Reines et princes de beauté
Publié le 25 Décembre 2023
Je me dois de remercier la principale station de radio du service public de m’avoir sorti des atermoiements dans laquelle je me trouvais avec mes quelques idées de billets sur des sujets plus ou moins plombants. Contre toute attente, sa couverture de l’élection Miss France m’a inspiré.
Les appâts du beau sexe me laissant de marbre, j’avais seulement en tête, « la dame au chapeau » et au tailleur noir et blanc, qui l’âge venu, me faisait irrésistiblement penser à un travelo.
Dans une archive INA de 1979, Geneviève de Fontenay, énonçait ce que devait être Miss France : «le reflet de la jeune fille française saine de corps et d’esprit ».
Miss France était alors élue par les spectateurs du Prix qui la choisissaient parmi une cinquantaine de candidates préselectionnées des différentes provinces, car, selon Mme de Fontenay, « il est certain que les jeunes filles du nord ou de l’est sont tout à fait différentes des jeunes filles du midi ou d’autres régions de France. » Á la question sur les critères de sélection de ces jeunes filles, la présidente du Prix répondait : « Finalement, c’est une sorte d’harmonie générale des proportions, bien sûr des proportions harmonieuses du corps mais également un visage expressif ; il est certain que c’est très difficile de dire qu’il y a des normes : ça ne se définit pas vraiment la beauté. »
1979 : Geneviève de Fontenay donne les critères pour devenir Miss France | Archive INA
Être beau, c'est quoi ? France Culture 2018 (3'33)
Ne trouvez-vous pas bizarre que tout le monde cherche à être beau physiquement ? Et qu’il est à la portée de n’importe qui d’être beau moralement, et que personne n’en fait la gymnastique.
Il fallait alors impérativement avoir 17 ans dans l’année qui suivait l’élection, car c’était un critère pour pouvoir participer aux concours internationaux («il n’est pas rare de voir des jeunes filles qui ont à peine 15 ans et qui ont déjà un développement physique tout à fait de femme presque, elles ont l’air déjà de femmes »). Tous les artifices sont interdits : coloration, faux-cils, les perruques, les faux seins... Geneviève de Fontenay de répéter : « En effet, Miss France doit être le reflet de la jeune fille française saine de corps et d’esprit
Son propos sonne délicieusement désuet au regard de ce qu’est devenu Miss France en 2023. On oublie la beauté « française ». Mondialisation oblige, les canons de beauté pour concourir se sont mondialisés et modernisés. Désormais, on peut être en couple, mère, tatouée, transgenre avec un état civil féminin, la coupe de cheveu libre, et avoir de 18 à 28 ans. L’âge minimum a augmenté d’une année ; certains comités locaux ont maintenu la limite d’âge à moins de 24 ans, ce qui facilite la comparaison entre jeunes femmes à l’apogée de leur beauté physique.
La taille continue à être discriminante : la jeune femme doit mesurer au moins 170 cm sans talons. Mais pas de critère d’IMC, les girondes et sans formes conservent une chance (théorique) de gagner. La chirurgie esthétique (sauf réparatrice) continue à être interdite.
Signe des temps également, le jury, qui choisit la gagnante à parité avec les téléspectateurs, est composé exclusivement de femmes. Il s’agit par cette réforme structurelle d’éviter le côté « foire aux bestiaux » où le jugement des hommes rendraient aujourd’hui le concours intolérable pour les néoféministes. Toujours pour ne pas faire du physique le seul critère de choix, « l’élocution, le comportement et des tests de culture générale » comptent pour la présélection. Ainsi, Frédéric Gilbert, producteur et Directeur général de la société Miss France, veut croire que « ce qui joue aujourd’hui, ce sont les discours des candidates. »
En réponse à la vague de critiques et méchancetés à l’adresse de Miss France 2024 (coupe de cheveux trop courte, à la garçonne, corps trop maigre, trop androgyne), il a enfoncé le clou en affirmant : « Eve (Gilles) n’a pas gagné la couronne parce qu’elle a des cheveux courts, mais par rapport à un discours, par rapport à des idées, par rapport à l’image qu’elle a dégagée. »
La direction plus « inclusive » prise par le concours Miss France en s’ouvrant à des représentations plus diverses du corps des jeunes filles et femmes, amène la journaliste Salomé Saqué, favorable à la suppression du concours, à remettre en cause le concept du concours de beauté sur la base du physique, et à juste titre : « si tous les corps sont représentés, pourquoi maintenir le concours des Miss ? »... « dont les critères de beauté pèsent sur les femmes » (fin de mon assentiment car la tyrannie des apparences pèse de nos jours pareillement sur le sexe fort). Cette course à l’inclusivité va dans le mur, alors autant assumer que de tous temps, l’humanité a célébré la beauté, quand bien même les critères esthétiques valorisés chez les femmes ont énormément fluctué dans le temps et dans l’espace, en fonction de critères socioculturels !
