politique

Publié le 28 Mars 2023

La lutte inachevée contre le fléau du surendettement

Mobilisation, violences : Macron peut-il reculer ? #cdanslair 24.03.2023

 

« Alors, vous disparaissez sous les poubelles ? » M’a demandé ma sœur au téléphone. « Nullement, pour une fois, on se trouve du bon côté du manche, pas de sacs poubelle éventrés, pas de rats, pas de montagnes d’immondices qui brûlent. » Et j’ai rajouté : « Je ne sais s’ils en ont conscience, mais en faisant grève, les employés municipaux chargés de la collecte des ordures dans la moitié des arrondissements, apportent de l’eau au moulin de ceux qui pensent qu’on aurait tout intérêt à confier ce service public au privé. »

Je n’ai pas vraiment le cœur à commenter cette situation de manifestations et de grèves massives bloquantes, d’exactions, et de répression policière, qui comme l’écrit l’éditorialiste du Temps de Genève sont devenus « le lot des mouvements sociaux français, qui reviennent plus régulièrement que la Coupe du monde ou l’Euro de foot », en concluant qu’on n’avait affaire à « rien d’historique pour l’instant». En revanche, on ne peut qu’être accablé que Macron n’ait rien trouvé de mieux que démarrer son 2e mandat avec une réforme des retraites injuste, soutenue par une minorité d’économistes, de surcroit mal vendue, qu’il s’est obstiné à essayer de faire passer en force, malgré l’opposition des syndicats, de l’opinion publique, grèves bloquantes et manifestations. Le moindre mal aurait été que la loi soit adoptée à l’assemblée grâce à l’apport de toutes les voix des députés LR, dont la retraite à 65 ans est au programme. Las ! «Le compte n’y était pas», Borne/Macron ont eu de nouveau recours au 49-3 pour faire passer cette réforme sans vote, suivi d’une motion de censure « transpartisane » déposée par le centriste Charles de Courson rejetée d’un cheveu (à 9 voix près), et le texte pourrait maintenant être retoqué ou même censuré par le Conseil Constitutionnel, voire même rejeté par un référendum d’initiative partagé.

Quant on se rappelle que Macron s’était engagé à « gouverner autrement» pour son 2e mandat, quel gâchis ! On se retrouve avec une réforme injuste ou, si elle est finalement censurée, une réforme nécessaire reportée aux calendes grecques, un pays furieux, une cote de popularité au plus bas pour l’exécutif, aucune majorité politique raisonnable alternative, et par conséquent un pays encore plus ingouvernable alors qu’on a plus que jamais besoin d’un bon gouvernement et l’adhésion de la population face aux défis qui s’accumulent.

 

 Urbs, dessin en « une » du « Monde » le 23 mars 2023
Vu par… Urbs, dessin en « une » du « Monde » le 23 mars 2023

 

Mais j’arrête ici la digression, car le sujet assez peu sexy que j’aborderai aujourd’hui est celui du surendettement. Pas celui des administrations françaises, bien qu’il y ait un vrai sujet (au passage non sans lien avec la réforme des retraites), quoi qu’en pense les sympathisants de la NUPES (pas plus tard que hier soir au dîner chez Pierre-Emmanuel, Colette m’a infligé le gimmick de gauche : « on s’en fout de la dette »). Non, je veux parler des particuliers étranglés par le surendettement.

En effet, figurez-vous qu’au mois de janvier, j’ai dû monter et déposer un dossier de surendettement ! Qui l’eût cru ? Pas pour moi, qui à mon âge me pose plutôt des questions de gestion de mon épargne, non pour Valentin, mon neveu, 25 ans, que j’ai épaulé pour ce faire.

 

La question de la responsabilité du surendettement

Confronté à une telle situation, se pose immédiatement la question de la responsabilité ? Valentin porte-t-il la seule responsabilité de sa situation financière désespérée ? Une partie seulement, par son déni de la réalité : on ne peut dépenser plus qu’on ne gagne, et tout emprunt, qui doit être remboursé, réduit le revenu disponible pour faire face à ses dépenses incompressibles. Est-ce plutôt ce minimum de "culture financière et économique" qui lui a fait défaut ? Est-ce un problème psychologique ? Est-ce que le fils unique orphelin a été trop gâté par son père ? Je n’en sais rien.

