Un vieux rêve qui bouge (II)

Publié le 18 Août 2010

 

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Amélie Debray - L'esprit du sport

 

 

I’m very sorry. I don’t speak football.

 

 

Le meilleur moyen de lier avec des mecs, c’est de causer football. C’est encore plus vrai à l’étranger, loin de son propre pays. N’importe quel mâle, n’importe où, tentera, dès votre origine connue, de communiquer avec vous, en vous énumérant une liste de noms qui, à l’exception de quelques uns, vous sont parfaitement inconnus.

Chaque fois, j’enrage d’être aussi démuni de culture footballistique, de ne pas pouvoir rebondir, encore moins de réjouir mes interlocuteurs par ma connaissance de leurs héros nationaux dans ce sport, et de ne pouvoir ainsi faire durer un moment de connivence international, de sourires fiers et passionnés.

Durant ce séjour, j’ai crû m’en tirer un peu mieux de cette impossibilité en disant avec une mine de circonstance : « I don’t want to talk about the french team, I’m too depressed, too sad. »[1]. Avec Tandior, j’ai tenté la franchise : « I’m very sorry. I don’t speak football.”[2]

 

 

NGT / Enfants de tierce culture

 

[1] « Je ne veux pas parler de l’équipe de France. Je suis trop déprimé, trop triste. »

[2] « Je suis vraiment désolé. Je ne parle pas le football. »

 

 

 

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Insadrawings.blogspot.com

 

 

Vanité

 

 

De Khiva, ville musée à ciel ouvert joliment rénovée, je n’ai rien vu ou presque. Plus encore qu’à Tashkent, l’espace public est nickel malgré l’absence de poubelles, alors quand revinrent pour la 2e fois ce matin les spasmes annonciateurs du vomissement, j’ai rendu grâce à G. de m’avoir pourvu d’une poche en plastique, m’évitant ainsi la honte de saloper le pavement immaculé de la vieille ville.

J’avais oublié combien dégobiller était épuisant, a fortiori en plein cagnard.

La veille, je pérorais sur tous ces gens malades en voyage à force de craindre de l’être et de s’imposer des régimes alimentaires complètement déséquilibrés. J’avais vraiment perdu l’occasion de me taire, puisque j’ai passé la journée épuisé par la gerbe et la chiasse, le bide douloureux, un peu migraineux, à suer de fièvre...

 

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Frontière

 

Les montagnes étaient toutes proches lorsque le véhicule s’arrêta. Uktam nous dit que c’était la frontière. Le chauffeur déchargea les sacs car on devait franchir la frontière à pied. L’équipe tadjike nous récupèrerait de l’autre côté.

Au loin, se devinaient une barrière et un soldat en faction, plus loin les bâtiments du poste frontière ouzbèke. « On se croirait dans un film d’espionnage durant la Guerre froide, dit K., genre un échange d’espions sur un pont du Rideau de fer. ».

 

Trois candidats au passage, devant nous. « Ça va aller vite, en une heure, c’est bouclé – Ah bon, c’est combien de temps sinon ? Ça peut prendre jusqu’à trois heures. »

D’abord remplir de nouveau le formulaire en anglais de douanes, en deux exemplaires. C’était le même que celui qu’on avait renseigné à Tachkent. Petit stress soudain : pas envie de donner à nouveau le plaisir au douanier de m’imposer de recommencer cette tâche fastidieuse parce que j’avais fait une erreur, comme il m’arriva ainsi qu’à Gabriel, à Tachkent à 4 heures du matin.

Ouf, a priori, j’avais fait juste ! Sauf que ça n’avançait pas pour autant. Les « rentiers de l’Etat social » ne faisaient rien tandis que la salle se remplissait d’autres candidats au passage. Je m’enquis de la raison de ce temps suspendu : « Changement d’équipe. – Ah !? »

Les matériels de détecteur de métaux et de contrôle des bagages étaient hors-service, débranchés.

 

 

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Samarqand - Registon. 1932

 

 

Quand la queue fut jugée suffisamment longue, l’un après l’autre, on s’avança  pour deux contrôles successifs. Les deux fois, des informations étaient relevées à la main, probablement les mêmes.

Une petite marche de nouveau avant d’arriver à la barrière du poste tadjike, beaucoup plus modeste et franchement plus décontracté : on nous invita à entrer par quatre dans un cabanon pour remplir le formulaire de douanes qui était en russe. Bien qu’il fût affiché un exemple traduit en anglais, un douanier nous aida à le remplir. Présentation ensuite de notre passeport à un guichet à l’extérieur : le vieux feuilletait, un beau gosse très concentré copiait soigneusement à la main certaines informations.

50 mètres plus loin, le directeur de l’agence à Douchanbé, l’ex. Chef du KGB dans la capitale – nous a glissé Uktam – nous accueillait : « Bienvenue au Tadjikistan ! ».

