Publié le 2 Mars 2024

 

Mária Švarbová, Girl Power, 2018- 2019
Mária Švarbová, Girl Power, 2018- 2019

 

Ma jeune collègue de lettres vient d’accoucher d’une fille portant un de ces prénoms exotiques que je ne connaissais pas, qui fera de sa descendante une personne unique, ou pas loin de l’être au milieu de 8 milliards de congénères. Quand il m’a fallu mettre un mot sur la carte accompagnant un cadeau collectif pour la nouvelle née, une seule formule m’est venue, comme une évidence : « merci à toi et au père d’avoir contribué au « réarmement démographique de la France», celle utilisée par le PR lors de sa conférence de presse du 16 janvier 2024.

Quelle mouche a donc piqué le Macron, premier président sans enfant, que de s’aventurer sur ce terrain, de surcroît en utilisant cette formule digne d’un dictateur belliqueux, à l’instar de Poutine hanté par l’obsession nataliste ou du despote nord-coréen Kim Jong-un, qui récemment implorait en larmes les coréennes d’avoir plus d’enfants ! Chacun sa technique, Macron lui a un plan de bataille contre la baisse de la natalité : il faut s’attaquer à la baisse de la fertilité et adapter le congé parental existant.

En ce qui concerne la fertilité, il n’est pas nécessaire d’être démographe ou gynécologue pour deviner que plus est repoussé le premier enfant dans la vie d’une femme, plus augmente le risque d’avoir un problème de fertilité féminine (actuellement l’âge moyen des françaises ayant leur premier enfant est estimé à 31 ans, il était de 29 ans en 2019 et de 24 ans en 1974ma mère m’a eu à 23 ans). Quant aux pères, ils ont leur premier enfant en moyenne à 31 ans, et cela depuis depuis près de 250 000 ans, si l’on en croît des chercheurs américains. La stricte égalité d’âge du premier enfant entre les deux sexes dans laquelle on se trouverait, se paye d’une baisse de la fertilité et de la natalité, puisque les femmes subissent l’inégalité de « l’horloge biologique ».

Du côté de la fertilité masculine, depuis une vingtaine d’années, on s’inquiète de la baisse de la concentration en spermatozoïdes dans le sperme des hommes, qui aurait été divisée par deux en 45 ans. Déjà en 2007, je relevais dans un article du Monde 2, que notre sperme ne contenait « plus que 50 millions de spermatozoïdes par millilitre », 16 ans plus tard, une nouvelle mesure indique 49 millions  en moyenne. Faut-il s’en alarmer ? Rien n’est moins sûr,  tous les scientifiques ne tirent pas la sonnette d’alarme : la qualité du sperme baisse surtout avec l’âge, il suffit donc de ne pas attendre cinquante berges pour procréer. Ainsi, l’idée présidentielle de soumettre tout jeune de 25 ans à une vérification de fertilité apparaît non seulement dispendieuse mais aussi à côté de la plaque.

Une chose est sûre : l’exception démographique française semble avoir vécu : la France rejoint à grands pas les rangs de la plupart de ses voisins avec un indicateur conjoncturel de fécondité tombé à 1,68 enfant par femme (1,84 en 2021 contre plus de 2 en 2008), sachant que déjà en 2008, les femmes françaises avaient leur premier enfant tardivement, un peu avant 30 ans mais qu’elles avaient ensuite un 2e après 30 ans, à la différences de leurs voisines. Autrement dit, quelque chose serait bien en train de changer.

 

Couilles contemporaines Yann Marguet "Vivement qu'on crève" dans "Quotidien" sur TMC
Couilles contemporaines Yann Marguet "Vivement qu'on crève" dans "Quotidien" sur TMC

 

Plusieurs causes pourraient expliquer la baisse de la fécondité ces dernières années, ainsi que l’écart entre le nombre d’enfants par femme constaté et "le nombre idéal moyen d’enfants souhaité dans l’ensemble de la population (qui) est (de) 2,27", estimé par une étude commandité par l’Union nationale des familles (Unaf) en 2023.