Une chose est sûre : Valentin, bien qu’il travaille, a peu de ressources au regard du coût de la vie en région parisienne, et de toutes ces sollicitations commerciales permanentes qui facilitent la vie au bout de son portable. Comme des millions de personnes. Toujours est-il qu’il n’aurait jamais dû pouvoir s’enfoncer aussi facilement et rapidement grâce à des organismes de crédit, en premier lieu de sa banque.

 

La Vie à Crédit - Extrait de " Jeanne et le Garçon formidable " (1998)

 

La banque a manqué à ses obligations

Sa plongée dans le surendettement n’a rien d’originale : un en-cours de crédits à la consommation dont un de sa banque au moment où sa vie s’est déglinguée, séparation de la mère de sa fille de 1 ans, plus de logement (on l’a un temps hébergé), remise en ménage avec une fille qui comme lui a un petit salaire et une môme en bas âge, avec qui il s’installe en banlieue, mais qui retourne en province au bout de deux mois, le laissant seul avec le loyer d’un logement d’un montant égal à son salaire déclaré (le complément du Smic était payé au noir par son précédent employeur, auquel se rajoutait moins de 200 euros de prime d’activité). D’autres crédits dont 3 nouveaux auprès de sa banque en 5 mois lui permettront un temps de faire face à ces charges et de continuer à dépenser n’importe comment, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus payer son loyer et que son père et son oncle Gabriel, caution, doivent le faire, et que, après plusieurs mois de rejets de paiements de ses créanciers et de frais monstrueux afférents prélevés par sa banque (plus de 100 euros en moyenne par mois), cette dernière se décide enfin à lui bloquer sa carte de paiement, le mette en interdit bancaire et lui fasse souscrire une offre « client fragile », lui évitant de plonger définitivement.

Quand j’ai découvert le pot aux roses de son surendettement, j’ai tout de suite pensé aux trois années affreuses qu’ont passé Erik et Djamila avec les procédures de recouvrement judiciaires des dettes du père d’Erik, qui avait lui aussi multiplié les crédits à la consommation, et dont ils eurent connaissance après la mort de sa mère, lorsque des huissiers ont débarqué chez eux un samedi à l’heure du petit déjeuner avec les enfants. Infernal ! Erik n’était jamais sûr du restant dû tant frais et intérêts juste au-dessous du taux d’usure s’accumulaient en permanence ; chaque fois qu’Erik allait à une convocation au tribunal, il revenait plombé par tous les cris et pleurs entendus en sortie d’audience de tous ces pauvres gens qui venaient de tout perdre. Aussi, quand le conseiller de la banque nous a proposé de racheter tous les crédits, on a failli être tenté pour prévenir le déclenchement de la machine infernale des poursuites judiciaires, mais il était tellement évident que la banque de Valentin avait manqué à ses obligations en participant activement à son surendettement, alors qu’elle était le seul prêteur à avoir connaissance de l'existence de ses autres crédits à la consommation, qu’on a immédiatement déposé un dossier de surendettement.

En effet, la première fois où Valentin a accepté de m’envoyer des extraits de comptes même tronqués, il ne m’a pas fallu plus de 10 minutes pour voir qu’il était surendetté auprès de 6 établissements. Connaissant cela, son conseiller bancaire lui a pourtant accordé 3 nouvelles tranches de crédit entre mars et juillet, portant l’endettement total auprès de sa banque à 16 000 euros, soit 40 % de sa dette (sans compter une autorisation de découvert pousse-au-crime eu égard à ses ressources).

La situation catastrophique dans laquelle il se trouve et qui n’aurait jamais dû arriver, m’a fait me pencher sur le droit visant à prévenir et traiter le surendettement.

