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Publié le 9 Août 2023

Douter de tout ou tout croire sont deux solutions également commodes, qui, l’une comme l’autre dispensent de réfléchir.

Henri Poincaré 

L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit.

Aristote

 

"Pond" Thomas Demand 2020
"Pond" Thomas Demand 2020

 

Il y a quelques jours, à la fin d’un banquet d’anniversaire dans la famille de Gabriel, je me suis retrouvé piégé à devoir converser avec Erwan de choses très « sérieuses » mais bizarres ; à mon grand étonnement car ce jeune père d’une gamine est habituellement sur le mode « déconne » et provocation. A mon insu, nos voisins avaient abandonné notre coin de table. Le vin n’était pas en cause pour Erwan, puisqu’il ne boit plus un verre. De mon côté, les quelques godets que j’avais dû absorber expliquent peut-être en partie que le souvenir des sujets de cette conversation demeurent imprécis : l’esclavage et la colonisation, toujours responsables de l’état du continent africain (et par là l’Europe et l’Amérique), j’ai contesté, mais jusque là rien d’anormal, il s’agit d’un discours « tiers-mondiste » classique, de gauche, qu’on doit pouvoir aussi entendre dans la pensée « postcoloniale » actuelle ; la suite nous conduisit à la genèse de l’invasion de l’Ukraine où, malgré un luxe de précautions oratoires de Erwan, je distingue une petite musique, déjà entendue chez mon frère Melvil et un de mes neveux, contre l’OTAN (à savoir spécifiquement contre les États-Unis), qui justifie en sous-texte la guerre de Poutine, j’ai signalé mon désaccord toujours calmement mais fermement. C’est ainsi que son propos a subrepticement glissé sur les récits qui nous sont proposés qui pourraient fausser notre connaissance du monde et de ce que l’on croit être. En vrac, quelques bribes qui me restent de son discours soudain devenu pour moi plus ésotérique encore qu’un prêche dans une église : la civilisation de l’Atlantide ne serait pas une île seulement mythique, un je-ne-sais-plus-quoi sous les pyramides qui changerait l’Histoire, qu’on ne peut vérifier parce que toutes les demandes de fouilles auraient été curieusement refusées, l’humanité contemporaine des dinosaures ? La loi de l’évolution de Darwin qui pourrait être invalidée…

Soudain, comme une évidence, je lui ai demandé : « Est-ce que tu connais une revue qui parle de tout ça ? Les meilleurs amis de mes parents, les Michelet, que j’aimais beaucoup, tous deux récemment décédés, y faisaient parfois référence. » « Nexus ? » C’était elle, Erwann la connaissait bien sûr, mais sans la citer.

 

John Larson (1892 - 1983) et son détecteur de mensonges à la Northwestern University, Evanston, années 1930
John Larson (1892 - 1983) et son détecteur de mensonges à la Northwestern University, années 1930

 

Le critère de la vérifiabilité d’une information à partir de sources fiables

 

Le site de Nexus France permet de se faire une idée de tous les sujets aux allures savantes traités par ses collaborateurs, notamment dans le domaine de « l’exologie », dont je n’ai pu trouver une définition mais qui semble focalisée sur les OVNIS. J’y cherche en vain "l’ours" du journal, à savoir les noms et qualités des personnes qui y écrivent (absence qui est pour moi rédhibitoire).

Pour juger de la qualité d’une information, c’est-à-dire être capable de détecter une information fausse avérée ou potentielle, je rappelle à mes élèves trois critères de bon sens : l’auteur du document vecteur de l’information doit être identifiable, l’information doit pouvoir être vérifiable à partir de sources citées, de préférence des « sources secondaires », enfin on doit pouvoir avoir confiance dans l’émetteur de l’information et dans les sources la crédibilisant pour le domaine concerné. La vérifiabilité de sources fiables est un critère d'acceptabilité de l’encyclopédie collaborative en ligne Wikipédia, qui découle d’un autre critère qui est la « neutralité du point de vue », en particulier pour les articles pouvant être sujet à controverse.

Un court article du quotidien régional Sud-Ouest en 2011, en lien avec les sites préhistoriques de la région et au motif que la revue est basée à Fleurac (Dordogne), rappelle les «chevaux de bataille déclarés (de la revue Nexus) : civilisations de l'espace, vie après la vie ou refus du « tout-darwinisme ». Sur ce point, son directeur David Dennery confirme son double déni du créationnisme et de l'évolutionnisme : «L'humanité avance par des émergences liées à des interventions extérieures, qu'il s'agisse du néolithique ou de l'Égypte. »

Trop peu pour moi ! Mais ça éclaire rétrospectivement l’obscure bouillie que m’a infligée Erwan.