La baisse du pouvoir d’achat et la crise du logement dans les grandes villes jouent probablement un rôle. L’insuffisance des politiques publiques visant à faciliter l’articulation vie professionnelle et familiale, ou à réduire la fameuse « charge mentale » des mères aussi (concept psychologique incompréhensible pour la mienne, qui fille unique, dit s’être emmerdée comme un rat mort durant son enfance, et a ainsi élevé avec bonheur 6 enfants, tout en étant enseignante).

De plus, les femmes, qui sont les grandes gagnantes de la démocratisation de l’école et de l’enseignement supérieur, ont la liberté désormais de privilégier leur vie professionnelle et personnelle sur celle de fonder une famille de 2 ou 3 enfants, qui est ainsi de moins en moins l’étalon d’une vie réussie de femme. En effet, une étude fait état que près d’un tiers des Françaises entre 18 et 49 ans ne désirent pas d'enfant, « une volonté expliquée notamment par les avancées féministes et les enjeux environnementaux », cette dernière raison constituant « l’argument massue, (...), même pour celles et ceux qui ne veulent pas d’enfant pour d’autres raisons », selon le démographe Didier Breton.

 

Burne-Jones Edward -The Mirror of Venus -1875 - fondation Gulbenkian Lisboa
Burne-Jones Edward -The Mirror of Venus -1875 - fondation Gulbenkian Lisboa

 

Mais alors, qui va payer ma retraite et mon hôpital ? Se demandent inquiets ceux dont l’échéance se rapproche. Pas de panique ! Nous rappelle Hervé le Bras, directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) et chercheur émérite à l’Institut National d'Études Démographiques (INED), “Il n’y a aucune urgence démographique à l’heure actuelle, car la baisse de la natalité que l’on constate depuis quelques années ne compromettra les politiques de santé ou d’emploi que dans vingt ou vingt-cinq ans, lorsque les générations qui naissent aujourd’hui entreront sur le marché de l’emploi. Il y aura alors moins d’actifs pour cotiser aux retraites, à l'assurance-maladie, etc.” Sans compter que cette analyse ne tient pas dans monde ouvert de mouvements migratoires massifs qui arrivent dans notre pays, à l’âge d’avoir un projet d’enfants (oui, je sais, ça peut apporter aussi son lot d’autres problèmes).

Macron sait tout ça, aussi il est difficile de voir dans son « réarmement démographique » autre chose qu’un clin d’oeil appuyé à l’extrême droite, obsédée par «le grand remplacement ». Comme le résume si bien le nounours Yann Marguet dans Quotidien sur TMC  : « Manu et ses potes du RN seront devant un choix cornélien pour un cerveau de droite : régulariser des étrangers pour qu’ils rajeunissent la Nation, ou accepter de vivre dans un pays qui ressemble de plus en plus à un EHPAD ; le grand remplacement ou le grand vieillissement. »

 

Yann Marguet : c'est officiel, le vieux continent est incontinent

 

Moins d’un mois après l’annonce de Macron, une étude de l’IFOP a fourni une 3e cause possible de notre natalité en berne : la « récession sexuelle », les Français feraient de moins en moins l’amour. Si les rapporteurs de l’étude IFOP ne manque pas de relativiser le lien entre activité sexuelle et procréation dans un pays à forte prévalence contraceptive, ils s’interrogent, dans la mesure où la fréquence des rapports sexuels a toujours joué, pour les démographes de l’INED, un « rôle dans la détermination du niveau de la fertilité des couples », ce qu’illustrent bien les États-Unis qui affichent des taux préoccupants à la fois en matière d’activité sexuelle et de natalité.

Récession sexuelle notamment chez les jeunes

 

En fait, tout comme la baisse de la natalité, la diminution de l’activité sexuelle, en premier lieu des jeunes, ne date pas d’hier, et concerne l’ensemble des pays développés. Déjà en 2017, quelques mois avant l’affaire Weinstein qui a déclenché la vague mondiale #MeToo, le magazine Grazia citait une étude établissant la faible activité sexuelle des jeunes américains de 18-24 ans, qu’il comparait à la situation repoussoir des Japonais qui connaissent, avec la Corée du Sud, un déclin démographique critique, et dont 42 % des hommes et 44 % des femmes de moins de 35 ans, n’auraient jamais eu de rapports sexuels de leur vie, ainsi qu’aux Français qui étaient alors encore de chauds lapereaux.

