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Publié le 7 Janvier 2020

Extinction rebellion - occupation Châtelet - Cyril Zannettacci pour Libération

 

Skee-Lo - I Wish, dans la playlist de José pour le réveillon

Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux.

Samuel Beckett

Le succès c’est être capable d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme.

Winston Churchill

Ces temps ci, on ne parle plus que de retraites et de pensions et ça finit inévitablement par nous foutre un coup de vieux. Tu parles d’un projet ! Comme le disait déjà Florence Foresti à l’aube de sa quarantaine  : « Je suis au fond du gouffre, je n'ai plus aucune confiance en l'avenir, 40 ans ? Quel avenir ? Ma prochaine aventure, c'est le cancer.  […] De toute façon, la vie n'a aucun sens. Enfin si, … celui de la sortie.»
D’ailleurs, les jeunes autour de nous paraissent très mollement engagés sur le sujet. Sur le front des plus engagés politiquement, Nausicaa, utilisatrice de Telegram, vient de s’inscrire à un cours de sécurité informatique, ma mère m’a raconté que ses parents s’inquiétaient de son engagement dans le mouvement Extinction Rebellion, non violent mais dont les actions pouvaient occasionner des dégâts matériels ; ils l’ont prévenue qu’ils ne paieraient pas l’énorme amende prévue si elle était mêlée à de telles actions. Géraldine m’a dit que leur fille, passée par les gender studies, vivait elle actuellement en communauté dans une forêt, prête à en découdre avec le Rassemblement National qui se porte bien dans cette région.
Dans un dossier « 20 ans en 2020 », Télérama dresse aussi cette semaine le portrait d’une jeunesse sympathique dont une partie connaît la précarité. Un encadré précise que les vingtenaires ne sont pas les seuls à connaître la précarité : « Selon l’Observatoire des inégalités, les 18-29 ans (qui travaillent) ont vu globalement, entre 1996 et 2016, leur niveau de vie annuel augmenter de 17%… contre plus de 19 % pour l’ensemble de la population – et 22 % pour les 65-74 ans. » La journaliste ne relève pas que le niveau de vie augmente pour tous, ni cette anomalie d’écarts d’évolution du niveau de vie entre jeunes actifs, population active et inactifs, qui devrait pourtant interroger : les choix ou les non choix en matière de pensions de retraites impactent le revenu du reste de la population, celle qui les financent dans un système de répartition.

Une manifestation de retraités à Paris, le 31 janvier 2019. (FRANCOIS GUILLOT / AFP)

 

Et qu’on ne me sorte pas l’argument usé de laisser la place aux jeunes pour justifier un départ à la retraite à 55 ans, ça ne marche pas, en particulier parce que ça coûte "un pognon de dingue » (pour parler comme notre Président) et ce pour longtemps (je connais des retraités anticipés des années 1980, non remplacés par des jeunes et qui sont sur le point d’avoir autant vécu à la retraite qu’au travail). La cessation progressive d’activité ou l’accompagnement pour une 2e carrière serait un progrès social, pas le maintien de retraites anticipées. Dans mon entourage, toutes les femmes fonctionnaires qui ont fait valoir leur droit à la retraite plus tôt parce qu’elles avaient eu au moins 3 enfants (une de mes belle-sœur infirmière a pu devenir pensionnée à 50 ans), ont continué à travailler, sans doute moins, mais elles ont continué à travailler, et pas seulement pour "mettre du beurre dans les épinards", mais aussi parce que la retraite est qu’on le veuille ou non une relégation sociale. C’est sûrement pour les mêmes raisons que d’anciens cheminots à la retraite travaillent pour les chemins de fers suisses (information à vérifier, j'ai oublié ma source informelle) comme nombre de paysans, d’artisans ou de commerçants préfèrent « mourir sur scène » en continuant à travailler jusqu’au « grand âge ».

Mais j’arrête là, car à force de trouver légitime que « chacun voit midi à sa porte », on entend n’importe quoi. M.-F., une amie de ma mère, n’a jamais travaillé, ou peut-être un peu le temps que son époux termine ses études de médecine (elle a fait des études d’infirmière, je sais le schéma est d’une banalité affligeante). Elle a eu une vie de mère de famille nombreuse tout en pratiquant avec assiduité bridge, tennis et ski, activités lui ayant permis d’afficher en toute saison une mine superbe. Elle a récemment perdu son mari et connaîtrait des difficultés financières. Une autre amie commune à qui elle s’en ouvrait, a répété à ma mère que sa pension de réversion serait seulement de 1 500 euros et qu’elle s’en était indigné en s’écriant  : « Tu te rends compte ? Avoir travaillé toute une vie pour ne toucher que ça ! » (sic)

 

Bruce Weber commercial model peter johnson

 