La fiche Wikipédia qui est consacré à Nexus, ne lui fait pas de cadeaux  : « Le magazine est accusé par différents intellectuels de pratiquer la désinformation en promouvant notamment les pseudosciences et les théories du complot ainsi que, dans sa version anglophone, l'antisémitisme et le négationnisme. »

Mais Wikipédia est-elle une source fiable ? Après avoir appelé un temps mes élèves à la prudence, notamment sur certains sujets, ça fait un bail que je valide cette encyclopédie, accessible à tous, pour vérifier ou débroussailler un sujet. Mes difficultés à y publier du contenu et me plier aux règles éditoriales lors d’un TD de master ont définitivement conforté cette confiance.

 

Et si le rap français n'était qu'un complot des homosexuels ? - "Le Complot" sur "Le Before du Grand Journal" de Canal+ (2015)

 

Rupture épistémologique majeure : ChatGPT n’indique pas ses sources pour produire du savoir

 

Si je me suis enthousiasmé pour l’agent conversationnel chatGPT, je sais depuis que l'intelligence artificielle (IA) ChatGPT connaît de nombreuses limites, à commencer par celle d’être « une menteuse pathologique ». Les échanges de l’écrivain oulipien Hervé le Tellier avec ChatGPT publiés cet été dans le journal Le Monde en fournissent un échantillon savoureux.

De même, lorsque ChatGPT a répondu qu’il ne pouvait citer ses sources à Gabriel qui lui posait des questions très pointues pour ses recherches en histoire et de généalogie, il m’est apparu comme une évidence que cela constituait une faiblesse intolérable. Depuis, j’ai lu que Gaspard Koenig avait soulevé ce lièvre en pointant une rupture épistémologique majeure : « en nous affranchissant de la notion de source pour produire du savoir, nous serions face à une régression historique dans la production de connaissance ».

Pour autant, il est permis de penser que le problème de l’absence de transparence empêchant d’assurer de la crédibilité des informations fournies par l’IA, et de pouvoir citer ses sources dans le cadre d’un travail universitaire ou journalistique par exemple, à terme sera résolu, d’autant qu’une application de ChatGPT pour le moteur de recherche Bing de Microsoft via Edge, permet déjà d’afficher dans ses réponses ses sources avec des liens cliquables.

 

Capture écran d'un exemple de requête sur Bing + ChatGPT qui cite ses sources
Capture écran d'un exemple de requête sur Bing + ChatGPT qui cite ses sources

 

Une nécessaire confiance dans les institutions qui produisent et diffusent l’information et la connaissance est requise

 

Cette procédure consistant à valider comme vraie une information dont la source est vérifiable et fiable, prend acte du fait que nul ne peut prétendre embrasser l’ensemble des connaissances nécessaires à la compréhension du monde, pas plus que de vérifier systématiquement par lui-même leur véracité.

Être capable de distinguer rationnellement le vrai du faux (ou du douteux) requiert donc de faire confiance aux institutions sociales qui produisent et diffusent l’information et la connaissance. Pour la production de connaissance, il s’agit, en quelque sorte par délégation, de se fier aux méthodes de travail des scientifiques et des chercheurs, et pour leur diffusion, de faire confiance aux passeurs et vulgarisateurs (pour les sujets complexes) que sont les journalistes et les médias, mais aussi dans une moindre mesure aux enseignants (ce qui n’exclut pas d’exercer son esprit critique).

Malgré la démocratisation de la parole autorisée qu’a permis Internet, avec les sites personnels puis les blogs et enfin les réseaux sociaux, en brisant le monopole jusqu’alors détenu par les experts/spécialistes et les médias d’information, on n’échappe pas à la nécessité de devoir réaffirmer le statut d’autorité et de référence de ces derniers pour distinguer le vrai du faux voire de l’infox (fake news), à savoir des informations mensongères ou délibérément biaisées, contribuant à la désinformation.