En effet, la beauté est une expérience émotionnelle qui fait souvent consensus. « En condition expérimentale dénuée de tout contexte, quels que soient l’âge du participant, sa culture d’origine ou son morphotype, on observe par imagerie cérébrale que les mêmes zones du cerveau, celles de la récompense et du plaisir, s’activent devant les photographies de beaux visages, anonymisés et neutralisés. » Notre expérience vécue de la personne vient moduler la première impression purement esthétique qu’on a eue d’elle.
Et ça commence très tôt… Une psychologue s’est livrée à une expérience : «Dès trois jours, les bébés fixent plus longtemps les jolis visages que les autres.» C'est l'insondable pouvoir de la beauté.
Ainsi, dans Le Poids des apparences (2002), le sociologue Jean-François Amadieu montrait la prégnance de l'apparence physique sur les trajectoires individuelles, notamment dans le monde du travail, aussi bien pour les femmes que pour les hommes. C’est probablement l’inégalité la plus insidieuse, source de discrimination, pour autant, on peut craindre que tenter d’en pourchasser les effets soit voué à l’inefficacité, et ce d’autant que les gens beaux sont l’exception et que leur beauté est rarement seulement physique.
Dans les deux programmes de France Inter que j’ai écoutés sur le concours Miss France, les animatrices, sans doute par souci d’égalitarisme, ont posé la question qui me taraudait : « à quand un Mister France ? »
On a ainsi appris que Mister France existait mais que ça ne marchait pas, que ça ne faisait pas d’audience. J’ai cru comprendre que ça n’intéressait pas les mecs, alors que Miss France suscite l’intérêt des deux sexes. Du coup, la faible couverture médiatique laisse l’évènement dans la confidentialité.
Pour Léa Salamé, ça ne marche pas « parce que les femmes sont plus belles ». Quelle fatuité ! Et Frédéric Gilbert, soudain oublieux de son affirmation péremptoire de prééminence du discours sur le physique, d’abonder dans son sens : « les femmes sont plus belles, parce qu’il y a le côté un peu on s’habille, on peut mettre plein de costumes différents ; un homme, vous allez le faire défiler en slip ou en costume, ça n’a aucun intérêt. »
Á ce niveau de considération, autant rester entre amateurs assumés de la beauté masculine, c’est un Mister Gay qu’il faut lancer. En fait, j’aurais dû m’en douter, ça existe déjà depuis un bail dans de nombreux pays et il y a même un Mister Gay Europe et un Mister Gay Monde.
Qu’à cela ne tienne, sur Tumblr, mes abonnements m’apportent chaque jour des tombereaux de photos de très beaux garçons, de temps à autre, j’ai un « coups de coeur » que je tague « laiderons » : mes princes de beauté à moi.
Mister France 2023 : on a assisté à l'élection du plus bel homme de France (BFM TV)
Comment naît le sentiment du beau, France Culture 2022 (6'49)
Affaires de goût - LES NOTES GAY de Thomas
Comment explique-t-on que la notion de goût englobe aussi bien une passion culinaire, une inclination sexuelle, un choix artistique ? Dès son apparition, attestée au XIIIe siècle dans la langue...
https://notesgaydethomas.over-blog.com/article-26025661.html