« Penis horribilis » à l’ère de la victimisation

Publié le 10 Juillet 2024

 

David-Hockney, Peter Getting out of Nicks Pool, 1966, acrylique sur toile 84x84
David-Hockney, Peter Getting out of Nicks Pool, 1966, acrylique sur toile 84x84

 

Un accusé est cuit quand son avocat n'est pas cru.

Pierre Dac

 

*L’accusé souhaitant sans doute se faire enfin oublier, son prénom et la première lettre de son nom ont été modifiés.

 

Je ne connaissais pas Claude D., mais il me fait vraiment pitié : je ne peux m’empêcher de compatir à l’ignominie qui le frappe depuis que s’étale dans les médias le rappel de cette nuit d’été d’août 2020, dans sa villa avec piscine sur une île grecque non loin d’Athènes, où il a dérapé avec son filleul, le fils d’un couple d’amis de longue date.

Deux mois après les faits, en octobre, le garçon déposait une plainte pour agression sexuelle et tentative de viol. Deux ans plus tard, en septembre 2022, le parquet de Nanterre écartait la qualification de « tentative de viol», et l’affaire d’agression sexuelle était renvoyée devant un tribunal correctionnel. Le 28 juin, les juges de Nanterre viennent de le condamner à trois ans d’emprisonnement, dont un an ferme, à effectuer sous bracelet électronique chez lui, une peine plus sévère que la réquisition de la procureure qui était déjà de 3 ans d’emprisonnement avec sursis. Ils ont également prononcé une peine complémentaire de cinq ans d’inéligibilité et une interdiction (utile ?) de contact pendant trois ans avec la victime, qui se voit aussi allouer, pour compensation du préjudice subi, 10 000 euros. Le condamné a immédiatement démissionné de son poste de directeur de l’établissement public qu’il occupait, et fait appel de la décision.

 

Atteinte sur mineur ?

Quand j’ai entendu parler de cette « affaire de mœurs », j’ai immédiatement pensé à « la Familia grande », récit dans lequel Camille Kouchner révèle que son beau-père s’invitait dans la chambre de son frère jumeau, alors âgé de 13 ou 14 ans, j’ai ainsi tout de suite recherché l’âge du plaignant.

 

Carlos Alcaraz, Roland Garros 2024 (21 ans)
Carlos Alcaraz, Roland Garros 2024 (21 ans)

 

Dans un article récent, les Échos et France 24, lui donnent 19 ans, mais la plupart des articles indiquent qu’il avait 21 ans (le rajeunir rajoute sans doute au scandale), tandis qu’on peut déduire du compte-rendu d’audience du Figaro qu’il pouvait en avoir 22. Bref, le plaignant avait la petite vingtaine tandis que l’accusé en avait 50 ans, précisent plusieurs articles, sans doute pour souligner par l’écart d’âge, la gravité de ce qu’il s’était passé (« de 29 ans son cadet », un poil plus grand que celui entre Emmanuel et sa femme). Pour moi qui suis né dans les années soixante, à cet âge là, on est, me semble-t-il, normalement de taille à se sortir d’une situation qui prend un tour inattendu qui nous déplaît, fût-ce avec un proche. Je m’en réfère à mes souvenirs, mais aussi au fait que c’est un âge que je connais assez bien depuis plus de trente ans, puisque mes étudiants sont en général à peine plus jeunes.

Que s’est-il au juste passé cette nuit d’été entre le plaignant et le condamné ?

