, il a mis la pédale douce sur le travail, s’est remis à lire, fait de l’aviron sur la Marne et roule en scooter.

Nous avons continué la conversation de salon au « St Malo », elle devant un jus de tomate, moi devant une mauresque. J’y ai appris que Elise était poursuivie des assiduités du premier mec de Véro, bel homme à femme qui s’est récemment fait larguer. Pour l’heure, leur relation est platonique. Inquiétude d'Élise qui le prendrait bien dans son lit de temps en temps sans pour autant imaginer avec lui un seul instant « l’histoire simple » qu’elle désire désormais. Je lui parle de ma sœur et de ses besoins de se sentir une femme désirable ainsi que de ses rencontres sexuelles épisodiques avec Thierry.

La séduisante et énergique Véro, que j’avais également rencontré à République alors qu’elle se rendait chez son psy, après s’être faite larguer deux fois, est maintenant l’amante de Pouchelon, l’ex amant de Martine, laquelle est désormais l’amante de son psy. Tout cela frise la consanguinité. « Une vraie partouze, tout le monde a couché avec tout le monde » aurait dit Gabriel en faisant référence à un autre groupe.

 

 

 

« Au fait, tu avais raison…» a enchaîné Elise  « …tu sais la conversation que nous avions eu sur Cédric ? » (…)

Elle a eu l’occasion de discuter avec lui au baptême de sa nièce. Son frère et son amant platonique étaient de la conversation. Il devait être question de la difficulté de trouver l’âme sœur. Cédric y a pris activement part avec une pudeur qui est si peu courante de nos jours, non toutefois sans commettre un ou deux lapsus révélateurs.  Tous furent frappés par le décalage entre son très rural accent normand, son langage châtié, la finesse et la sensibilité de ses réflexions. Le Cédric que j’ai connu, quoi ! Une certaine difficulté de vivre heureux sur le plan affectif  transpirait de son propos pourtant retenu.

C’était celui d’un garçon qui a un appartement dans un village prés de Caen, que personne à Longeville qu’il aime tant, n’a jamais vu, pas même sa mère qui est la seule personne à qui il a donné son numéro de téléphone là-bas. Un garçon qui porte un lourd secret indicible même à ceux auxquels il est si attaché. Enfin, un garçon, un homme maintenant, puisqu’il doit désormais avoir pas loin de 35 ans.

J’ai deux souvenirs assez nets le concernant. Cédric que je surprends nu dans la salle de bain dans notre appart de Val d’Isère. Splendide. Je m’excuse en refermant très lentement la porte pour profiter du spectacle, et lui qui me regarde avec un petit sourire équivoque. Mais aussi lors de notre dernier séjour en Autriche, Cédric qui me propose de partager la salle de bain pour libérer plus vite la douche et qui le soir même, l’alcool aidant n’a eu de cesse de dire qu’il voulait coucher avec moi… Je venais de rencontrer Gabriel mais je ne suis vraiment pas sûr que j’aurais dit non.

Lourd secret… J’imagine un instant ce que peut être sa vie dans ces conditions : relations sexuelles à la sauvette sur des lieux de dragues ? Amants d’un jour qu’il amène en catimini dans son appart ? Recherche  de plus jeunes qui le quittent assez vite ? 

Je pense aussi à une vie dangereuse de rapports sexuels sur lesquels plane la menace d’un virus. Je pense à la solitude qui accompagne une vie vécue dans la honte.

Je me demande aussi combien de sujets, de débats sur une homosexualité dédramatisée dans les médias, de films mettant en scène des personnages positifs d’homosexuels, de « coming out » et de Gay Pride il faudra encore pour que partout en France et dans tous les milieux, l’homosexualité ne soit plus ce « douloureux problème ».

 « Comment est-il ? A-t-il grossi ? » « Pas du tout, il s’est affiné, il est bel homme. » « Envoie le nous ! Il lui faut quitter sa cambrousse ! » « Non, il ne le fera jamais, il est très attaché à sa région. » Alors, ça me ferait plaisir de le revoir à Longeville, ce qui n’est peut-être pas impossible puisque Élise m’a lancé une invitation.

 

 

Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #les amis, #avec un grand A, #Fantasme

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