 

 

30 ans de lutte contre le surendettement

Le développement des crédits à la consommation, en particulier sous leur forme de crédits renouvelables, permis par la levée de l’encadrement du crédit en 1985, s’est accompagné d’un phénomène nouveau de surendettement de ménages, qui a contraint le législateur à intervenir à plusieurs reprises pour essayer d’endiguer le phénomène. Le premier grand texte est la loi Neiertz appliquée à partir de 1990. Elle instituait une procédure collective visant à traiter globalement les situations de surendettement des particuliers avec deux objectifs : éviter que les personnes surendettées ne sombrent dans la précarité et permettre aux créanciers de recouvrer tout ou partie des sommes dues. La procédure a été remaniée en 1995 et 1998 pour tenir compte de ses imperfections. Au tournant des années 2000, la physionomie du surendettement des particuliers change. Alors qu’il concernait principalement jusqu’alors des ménages endettés en raison d’un excès de dépenses et de crédits à la consommation (ce que certains appellent « endettement actif »), le surendettement apparaît de plus en plus souvent subi, survenant à la suite d’une rupture dans la situation familiale ou professionnelle, frappant des personnes ayant perdu leur emploi et des ménages aux ressources insuffisantes pour faire face à l’ensemble de leurs charges courantes (« endettement passif »). Cette évolution rend le dispositif de traitement du surendettement mis en place de plus en plus inadapté aux situations les plus difficiles. Il est ainsi modifié à plusieurs reprises entre 2003 et 2013, pour mieux protéger ces nouveaux surendettés.

Toutefois, si le dispositif de traitement du surendettement était en soi de nature à inciter les établissements de crédit à plus de prudence dans l’octroi des crédits à la consommation, il pêchait par manque de dispositions de nature à prévenir le surendettement. La loi Lagarde de 2010 qui vise à responsabiliser davantage les organismes de crédit et à limiter les dégâts des crédits renouvelables, puis, la loi de réforme bancaire du 26 juillet 2013 qui a contraint les banques à se doter d’un dispositif de détection précoce des situations de fragilité financière de leurs clients et à leur proposer des solutions adaptées à leur situation, furent de premières mesures nécessaires de prévention.

 

Nan Goldin – French Chris sur la décapotable – New York – 1979
Nan Goldin – French Chris sur la décapotable – New York – 1979

 

Le serpent de mer du fichier centralisé des crédits

Mais c’est seulement avec la loi Hamon de 2014 qu’on a pu penser enfin tenir la mesure de prévention efficace : l’obligation pour les établissements de crédit de consulter un fichier centralisé des crédits accordés avant tout octroi de nouveau crédit. Cette mesure, qui permettrait d’empêcher « le crédit de trop », est en fait un serpent de mer depuis l’apparition du phénomène de surendettement des ménages.

La loi Hamon avec sa mesure phare fut adoptée par les deux chambres du Parlement, avant de disparaître dans la version finale de la loi. Que s’était-il donc passé entre temps ? Se pouvait-il que les établissements de crédit impactés fussent parvenus à fait pression sur le gouvernement et les parlementaires ?

Peut-être, mais c’est en fait le Conseil Constitutionnel, saisi par les députés UMP, qui a censuré la création d’un « Registre national des crédits aux particuliers » ou « fichier positif » (pour le distinguer du fichier des incidents de remboursements des crédits aux particuliers existant, qui est « négatif » pour celui qui s’y voit inscrire).

Les « 9 sages » ont estimé qu’un tel fichier portait « une atteinte au droit au respect de la vie privée qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi ». Avant cette décision, le Conseil d’État s’était montré "sceptique" sur la création d'un tel fichier ce qui avait conduit le gouvernement à revoir sa copie en excluant du fichier l’inscription des crédits immobiliers, et 3 ans auparavant Christine Lagarde avait elle aussi renoncé à créer un tel fichier.

En effet, à l’époque, en excluant les crédits immobiliers, ce registre aurait contenu les données personnelles de plus de 12 millions de personnes (contre 25 millions avec les crédits immobiliers), consultables par plusieurs dizaines de milliers d’employés d’établissements de crédit. Or, 12 millions, fut considéré comme beaucoup comparé aux 200 000 dossiers déposés en moyenne dans les commissions de surendettement de la Banque de France. D’où cette idée de « disproportion » invoquée par le Conseil Constitutionnel, dont, une fois de plus, il est permis de contester la « sagesse » (dernier ouvrage critique qui vient de sortir : La Constitution maltraitée. Anatomie du Conseil constitutionnel de Laureline Fontaine).