Ma sœur qui exerce une profession libérale fatigante lui laissant peu de loisirs mais qu’elle aime, déteste que son mari, néo-retraité en 2020, la presse de préparer sa retraite également pour anticiper son inexorable décrépitude. Quant à moi, il y a peu j’étais encore étudiant, alors autant dire que je suis complètement raccord avec elle. Enfin, étudiant, ça n’a pas été vraiment "la fête du slip", puisque je continuais à bosser dans le même temps, autrement dit deux ans d’une vie de fou, d’autant que j’avais chargé la barque en quelque sorte d’un double cursus : une préparation à une certification de formateur maison et une formation universitaire susceptible de consolider mes chances d’obtenir cette certification, qui m’a valu aussi d’être stagiaire dans une boite de l’Edtech.
Pour autant, j’ai trouvé passionnant de passer de l’autre côté de la barrière. Par dessus tout, j’ai aimé voir la tête de mes interlocuteurs quand je leur ai dit : « Au cours d’anglais, j’ai un nouvel ami, il s’appelle Théo, il a 22 ans. » Je n’ai qu’un regret, j’ai trop souvent oublié d’amortir un peu les 1500 euros de droits d’inscription payés en demandant la réduction étudiant quand elle était possible (elle est souvent assortie d’une condition d’âge) mais on a bien rigolé le jour où j’ai sorti à la caissière la légende que je m’étais bricolée : « Je sais, je n’ai plus l’âge mais après vingt ans de prison, ce n’est pas facile de se réinsérer, alors je fais des études. »

La retraite me fait d’autant moins rêver que je viens de réaliser avec mes amis plus âgés qui ont entamé le dernier acte de leur vie, que j’avais déjà touché à toutes les activités dans lesquelles ils se lancent éperdument à la retraite pour occuper tout ce temps : les voyages, le dessin, la sculpture, les cours d’histoire de l’art, la chorale voire la pratique d’un instrument... Cette prise de conscience me laisse bien marri : moi qui croyais (je m’en vantais) avoir des loisirs de jeune fille de la bonne bourgeoisie du XIXe siècle, en fait, j’ai passé ma vie à occuper mon temps libre comme un retraité. Va d’ailleurs savoir si ce n’est pas un peu pour cela que dans la dernière ligne droite d’une « carrière » d’enseignant plutôt plan-plan, je me suis décidé à chercher un peu la lumière en mettant du neuf dans mon boulot ! 

 

Ezra Miller photographed by Ryan Pfluger for Playboy Magazine.

 

Pour la lumière dans ma boutique, en fait c’est râpé. J’ai été salement recalé par un jury de bureaucrates de sexe féminin, malgré toute mon énergie dépensée durant deux ans, ma grande expérience, d’excellents retours des professeurs que j’ai formés (alors que le prof est un public dans l’ensemble pas vraiment facile) et un mémoire jugé très intéressant lors d’un galop d’essai par une responsable de formation. Dieu merci, en lot de consolation, j’ai obtenu ce master (mais qui ne prépare pas aujourd’hui un master ?), avec la bonne mention (un indispensable comme pour le Bac puisque tout le monde en a un), dont je ne ferai rien.

Alors que faire de cette colère qui m’a étranglé, de ma frustration, de ce sentiment d’injustice profonde ?
Mettre un contrat sur la tête des tueuses ? J’ai laissé béton, pas les connexions requises ! Un recours vous évite le risque de vous retrouver à Fleury, mais il est aussi inutile que de donner un coup de poing dans la porte du meuble dans laquelle vous venez de vous cognez puisqu’il ne peut être évoqué le fond de la décision du jury qui est « souverain ».
Vous dîtes alors à qui veut bien l’entendre que cette décision confirme que l’Éducation Nationale est une médiocratie qui coupe la moindre tête qui dépasse un peu (c’est valorisant pour la tête qui croît dépasser), et vous buvez du petit lait lorsqu’à l’occasion d’une formation particulièrement bidon conduite par trois femmes dans votre établissement, une collègue vous chuchote à l’oreille : « T’as vu ? Elles se ressemblent toutes, elles sont toutes faites sur le même moule. »

A part ça, «se relever ou rebondir après un échec » tapé sur un moteur de recherche fournit pas mal de lecture. Les stars de l’entreprenariat qui ont fini par réussir portent notamment leurs échecs en bandoulière. J’y retrouve à une autre échelle mon credo auprès des élèves que l’erreur est consubstantielle à l’apprentissage, que quelqu’un qui ne se trompe pas n’apprend pas : il sait. Sauf que pour citer Beckett, sur ce créneau, je n’ai plus guère le temps « d’échouer mieux ». Pour ne pas somatiser, il me reste donc l’incontournable « Ce qui dépend de nous... » d’Épictète. Comme cela avait fait rire Gabriel, je répète aussi que « je suis retourné dans ma grotte », dans laquelle après ces deux années « molto agitato », je prends de nouveau le temps de vivre. Et puis au lycée, ne suis-je pas en train d’atteindre un score d’agrément auprès des élèves sans précédent ? Enfin, parce que ce bide n’est pas vraiment grave au regard de toutes les choses terribles qui peuvent toujours nous tomber dessus, j’ai hâte de lire Le Livre officiel des glorieux losers - Pourquoi réussir quand on peut échouer en beauté ? de Stephen Pile.

Entendu à la fin du délicieux "Notre Dame" de Valérie Donzelli : « Les échecs, c’est comme l’adolescence ou la calvitie : l’important c’est de s’en remettre »

Little People - Tonight, découvert dans le Nova 4.0

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