En 2019, une grande enquête de The Atlantic s’interrogeait à son tour sur la récession sexuelle (sex recession) observables chez les jeunes aux États-Unis, mais aussi dans les autres pays développés, malgré la fin des tabous (à l’exception tout de même de la pédophilie, de l’inceste, de la zoophilie et désormais des relations sans consentement) ainsi que la montée en puissance des applis de rencontre. Les raisons évoquées de cette panne de libido ?

 

Laetitia Casta et Yannick Rénier dans "Né en 68" de Ducastel et Martineau
Laetitia Casta et Yannick Rénier dans "Né en 68" de Ducastel et Martineau

 

D’abord, l’auteur de l’article soulignait qu’environ 60 % des adultes de moins de 35 ans vivaient alors sans conjoint ou partenaire ce qui dénotait que la solitude était en passe de devenir « le véritable mal du siècle », et qu’un adulte sur trois dans cette catégorie d’âge vivait chez ses parents, deux situations souvent moins favorables à l’activité sexuelle. Mais ça n’expliquait pas pourquoi les jeunes étaient moins nombreux à se mettre en couple. Comme dans l’étude de l’IFOP pour la France, trois causes de cette récession sont alors envisagées : la banalisation de la masturbation (le commanditaire de l’étude IFOP est la marque suédoise de sex toys Lelo), la place du porno et la vie numérique derrière les écrans.

L’étude française confirme également la prise de pouvoir en cours des filles et des femmes dans nos sociétés en montrant leur rôle éminent dans cette baisse de l’activité sexuelle, qui les affecte  moins que les hommes :

  • les Françaises acceptent beaucoup moins de se forcer à faire l’amour qu’il y a 40 ans (c’est elles qui décident)

  • 30% des femmes, contre 60% des hommes ressentent un manque en cas d’abstinence prolongée

  • Une fraction croissante des femmes disent leur désintérêt pour l’activité sexuelle (près de 4 sur 10 contre 2 sur 10 en 1996)

  • les femmes de l’échantillon sont un peu plus atteintes par l’absence d’attirance sexuelle pour autrui (15% des femmes, contre 9% des hommes tout de même)

  • Plus de la moitié des femmes adultes déclarent qu’elles pourraient continuer à vivre avec quelqu’un dans une relation purement platonique (contre 42 % des hommes)

Dans le même temps, les jeunes hommes de moins de 35 ans en couple n’y mettent pas forcément du leur puisque ils sont bien plus nombreux que leur compagne à reconnaître avoir préféré regarder un film, jouer en ligne ou trainer sur les réseaux sociaux pour éviter un rapport sexuel.

 

Dans mon fil Tumblr, ce post : Self love will litteraly solve your your fucking problems
Dans mon fil Tumblr, ce post : Self love will litteraly solve your your fucking problems

 

Quelles conclusions tirer de ces chiffres, notamment chez les plus jeunes ? Si l’on regarde le verre à moitié plein, on peut supposer que la baisse de l’activité sexuelle s’accompagne d’une baisse des MST et des grossesses non désirées des jeunes filles. Télérama relève également comme positives la « libération de la possibilité de dire non quand on n’a pas envie (surtout depuis #MeToo) » et l’ « émergence et reconnaissance de l’abstinence et de l’asexualité ». Enfin, la récession sexuelle éloigne les risques d’addictions sexuelles et d’hypersexualité et nous rapproche finalement de l’idéal antique de la tempérance plutôt que l’excès ou hùbris.

Néanmoins, tempérance ne signifie pas abstinence a fortiori contrainte, et je ne suis pas sûr qu’on doive se réjouir que près de la moitié des jeunes entre 18 et 25 ans, « âges où ils sont sensés être de vrais chauds lapins », n’aient eu de relation sexuelle depuis un an, alors qu’ils étaient un quart dans ce cas, seulement 8 ans avant.