Le garçon rentrait tout juste de trois années d’études à Londres et s’apprêtait à partir pour Séoul, en Corée du Sud, poursuivre son cursus universitaire. En grandissant, il a développé « une admiration sans borne pour celui qui l’emmène voir des films, explorer les musées et l’aide à trouver des stages pour lancer sa carrière. C’est un «second père» pour le jeune homme qui a une «confiance absolue» en lui, surtout après le soutien que Claude D. lui a apporté quand il a révélé son homosexualité à sa famille. »

 

Corcovado (Quiet Nights Of Quiet Stars) Stan Getz · João Gilberto · Astrud Gilberto

 

Ce soir là, après un dîner bien arrosé à cinq au restaurant, chacun rejoint sa chambre, sauf Claude D. et le jeune homme qui prolongent la soirée au bord de la piscine. Ce dernier raconte que Claude leur sert de plus en plus de verres avant de lui proposer un bain de minuit. Le jeune homme, ultra-pudique, se laisse convaincre car les lumières de la piscine sont éteintes. À la lueur des premiers rayons du soleil, le jeune homme sort de la piscine, enroule une serviette autour de sa taille et s’attarde sur la beauté du paysage. L’étoffe glisse malencontreusement de ses hanches, le laissant nu sous les yeux de son parrain. « Très beau tableau », s’amuse Claude D. qui immortalise la scène avec son smartphone. Et vient enlacer le jeune homme, qui gêné par cette étreinte équivoque, part se coucher. Mais Claude D. le suit dans sa chambre et s’allonge à côté de lui en « disant qu’il est très fatigué. » Le jeune homme raconte : «  Il commence à parler de notre relation, en insistant sur le fait qu’on a une relation incroyable, que c’est fou, que c’est dingue, que c’est quelque chose à protéger. En disant ça, il commence à se rapprocher de moi. […] Il pose sa bouche sur la mienne et a tenté d’y introduire sa langue. Moi, je ne fais rien pour le relancer, je reste stoïque.» Le jeune homme poursuit «Je sens qu’il commence à s’exciter, sa respiration s’intensifie. Il est complètement en train de se frotter contre moi. Je me rends compte qu’il est nu. […] Tout se passe très vite et je n’arrive pas à me dégager. Il m’embrasse sur le cou, sur le torse.» L’homme commence ensuite à le masturber « violemment ». A son tour, le jeune homme dit l’avoir masturbé pour qu’il arrête de le toucher. L’homme tente alors de lui imposer une fellation. Malgré son insistance, le jeune homme refuse, prétextant vouloir dormir.

 

 

Alton Mason, modèle, 21 ans, photo Alex Hodor
Alton Mason, modèle, 21 ans, photo Alex Hodor

 

Parole contre parole

Claude D. nie bien évidemment ce récit du jeune homme, qu’un lecteur du Figaro trouve « limite érotique », et ne reconnait que des « baisers consentis » initiés par son filleul dans la confusion d’une fin de nuit lourdement alcoolisée. A l’appui de son récit, il met en avant son hétérosexualité, qu’il refuse toutefois de voir vérifiée par expertise, et qui n’était sans doute pas aussi inébranlable qu’il le prétend puisqu’il a été trouvé dans son téléphone des fils de conversation ouverts, mais vides, avec des jeunes hommes posant torse nu. En outre, il retourne carrément la situation en laissant entendre que le jeune homme « était amoureux de lui ». Dans une déposition, il soutient que le jeune homme l’a entraîné dans sa chambre qu’il a fermée à clé, avant de lui demander de l’embrasser pour lui dire bonne nuit . Il se serait ensuite blotti contre lui et se serait mis à le caresser en lui chuchotant qu’il ne «pouvait rien contre l'attirance des corps». L’homme aurait alors mis un terme à leur rapprochement.

Dans ce genre d’affaire de mœurs, en l’absence d’autre moyen de preuve, c’est « parole contre parole ». Si je comprend la ligne de défense de Claude D. devant un tribunal pour essayer de prendre moins cher, comme les juges, j’ai l’intime conviction que seul le jeune homme dit la vérité de ce qu’il s’est passé cette nuit-là.