Or c’est précisément sur la confiance requise par ce « système de vérité » avec ses institutions et ses procédures, que le bât blesse. En effet, en ce qui concerne les Français, dans le baromètre 2023 de la confiance dans les médias publié par le journal La Croix, plus de la moitié des sondés (54%) assure que, "la plupart du temps, il faut se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d'actualité", seuls 37 %, pensent que « de manière générale, on peut avoir confiance dans ce que disent les médias (...) ». Ainsi, chez les jeunes (18-24 ans), les réseaux sociaux sont désormais la principale source d’information selon l’étude de Reuters : 39 % d’entre eux affirment s’informer par ce canal plutôt que par la presse en ligne (34 %), avec pour conséquence, une porosité croissante aux contre-vérités scientifiques, aux thèses conspirationnistes et plus généralement aux croyances irrationnelles.

 

Photo de l'installation vidéo Make Truth Great Again (2020), encoreunestp
Make Truth Great Again (2020), encoreunestp

 

Les médias, «chiens de garde » du système  ?

 

Les raisons de cette défiance de plus de la moitié de la population à l’égard des médias d’information, observable dans la plupart des pays, ne date pas d’hier. Le principal reproche est toujours que les puissants utiliseraient les médias "pour mettre en avant leurs propres intérêts politiques ou économiques au lieu de représenter les vues des lecteurs ou du public ordinaire », sentiment particulièrement fort chez les jeunes et chez les personnes à revenus faibles. Cette défiance s’inscrit aussi dans un contexte de montée d’un discours de rejet des élites.

Mon frère Melvil n’est ni jeune, ni dans le besoin, c’est la gestion de l’épidémie du Covid 19 qui lui a fait rejeter les médias d’information de référence et haïr la « Macronie ». En effet, il a plus mal supporté que nous l’absurdité de nombreuses mesures liberticides imposées, le peu d’espace médiatique laissé aux contradicteurs, et de se retrouver jeté dans les oubliettes du camp des « complotistes » allumés, parce qu'il contestait la politique sanitaire et qu’il ne voulait pas du vaccin.

Sous l’extrait d’une émission de Pascal Praud sur CNews avec pour invité un « sociologue » dénonçant la « bien-pensance » dans les médias qu’il a posté en octobre dans un fil Whatsapp familial, il a écrit : « ce n’est pas pour rien que la confiance en la presse est en chute libre. Elle ne survit que grâce aux millions de milliardaires français. ». Suite à ma réponse, il enfonçait le clou : « Pas d’accord du tout. Comment se fait-il que tous les journaux prônent tous la même « bonne parole ». Quel que soit le journal tu vas retrouver les mêmes infos. [...] Aujourd’hui, tout est tranché, soit tu es d’accord avec la parole du moment que les média « mainstream » répètent et tu es un bon citoyen, soit tu es un complotiste, ou d’extrême droite ou les deux à la fois. »

La critique qu’il formule entre les lignes, nous l’avons dit, est ancienne. Des intellectuels de gauche, Noam Chomsky ou Serge Halimi en ont fait l’objet d’essais, respectivement la fabrique du consentement (1992) et les nouveaux chiens de garde (1997), ayant inspiré le documentaire éponyme réalisé par Gilles Balbastre et Yannick Kergoat. Tous deux dénoncent une collusion systémique entre pouvoirs médiatique, politique et économique conduisant les médias à filtrer les informations qu’ils éditorialisent. Outre un possible journalisme de connivence, de nombreux sujets ne seraient jamais abordés, notamment ceux qui touchent leurs propriétaires, des groupes industriels et financiers, et leurs annonceurs, puisque les médias vivent en bonne partie de la publicité. Au-delà, selon Chomsky, leurs choix éditoriaux viseraient à servir les intérêts de la classe dominante économique et politique, en obtenant le consentement du reste de la population.

 

Médias français, qui possède quoi ? Le Monde Diplomatique-Acrimed
Médias français, qui possède quoi ? Le Monde Diplomatique-Acrimed

 

Il y a indéniablement une part de vérité dans cette critique. En effet, les motivations des milliardaires investissant dans un secteur structurellement en difficulté financière depuis l’avènement d’Internet, pose question. En général, ils n’interviennent pas dans la ligne éditoriale du journal qu’ils rachètent, l’investissement s’apparente à une forme de mécénat plus ou moins désintéressé (la notabilité acquise peut faciliter leurs « relations publiques » et leurs affaires).