La méfiance entre les deux sexes, déjà perceptible au début des années 2000, et qui n’a fait que s’accroître depuis la vague #MeToo (ainsi que l’envahissement de nos vies par les écrans), n’est sans doute pas étrangère à cette panne du désir de l’autre, qui prend de plus en plus les atours d'un néo-puritanisme.

Qu’il s’agisse du vacarme permanent sur le patriarcat et la masculinité toxique, victimisant les femmes et diabolisant les hommes (comme si la toxicité était l’apanage des hommes), de la judiciarisation des relations humaines et amoureuses qui conduit à une litanie quasi quotidienne de plaintes, enquêtes, gardes à vue visant des hommes en vue, souvent pour des faits anciens, avec des accusations à la gravité contingente (la dernière concernant une « victime » MetooGarçons » : « il m’a caressé la main et m’a dit que je le troublais »), ces « violentomètres » affichés partout, les garçons à qui l’autre sexe ne cesse d’expliquer comment ils devraient être, comment ils doivent agir, ou encore la distanciation imposée durant l’interminable épidémie de Covid et la crainte du corps des autres qu’elle a inoculée, tout incline à ancrer dans les esprits que la drague, le sentiment amoureux et la sexualité, sont devenus une affaire très compliquée, pour ne pas dire dangereuse.

 

Le désir en ballade, Jean-Daniel Cadinot 1989, capture d'écran
Le désir en ballade, Jean-Daniel Cadinot 1989

 

Quand un homme est célibataire trop longtemps, il devient terroriste. Une femme elle, adopte un chat

 

Ces résultats de l’étude IFOP pour Lilo établissent que les hommes sont davantage affectés que les femmes par la « misère amoureuse et sexuelle » que constitue l’abstinence contrainte. En Amérique, les jeunes hommes hétérosexuels qui n'ont pas de succès amoureux ni sexuel auprès des femmes, célibataires involontaires (incels ou involuntary celibate), et qui, en conséquence, en viennent souvent à adopter une rhétorique antiféministe haineuse, se sont constitués en communautés en ligne. De temps en temps, l’un d’entre eux pète un câble et fait une tuerie de masse de femmes.

Dans le film génial de Bertrand Bonello, « la bête », Louis (George MacKay) en 2014 est l’un de ces incels, humilié d’être toujours vierge, sans petite amie, malgré tout ce qu’il pense avoir fait pour être séduisant (le cinéaste s’est inspiré du carnage commis cette année-là par un certain Elliot Rodger).

C’est encore un truc qui nous distingue les femmes et les hommes, souligne justement l’humoriste Lisa Delmoitiez, « quand un homme est célibataire trop longtemps, il devient terroriste », une femme elle, adopte un chat.

 

photo Thomas Synnamon
photo Thomas Synnamon

 

Virage conservateur chez les garçons partout dans le monde

 

Plus sérieusement, Gérald Bronner dans l’Express se demande : « la guerre des genres a-t-elle commencé ? », en s’appuyant sur un article récent du Financial Times, qui révèle que les garçons âgés de 18 à 30 ans, partout dans le monde, sont devenus beaucoup plus conservateurs que les filles sur des sujets comme l’avortement, l’immigration ou le mouvement #MeToo… et que ça se retrouve dans leur vote. « Les tensions surgissent au sein d’une même génération et ces jeunes sont donc contraints de coexister les uns avec les autres dans leur vie quotidienne tout en nourrissant une vision d’une monde radicalement différente. Comment s’aimer dans ces conditions ? »

Même s’il est difficile d’établir un lien clair entre le clivage idéologique qui est en train de se creuser entre les sexes et la misère sexuelle et affective qui l’accompagne, il est permis de se demander si le fameux « backlash » dont nous bassinent les néoféministes, ne finira malheureusement pas par advenir dans les urnes.

 

BoyfriendTv.com Sketchy compilation, capture d'écran
BoyfriendTv.com Sketchy compilation, capture d'écran

 

(I Don't Need A) New Girl - Chromeo

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