 

Allez ! Il y a des passages de frontière définitivement plus pénibles : L’Ouzbékistan a fermé et miné sa frontière avec le Kirghizistan et le Tadjikistan, ce qui cause chaque année des centaines de victimes.

 

 

Tetu.com/ 7 ans de prison pour avoir fait de la prévention contre le sida

Amnesty.org/ Une artiste déclarée coupable de diffamation en Ouzbékistan

 

 

 

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Joli tadjik

(Tadjikistan, Fanskiye mounts)

 

Dans la grande pièce chaudement vêtue de tapis,

deux hommes scotchés par une chanteuse à l’allure de cagole,

qui, jamais ne pourra égaler la grâce du rossignol,

dépêché par Eros pour me filer le tournis.

D’une voix si cristalline qu’elle enfante le silence,

le bel oiseau chante une bien triste histoire :

un garçon arraché à son amour naissant,

comme d’un coup de pétoire,

se réveille marié,

« ainsi soit-il ! » Lui ont dit ses parents.

Le garçon à la voix d’or s’appelle Tandior,

Voix de Dior, voix de Dieu ?

Deux mulets, dix sept années.

 

- Un mariage. On attend les mariés.

En robe de tulle blanc, coiffée d’un diadème, on dirait une enfant. Elle tient la main de son mari, gamin poussé en graine guère plus âgé qu’elle. Tous les trois pas, elle s’incline comme une automate faisant un salut méthodique, sec, mécanique, cependant que son mari ponctue d’une petite courbette. On m’explique qu’ils remercient ainsi les invités de leur présence. On installe les jeunes époux à une table garnie de bouteilles et de gâteaux et la musique éclate, les invités se mettent à danser.

 

Vers Samarcande de Bernard Ollivier - Phébus 2001

 

 

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P.S. Tandior paraît plus vieux que l’âge qu’il dit avoir. En comparaison, mon neveu Maxime, fait encore un peu ado, y compris sur le plan physique. Tandior travaille dans un monde d’adultes et étudierait un peu, Maxime lui passe ses journées à s’ennuyer en classe, le cul sur une chaise.

 

Et toi, t’as une histoire à nous raconter ?

 

Un homme grimpe dans une voie difficile. Il fatigue et commet une faute. Le voilà qui dévisse de toute la longueur de sa corde pour se retrouver suspendu dans le vide, sonné. Il reprend un peu ses esprits et appelle d’une voix faible : « hé ho ! Y a quelqu’un ? » A sa grande surprise, une voix résonnante lui répond au-dessus de lui :

-         N’aie pas peur !

-         Qui êtes-vous ?

-          Je suis Dieu.

-          Pouvez-vous me sauver ?

-         Rien de plus simple, détache la corde et saute dans le vide, deux de mes anges te récupèreront dans ta chute.

-         Euh ! ... Y a pas quelqu’un d’autre ? » 

 

 

Ian Berry (Magnum) Turkmenistan 1996

 

 

Peuple libre

Samarcande - Ciel voilé, chaleur étouffante

 

 En remontant du Registon vers la statue d’Amir Timour, des gerbes d’eau jaillissent d’une fontaine, un garçon à la peau mate, non loin d’être pubère se rafraîchit, nu. Quelle liberté dans un pays où l’on est très pudique ! De toute évidence, il s’agit de tsiganes qui se tiennent à l’écart de la jeunesse en maillot se baignant un peu plus haut, dans l’immense fontaine transformée en piscine.

Ici, comme à Paris, ceux que l’on croise vivent de mendicité. Les femmes tendent la main en présentant de l’autre une cassolette fumante dans laquelle brûlent doucement des herbes odorantes.

Un de leurs garçonnets au regard sublime nous a tiré la manche chaque fois que nous sommes passés devant la mosquée de Bibi Khanum. Pourquoi diable lui ai-je refusé l’aumône ?

 

 

NGT / Minorité des minorités

 

 

tadjilistanfanskyelacAlaoudine

 

 

La mésaventure d’un professeur de littérature

 

-         L’agence m’a appelé, ils avaient besoin d’urgence d’un interprète. Si j’avais su que c’était aussi dur la randonnée, j’aurais dit non.

-         C’est bien payé ?

-         Même pas ! Moins que la traduction. Si j’avais su... Ah non, plus jamais !

 

L’homme qui nous raconta en rigolant sa mésaventure, la clope au bec, est professeur de littérature française à l’université de Douchanbé. Il a traduit en tadjik des livres de Victor Hugo (Quatre-vingt-treize), Maupassant et même d’Anne Gavalda (Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part).

Quand l’un d’entre nous lui a demandé combien d’étudiants étaient inscrits à ses cours, il n’a parlé que d’un seul. Cet homme est non seulement sympathique mais rare.

 

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Inversion

Dans les champs de coton, la fleur mâle s’habille de rose, la femelle de blanc.

 

 

 

Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #touriste, #forme brève, #mâlitude,, #rire

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