Car pourquoi diable, la majorité des pays européens sont-ils déjà dotés de fichiers positifs, y compris en Allemagne où l’on est aussi sensible à la protection de la vie privée qu’en France ? Parce que ce fichier est le moyen efficace de responsabiliser tous les organismes de crédit en leur donnant une vision globale de l’endettement des demandeurs de crédit.

 

Leather Club à Madrid
Leather Club à Madrid

 

A ma grande surprise, le « fichier positif » dans notre pays, ne divise pas seulement le secteur des établissements de crédit, qui majoritairement dénonce le coût de sa mise en place (195 à 430 millions d'euros, une broutille non ?), mais aussi les associations de consommateurs (La CLCV y est opposée, et le président de l’UFC – Que choisir y voit une fausse solution au détriment « de vraies solutions » toujours pas imposées).

Enfin, chaque fois qu'un gouvernement a voulu instituer un fichier positif (Loi Lagarde puis Hamon), ses opposants ont invoqué également l’argument d’inefficacité, en citant étrangement toujours l’exemple de la Belgique qui a mis en place un fichier depuis 2003, et qui aurait vu son nombre de dossiers de surendettement augmenter davantage que dans notre pays, parce qu'il aurait permis le développement d'offres commerciales de crédit agressives. Or il semble que l'argument soit réfutable.

Suite à la censure du Conseil Constitutionnel, Michel Sapin, alors ministre de l’économie et des finances, a demandé au CCSF (Comité consultatif du secteur financier) d’examiner la faisabilité d’un tel fichier en tenant compte de l’avis du Conseil constitutionnel. Las : après six mois de travaux, le verdict du groupe de travail est sans appel. Pour Jean-Louis Kiehl, le président de l’association Crésus, « C’est un drame. Nous nous privons d’un outil qui permet de lutter efficacement contre le surendettement car il détecte les ménages à risque en amont. Aujourd’hui, ces personnes sont repérées bien trop tardivement ».

 

Jorik Tautou
Jorik Tautou

 

Peut-on se satisfaire de la division par 2 du nombre de dossiers déposés depuis 8 ans ?

En 2022, environ 113 000 dossiers ont été déposés dont un peu plus de la moitié pour la première fois. Le nombre de dossiers déposés a ainsi été divisé par deux depuis 2014, année record en matière de dépôts. Selon la Banque de France, « cette diminution tient notamment à l’adoption de plusieurs réformes visant à prévenir le surendettement et à améliorer l’efficacité de la procédure de traitement des dossiers, ainsi qu’à une bonne orientation du marché de l’emploi. »

Si l’on peut s’en réjouir, la situation n'est pas rose pour autant. Les inscriptions au fichier national des incidents de remboursements de crédits est lui en forte hausse : +18%. En outre, le surendettement est sous évalué car de nombreux ménages ne déposent pas de dossier. Ainsi, près de 190 000 Français qui n’ont pas déposé de dossier de surendettement ont rencontré au premier trimestre des difficultés dans le remboursement d’un crédit, 15% de plus que lors de la même période de l’an dernier. Le retour de l’inflation et la hausse des taux d’intérêt ne vont hélas pas manquer de faire plonger la population la plus vulnérable dans le surendettement passif.

Je me suis aussi permis d’alerter par mail ma députée Danièle Obono (La France Insoumise) sur ce fléau du surendettement, qui en ces temps de reprise de l'inflation et de perte de pouvoir d'achat, et en l’état de la législation, risque d’affecter les Français les plus fragiles. Comme pour mes deux précédents courriers à un tout autre sujet, malgré une forme brève et très polie, je n’ai pas eu l’heur d’une réponse, pas même d’un accusé de réception.

Pas assez afroféministe ou écosocialiste, mon sujet ? Allez vous étonner ensuite que les gens ne votent plus !

 

Stéphane Guillon : “La NUPES, ils vivent un drame intime, c'est-à-dire que devenir députés, ça les a flingué…”

Y a pas que le surendettement qui est actif ou passif (ou les 2)... La leçon d'Andrew Grey

Johan Papaconstantino - "Glass" ("Premier degré")

Voir les commentaires

Repost0