Ce n’est à l’évidence pas le cas de Vincent Bolloré qui a un projet d’influence politique et qui vient encore d’imposer au JDD un nouveau directeur de la rédaction d’extrême droite resté 12 ans chez Valeurs Actuelles et soutien d’Eric Zemmour, malgré la longue grève de ses journalistes s’y opposant. Face à ce risque, la concentration des médias demeure un vrai sujet de préoccupation.

Néanmoins, il est permis également de réfuter en partie cette vision, ne serait-ce qu’en raison du fait que l’information est un marché concurrentiel où s’opère une course à l’audience et au scoop, et qu’« il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain » : si la critique est fondée pour certains sujets, elle ne l’est pas pour le reste des sujets d’actualité.

En outre, en France, certains médias d’importance sont largement indépendants du pouvoir économique, ceux du service public (les radios de Radio France, les chaînes de France Télévision, Arte) mais aussi « le Canard Enchaîné ». Ainsi, deux radios du service public sont dans le trio de tête des radios les plus écoutées (France Inter en tête, France Info en 3e position), France TV a près de 30 % de part d’audience et Arte a plus de part de marché que BFM TV (3 % contre 2.5%).

Leur statut public leur fait-il courir le risque d’une censure du pouvoir politique ? En dehors du fait que cela se retrouverait instantanément dans le Canard Enchaîné, mon expérience du service public audiovisuel me porte à penser que le discours économique qu’il s’y véhicule, est plutôt « de gauche », le plus souvent dénonciateur des avanies du capitalisme, de l’économie de marché, souvent sur un mode « moral » et qu’il n’est vraiment fait aucun cadeau à la « Macronie ».

Reste enfin la question essentielle : on s’informe comment quand on ne fait pas confiance aux médias d’information « mainstream » ?

 

 

Comment s'informer quand on rejette les médias "mainstream" ?


 

Cette question, j’ai dû la poser à deux reprises à mon frère dans notre échange sur ce sujet avant qu’il n’y réponde, non sans lui avoir dit que pour ma part je me garderais bien de faire cette généralisation puisque, en toute rigueur, ça requiert de s’abonner à tous les titres de presse, l’essentiel des articles n’étant accessibles qu’aux abonnés (payants).

Sans surprise, ses sources d’informations étaient navrantes, d’autant plus navrantes que je tiens mon frère pour quelqu’un d’éduqué, de cultivé, et que son métier consiste à résoudre toute la journée des problèmes complexes. Tenez-vous bien !

Covid oblige : le controversé francesoir.fr qui au moment de notre échange, n’offrait de visible qu’une seule personne, son directeur de publication et de rédaction, Xavier Azalbert, un entrepreneur fortuné (lui aussi) qui a racheté la marque. France Soir ne diffusait alors plus que des billets signés "France Soir" (rédigé par qui ?), "France Soir et AFP (dépêches)" ou des "opinions". « Franchement, lui avais-je écrit, ce n'est pas sérieux, on ne peut s'informer avec France Soir. »

Melvil a contesté aussi qu’un autre média en ligne qui n'est pas "mainstream", RT France (ex. Russia Today) fut interdit suite à l'invasion de l'Ukraine par la Russie. « Rien de plus normal » lui ai-je répondu, « ​​​​​​​ c'était un réseau financé par l’État russe pour son "soft power", même si y travaillaient une majorité de journalistes français : "dans le cadre d'événements qui concernent la Russie sur le plan intérieur, la couverture était extrêmement partiale, voire manipulatoire", autrement dit auquel on pouvait faire le même reproche que le tien envers les médias de référence financés par des milliardaires. » Finalement, Dieu merci, il ne suivait pas la chaine, c’était pour le principe.

 

Dessin de presse Les faits sont complètement démentis par mon opinion - Xavier Gorce
Les faits sont complètement démentis par mon opinion - Xavier Gorce

 

Ensuite, il a rajouté lire « la presse étrangère » (laquelle ? Abonnement ?), « Nexus » (J’avais oublié qu’il avait lui aussi cité ce site. Pour quels articles ?), « l'Impertinent (?), Marianne… et le Figaro qui a des analyses plus intéressantes que les autres ». Après vérification, l'Impertinent est un site lancé en pleine crise du Covid par une journaliste free-lance Amèle Debey pour publier un long article de Jean-Dominique Michel, qui avait été refusé. Si j'en juge la partie gratuite, elle signait alors pratiquement tous les articles (les autres sont rédigés par des "invité de la rédaction"), et on ne peut dés lors parler de journal avec une équipe de rédaction, un travail de journalistes ayant la responsabilité d'appliquer une charte déontologique, et un rédac chef  responsable de ce qu'il publie.

