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Publié le 24 Juillet 2017

Witold Gombrowicz "Kronos" couv.

Witold Gombrowicz "Kronos" couv.

Benjamin Biolay "Buenos Aires" (La superbe 2009)

« La jeunesse s’enfuit. Je ne vous apprends rien. On passe la seconde moitié de son existence à défendre la première. Jeune, on voudrait empêcher le monde d’être vieux. Vieux, on n’a plus qu’à lui interdire d’être jeune. On est jaloux. L’espérance de vie augmente, la mélancolie aussi. Les gosses n’ont qu’une hâte, c’est de grandir. Et les adultes, vous les avez vus ? Ils regardent des séries pour ados, ils se badigeonnent de crème pour garder la peau douce et ferme, ils font de la chirurgie esthétique, ils veulent rester dans le coup. C’est pathétique. »
Il reprit son souffle.
« Qu’est-ce que c’est que le capitalisme ? C’est l’industrie de la tristesse. Quand on est gamin, on nous promet que ce sera le pied d’être indépendant et d’avoir de l’argent : on lit des livres, on chantonne des chansons qui nous font miroiter la vie des plus grands. Mais quand on a grandi on nous explique qu’en fait, rien ne valait la jeunesse. C’est fini. Et on se met à regarder des films, à écouter de la musique qui nous rappellent le passé. La culture, c’est du commerce pour que les jeunes s’achètent un peu d’expérience et les vieux un brin d’innocence. […]

« 7 » de Tristan Garcia (2015)

Ph. Roger Frits - Andreas 1954

Ph. Roger Frits - Andreas 1954

Le journal de Witold Gombrowicz m’avait passionné. Cet automne, quarante huit ans après sa mort, les éditions Stock ont publié la traduction de son autre journal, Kronos, son véritable journal intime, à la différence de ce journal qu’il écrivait pour la revue de l’émigration polonaise Kultura,

Dans Kronos, de 1922, l’année de ses 18 ans, jusqu’en mai 1969 (il est mort le 27 juillet), pour chaque mois, l’écrivain prend des notes, au mois de décembre de chaque année, il fait un bilan de l’année écoulée sur les plans de son travail (« litt. ») et de son « prestige », de ses « finances », de ses plans cul (« érot. » ou ér.) et de sa « santé » (Je ne vous fais pas l’injure d’indiquer l’évolution du poids respectif des rubriques au fil des années, même si comme vous pourrez le constater, Gombrowicz a eu une vie érotique étonnamment riche et longue).

Ses notes avant 1952, sont très succinctes et sténographiques, elles résultent d’un phénoménal travail de remémoration des trente premières années de ce journal.

Pour rendre lisible Kronos, les notes explicatives colonisent les pages. Cependant, son intérêt peut dépasser le cercle des exégètes de Gombrowicz, en nous livrant l’homme « sans littérature » : « D’où vient que ces pages inédites sont si extraordinaires ? Écrit Yann Moix dans sa préface, De ce qu’elles sont ordinaires, justement. Ces pages sont des journées. Des journées comme les vôtres, comme les miennes : sauf que ce sont, sauf que ce furent les siennes. »

L’écrivain y comptabilise à peu près tout : ses aventures sexuelles, « le moindre argent, qui entre ou sort, la plus petite trace d'eczéma, les continuels problèmes de logement, de déménagements, et les incessantes disputes et ruptures avec les membres de la communauté polonaise, exilés comme lui à Buenos Aires. »

Billie Joe Carr photographié par Don Whitman, Western Photography Guild, Colorado 1963 dans le livre "Beefcake" de Petra Mason, offert par Erik

Billie Joe Carr photographié par Don Whitman, Western Photography Guild, Colorado 1963 dans le livre "Beefcake" de Petra Mason, offert par Erik

Dennis Lavia, prostitué hétérosexuel, peut être sucé, accepte la sodomie (décodage des symboles de la revue "Physique Pictorial")

Dennis Lavia, prostitué hétérosexuel, peut être sucé, accepte la sodomie (décodage des symboles de la revue "Physique Pictorial")

Fin 1959, Gombrowicz avait alors mon âge et il écrit dans ce journal :

Une année qui avait très bien commencé, puis s’est dégradée à partir de mars : angine, asthme, rhumatismes, abcès, et avant tout vieillissement. J’ai arrêté de fumer. J’ai grossi (83 kg). A la fin de l’année, un démarrage en fanfare de Ferdy et d’une manière générale une nette amélioration de tout. Finances : malgré l’arrêt de la bourse de Free Europe, des revenus pas trop mauvais : env. 7000 par mois. J’ai à peu près 173 000 (dollar à 65). Grande inconnue. ér. : bien, Primavera 28. Miguel. Julio. Litt. Hausse sensible à cause du démarrage de Ferdy à Paris et de Trans-Atlantique, du Mariage et d’Yvonne en Pologne. Santé : amélioration à la fin de l’année, mais j’ai les nerfs à vif. ??