Enfin, la réponse de Melvil est suivie d'une vidéo du même Azalbert invité par le youtubeur Idriss Aberkane (868 000 abonnés) qu’il trouve « brillant » et dont les propos sont « faciles à vérifier ». J’ai dû écrire à mon frère que je ne voyais pas « pourquoi j'irais me scotcher devant ce type qui nous fourgue ses analyses sur des sujets pour lesquels il n'a aucune légitimité à prendre la parole, si j'en juge sa fiche wikipédia (sans compter le personnage qu'elle dessine). »

En résumé, à l’exception de quelques articles gratuits de Marianne et du Figaro, mon frère, comme des millions de personnes, s’informe et réfléchit désormais exclusivement grâce à des sites/blogs et ou chaines de réseaux sociaux où prévalent les paroles d’une seule personne, n’ayant en général aucune compétence pour les sujets abordés, et s’affranchissant des contraintes exigeantes du métier de journaliste et des responsabilités d’un rédacteur en chef. Ce faisant, il participe de manière obsessionnelle au « chaos cognitif » en cours, avec un risque non négligeable de virer paranoïaque.

 

encoreunestp, #NotiTweety 2.0, installation 2020
encoreunestp, #NotiTweety 2.0, 2020

 

Sites, blogs et réseaux sociaux, océan d’irrationalité

 

Les réseaux sociaux, comme Twitter, Facebook, YouTube ou Twitch, sont devenus un moyen de s’informer pour 7 Français sur 10, « avec de grandes variations dans la fréquence d’utilisation et le niveau de confiance ».

Même si on peut trouver d’excellents sites ou blogs sur le web, rechercher la vérité par d’autres moyens que les médias d’information vous expose d’abord au risque de succomber à de nombreux biais cognitifs, en premier lieu à celui du biais de confirmation, à savoir la tendance, très commune, à ne rechercher et ne prendre en considération que les informations qui confirment vos croyances et à ignorer ou discréditer celles qui les contredisent.

Sur les réseaux sociaux, c’est désormais bien connu, cela se fait à votre insu, grâce aux algorithmes de recommandation dont l’unique objectif est de vous faire scroller plus longtemps en vous fournissant toujours des contenus en lien avec vos préoccupations enregistrées.

Ainsi, ces algorithmes enferment leurs utilisateurs dans des bulles de filtres confortant leur propension à être victime de biais de confirmation, en leur empêchant d’accéder à des points de vue autres que leurs croyances et leurs opinions.

En outre, la recherche du buzz par ceux qui publient et les algorithmes des réseaux sociaux, conduisent à ce que soit privilégié l’émotion sur la raison, et ce faisant, à brouiller la différence entre faits, croyances et opinions, et à faciliter la création et circulation d’infoxs (fake news). C’est ainsi que les réseaux sociaux portent également la responsabilité de la polarisation et radicalisation de nos sociétés.

En 2016, avec le référendum anglais sur le Brexit et la campagne de Donald Trump le mot post truth (post vérité) fut désigné comme le mot de l’année par le dictionnaire d’Oxford. En effet, les partisans du Brexit, Trump et ses soutiens, ont remporté la victoire électorale en faisant appel à l’émotion et aux croyances personnelles, au mépris des faits objectifs qui n’importaient plus, et en multipliant les infoxs (fake news). Le mot marquait l’entrée dans une période (post-vérité) où l’opinion personnelle, l’idéologie, l’émotion, la croyance semblaient l’emporter sur la réalité des faits. Le discours anti-élites contre les partis politiques et les médias traditionnels, les réseaux sociaux, et la rationalité très limité de l’humain, ont rendu possible ce brouillage des repères de la vérité et cette crédulité contagieuse auquel on a assisté.

 

Norman - L'alcool

 

Connaissance et savoir, faits, croyance et opinion


 

En ces temps d’« apocalypse cognitive » sur un marché cognitif dérégulé par la révolution Internet dans nos « démocraties de crédules », où prospèrent le faux, le mensonge et le n’importe quoi (pour reprendre les titres de deux ouvrages de Gérald Bronner), il n’est donc peut-être pas inutile de rappeler une distinction essentielle faite en classe de 3e (élèves ayant normalement 14-15 ans) dans le cadre de l’enseignement portant sur l’esprit critique et scientifique.

Ce qui nous importe ici, ce sont les savoirs, qui s'appuient « sur des données et des faits objectifs, concrets et rationnels qui peuvent être justifiés, prouvés et qui sont validés collectivement », à la différence d’une croyance qui est une certitude individuelle et subjective qui peut reposer sur l'autorité ou sur la confiance, mais qui n'a pas été validée de façon objective, ou d’une opinion, qui peut elle être débattue. Cette dernière repose sur de multiples fondements, plus ou moins objectifs et rationnels : des savoirs, des croyances, des informations de sources diverses, des vécus individuels ou collectifs, ou encore des données culturelles et sociales.

Ainsi, malgré le mal qu’en pensent les créationnistes, la théorie de l’évolution est le savoir reconnu vrai aujourd’hui pour expliquer la diversité des formes de vie rencontrées dans la nature, en particulier l'Homme, ce « Mammifère rangé dans l'ordre des Primates », car elle s’appuie sur sur des données et des faits objectifs, concrets et rationnels qui peuvent être justifiés, prouvés, et qu’elle est validée collectivement par la communauté de spécialistes, les chercheurs dans le domaine, utilisant la méthode scientifique. Cette théorie s’est enrichie depuis Darwin mais n’a jamais été remise en cause ou réfutée.

Le créationnisme est lui une croyance religieuse d’origine protestante, selon laquelle les animaux, l'homme et tout ce qui existe, ont été créés par un dieu. Cette croyance se fonde sur les récits de la création du monde dans la Bible et notamment la création des espèces à partir de rien. Pour ses tenants, le créationnisme est vrai, pour nous ce n’est qu’une croyance, non justifiée rationnellement et de ce fait ne pouvant être réfutée, car elle ne répond pas aux critères de définition d’un savoir.

La défense du droit au suicide assisté en fin de vie qui a été discutée dans une convention citoyenne en France est pour l’heure une opinion reposant sur des arguments plus ou moins objectifs et rationnels. Pour le philosophe Frédéric Worms, dans une commission d’éthique ayant pour mission de produire des recommandations, il s’agit, en débattant démocratiquement, de concilier faits médicaux et différentes éthiques, à savoir des positions subjectives sur le juste et le bien (la liberté du patient, la bienveillance du médecin...).

 

 

En conclusion

 

En 2018, dans une émission de France Culture « Faut-il renoncer à la vérité ?», le philosophe Frédéric Worms résume en quelque sorte le propos de ce billet et lui apporte sa conclusion.

Il donne « la définition la plus classique de la vérité, parfois contestée mais indépassable : la vérité est l’accord du discours humain avec la réalité », en donnant l’exemple très simple d’Aristote, l’énoncé «il pleut » est vrai s’il pleut, il est faux s’il ne pleut pas. La vérité est une propriété du discours qui doit être cohérent, mais « la question se corse avec des faits non directement observables, passant par des médiations. Dans ce cas, il faut dans le même temps avoir confiance dans ce discours et celui qui parle, sinon il n’y a plus de vérité possible. Aujourd’hui, la crise de la vérité est d’abord une crise de confiance entre les hommes eux-mêmes, tout se joue là. »

Reste que la vérité est un processus et qu’on a le droit de la critiquer, ne serait-ce qu’en raison de l’existence d’erreurs, de plagiats, de conflit d’intérêts… Et, « il ne faut surtout pas sacrifier la critique au nom du complot. Le complot c’est le délire et la perversion de la critique. Le problème, c’est de comprendre quand une critique est légitime, quand elle est délirante, quand une critique est fondée sur la recherche de la vérité ou sur la destruction de la vérité, quand une critique est fondée sur la construction de la confiance ou sur la destruction de la confiance. Le critique délirant, sommairement paranoïaque, est malheureux et méchant. Il ne s’arrête jamais, il soupçonne toujours. Le critique constructif s’arrête un moment donné, il dit « ça c’est bien, là on est d’accord, là pas ». Il fait la part de l’accord et du désaccord, et ça c’est la science, c’est la philosophie, c’est la politique. Celui qui commence à vous dire tout le monde vous ment, là on est dans le délire. »

 

Les reines de RuPaul's Drag Race saison 9
Les reines de RuPaul's Drag Race saison 9