Witold Gombrowicz "Kronos"

Dessin Tom of Finland (Touko Laaksonen) MOMA de New York

Dessin Tom of Finland (Touko Laaksonen) MOMA de New York

"Tom Of Finland" réalisé par Dome Karukoski

Les lecteurs de ce blog toujours ravis d’allonger la liste des gens célèbres partageant leur appétence érotique homosexuelle ne manqueront pas de remarquer qu’à la lecture de ce journal intime, la bisexualité de Gombrowicz ne fait plus aucun doute. En 1959, l’écrivain âgé de 55 ans, qui déplore son « vieillissement », fait pourtant un bilan positif de sa vie érotique renaissante («bien,  Primavera ») et consigne deux partenaires de jeu « Miguel. Julio » précédé du nombre 28 (leur âge?).

Quatre ans plus tard, l’année de ses 59 ans, au mois de juin, Gombrowicz note : « Le 12, Günter, le 13, crise au restaurant, de nouveau avec Tomasz, chaude-pisse nouvelle alerte, sur les nerfs. Günter ne vient pas. A la gare, un Günter II. […] » Günter, Günter II et Tomasz sont signalés en note comme probablement de nouveaux partenaires sexuels de Gombrowicz évoqués dans une lettre adressée à Kot Jeleński datée du 15 juin 1963  : « Il s’en passe des choses ici, entre nous soit dit (en français dans le texte), je suis en proie à une attaque aiguë de pédérastie, je ne fais plus que ça, avec quatre petits teutons, grand dieu, à mon âge ! »

Beach boys : Brent Corrigan et deux amis

Beach boys : Brent Corrigan et deux amis

L’heureux homme ! Pour ma part, je parie que dans un bilan de cette année 2017, sauf pépin majeur, je noterai :

érot. : aucun risque de choper le sida ou une nième chaude-pisse : porno et fap fap comme d’hab.

Amour et amitié : Gab forever. Jérémy en visite en Ardèche : randonnée en montagne et 32 km de canoë qu’il a « kiffé grave".

Santé : Le 23 juin à 11:00, comme Witold, j’ai enfin arrêté de fumer. Pas vraiment de stress, avec 5-6 cigarettes par jour, l’addiction était surtout psychologique. La motivation est renforcée par un réel bénéfice : les désagréments de bouche qui me firent, comme lui, penser au cancer ont disparu. Du coup, je joue peut-être avec le feu en m’en grillant trop souvent une le soir à l’apéro. La visite au docteur Chen destinée à me faciliter ce « deuil » et au cours de laquelle il m’a transformé pour une heure en porc-épic a pu aider, sans compter que depuis je pète vraiment la forme.

Mais ce n’est pas tout. En Ardèche, l’autre jour en sortant de la douche, une voix sous le lavabo m’a dit : « Bonjour ! » Je venais de heurter le pèse-personne de ma mère. En tenue de circonstance, c’est-à-dire nu, je n’ai pas résisté à lui monter dessus. Ça eut l’air de lui plaire, la machine parlante m’a gratifié d’une gentillesse : 83 kg pour 182 cm, presque mon poids de jeune homme !

A part ça, une autre bonne nouvelle si je puis dire, je me suis enfin décidé à retourner chez un dentiste après au moins trois ans de négligence : j’échappe aux abcès sans douleur qui ont valu à Gabriel arrachage et dispendieux implants, pour moi ce sera la bagatelle de 3000 euros de prothèses à refaire et deux petites caries presque rajeunissantes.

Finances : Qui l’eut crû ? Rachat de l’appartement Dever sur le palier, plus grand, qu’on a entièrement fait remettre à neuf, et bien sûr vente de celui qu’on occupait depuis presque vingt ans. J'avais dit à ma mère qu'on faisait ça pour que Gabriel ait un bureau, ce que ma mère a par la suite répété en faisant précéder l'explication d'un "il est gentil mon fils..." :=)

Tout étonné que ça me procure à moi aussi un plaisir toujours renouvelé (il faut dire qu’on partait d’assez bas puisqu’on découvre seulement en 2017 les commodités d’un lave-vaisselle).

Boulot : horizon toujours plus sombre, dans l’espoir d'entrevoir un peu de lumière, reprise d’études tout en continuant à travailler à partir d'octobre ; comme disait Gombrowicz à un tout autre sujet, grand dieu, à mon âge !

David Hockney "The Sunbather" 1966

David Hockney "The Sunbather" 1966

David Hockney "Sunbather" 1970

David Hockney "Sunbather" 1970

Peter Schlesinger Photo  David Hockney

Peter Schlesinger Photo David Hockney

On a deux vies et la deuxième commence quand on se rend compte qu’on n’en a qu’une.

Confucius cité dans « Une seconde vie » de François Jullien

Je suis fatigué d’une fadaise qui veut qu’il y aurait l’embrasement de l’amour, la passion, et puis qu’on en viendrait après à un désir amorti, résigné, au point qu’on se tolérerait l’un l’autre, et que chacun retrouverait sa liberté. En refusant ce schéma faux, d’un Amour qui s’enflamme et dont il ne restera plus que des braises, un «second amour» est possible. Pour cela, il faut penser l’intime. Il suffit de ne plus faire de l’autre l’objet d’un «je t’aime», mais lui reconnaître un statut de sujet, le voir comme un Autre véritable que l’on peut continuer de rencontrer, encore et encore.
Dans une intimité inépuisable, qui s’ouvre à l’infini. 

François Jullien à propos de son essai « Une seconde vie »

Fhin - Live Session Findspire

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Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #culture gay, #ciné-séries, #sex, #livres, #les années, #expos, #avec un grand A, #addiction

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