 

 

Bande-annonce du film "Anatomie d'une chute" réalisé par Justine Triet, avec Sandra Hüller, Swann Arlaud, Antoine Reinartz

 

Post-scriptum à propos du traitement médiatique de l'affaire von der Leyen - Pfizer et des documentaires d'Arte sur les vaccins

 

En joignant l’édito du 15 février 2023 de Vincent Hervouët titré « Ursula von der Pfizer ? » sur Europe 1, mon frère Melvil se demandait à juste titre sur Whatsapp : « comment se fait-il qu’aucun des 900 journalistes basés à Bruxelles n’ait mené une enquête sur un sujet valant des milliards ? Et qu’il ait fallu attendre qu’un journal étasunien se saisisse de l’affaire... »

Les enjeux de l’affaire, que résume très clairement Michèle Rivasi, députée européenne (Les Verts), vice-présidente de la Commission spéciale sur le Covid 19, dans une entrevue avec le journal L’Humanité, sont de la plus haute importance : alors qu’a été révélé en décembre 2022, une affaire de corruption de plusieurs parlementaires européens, le Quatargate, il s’agit de savoir comment a été passé par la Commission européenne, et manifestement révisé pour un montant de 35 milliards, dans la plus totale opacité, le plus gros marché public de l’UE avec le laboratoire Pfizer, marché financé, rappelons le, par les impôts des contribuables européens. Le deuxième enjeu est de parvenir à ce que la Commission, et en premier lieu sa présidente, Ursula von der Leyen se soumettent à leurs obligations de rendre des comptes dans le cadre juridique prévu par le traité constitutionnel. Enfin, le troisième enjeu est de restaurer la confiance dans les institutions et la démocratie européennes, alors qu’auront lieu de nouvelles élections européennes l’année prochaine.

Après une recherche sur le web (Google voire aussi le moteur de recherche des titres), il s’avère que finalement il y a bien eu une couverture médiatique suite à la saisie de la Cour de justice de l'UE par le New York Times, en février 2023 (Atlantico, Marianne, Ouest France, ...), mais pas un seul mot dans le quotidien le Monde auquel nous sommes abonnés, ni dans l’hebdomadaire l’Express que nous achetons régulièrement. Le Monde a publié un seul article de son correspondant UE à Bruxelles en juillet 2022, à l’occasion du communiqué de la médiatrice de l’Union qui avait été saisie sur cette affaire, dans lequel elle concluait qu’il y avait eu « une mauvaise gestion administrative ». Fermez le ban ! Depuis, plus rien de la part du quotidien de référence.

Comme l’écrivait judicieusement l’auteur du seul article de l’Express sur le sujet le 29 janvier 2022, c’est à dire un an avant, on voudrait « donner du grain à moudre aux théories complotistes sur les vaccins anti-Covid-19 » (mais aussi à la défiance à l’égard de ces médias), qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Toujours sur le sujet des vaccins, on doit sans doute au fait qu’Arte soit pour partie allemande la diffusion de deux documentaires hautement dignes d’intérêt, « Des vaccins et des hommes » désormais visible pour 3 euros depuis la boutique ou gratuitement sur odyssee.com, et « Vaccination anti-Covid : vivre avec les effets indésirables », qu’on peut regarder en streaming sur arte.tv jusqu’en 2024, qui autorisent tous deux le doute sur la pertinence de la politique vaccinale de la France, et de la stratégie vaccinale anti-covid déployée dans la plupart des pays.

Si l’Express n’a pas manqué de se faire l’écho du premier documentaire pour le disqualifier par un papier de notre "Monsieur vaccin" anti-covid, le Pr Alain Fischer, qui a tribune ouverte à l’Express, rien dans le Monde. Pour le deuxième documentaire sur des jeunes dont la santé et la vie ont été foutues en l’air par la 2e dose de vaccin, c’est le blackout médiatique complet.

On ment également par omission. Avec une population éduquée, ça ne marche plus. Les médias de référence regagneront leur crédibilité auprès de la population qui ne leur fait plus confiance, en abandonnant le mépris et l’anathème qu’ils leur manifestent en niant des faits et en refusant d’engager le débat. "La vérité est un processus".

 

Jacques Dutronc - On Nous Cache Tout, On Nous Dit Rien 1966

 

 

Tyga (Starring Diddy) - Real or Fake (2011)

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