 

 

Kit Butler en 2019  (21 ans) Risbel Magazine janvier 2020
Kit Butler en 2019 (21 ans) Risbel Magazine janvier 2020

 

Un manque certain de présence d’esprit

En revanche, deux points, qui ne sont pas relevés dans les compte-rendus de l’affaire, m’interrogent. Pourquoi le jeune homme n’a-t-il pas menacé son parrain de réveiller toute la villa s’il ne quittait pas immédiatement sa chambre ? Même bourré, on peut penser que son parrain se serait exécuté.

A la place de cette saine réaction de défense, je lis : « Le jeune homme ne parvient pas à crier. Il est tétanisé et a peur de réveiller les autres occupants de la maison. »  Du coup, il masturbe Claude pour qu’il arrête de le toucher ». C’était effectivement une manière de calmer l’agresseur si elle est couronnée par une éjaculation, toutefois il me semble que la simple menace de réveiller la maison eût été bien moins embarrassante.

« L’abus d’autorité et la notion d’emprise qui ont été reconnus par les tribunaux » invoqués par l’avocate du plaignant suffisent-ils à expliquer ce manque de présence d’esprit (l’état de sidération possible du plaignant n’est pas évoquée), et se faisant d’exonérer le jeune homme de toute liberté et responsabilité, deux attributs fondamentaux de la nature humaine ?

 

Claude D. reconnaît avoir « merdé »

Quoi qu’il en soit, comme l’a avoué Claude D., il a sérieusement « merdé » cette nuit-là, mais aussi dans la manière d’essayer de « gérer », autant que possible, les lendemains.

 

Jake Preston Fucks Joey Mills from TwinkPop
Jake Preston Fucks Joey Mills from TwinkPop

 

A sa place, il me semble que j’aurais dit à mon filleul un truc du genre : «j’espère que tu voudras bien me pardonner pour hier soir, je ne sais pas ce qu’il m’a pris, j’étais complètement bourré. Je te promets que jamais cela ne se reproduira. J’espère vraiment qu’avec mes conneries, je n’ai pas gâché la belle relation que nous avons depuis toujours, j’y tiens beaucoup. Quand on sera tranquille, si tu veux, on peut en parler. » Au lieu de cela, l’homme ne trouve rien de mieux, selon le jeune homme, que d’entrer dans la salle de bains alors qu'il s'y trouve, de lui faire un câlin et de l'embrasser sur la bouche, « pour le mettre à l’aise » selon Claude D.. « Il lui glisse au passage qu'il a prétexté auprès de sa femme, qui l'a surpris à l'aube en train de sortir de la chambre de son filleul, avoir dû le raccompagner en raison de son ivresse ». « Vous embrassez souvent les enfants de vos amis sur la bouche ? », n’a pas manqué de faire mine de s’étonner la présidente du tribunal.

Lorsque le jeune homme le rappelle quelques jours après avoir quitté l’île pour lui dire combien il est mal depuis cette soirée, dans un échange enregistré, l’homme se retranche derrière l’alcool et l’orientation sexuelle du jeune homme : «On avait beaucoup bu, on est proches et … Il y a quelque chose de bizarre qui s'est passé qui est lié à ta sexualité et moi j'ai beaucoup d'amour pour toi. Ça s'est concrétisé comme ça parce qu'on était complètement ivres.» Dans une succession de messages, l’homme minimise les faits tout en insistant pour que son filleul garde le secret sur cette nuit car « personne n’est en mesure de comprendre la forte relation qui les unit », tout en lui proposant de venir vers lui s'il ressent le besoin de se rapprocher physiquement. Croit-il vraiment à ce qu’il lui dit ou le manipule-t-il sciemment avec le retournement de la « faute » qu’il lui fait porter ?

 

 

 

Gore Vidal et Chad White photographiés par Steven Klein pour L’Uomo Vogue 2006
Gore Vidal et Chad White photographiés par Steven Klein pour L’Uomo Vogue 2006

 

 

L’issue tragique, inéluctable

Au bout du compte, toujours aussi mal, le jeune homme confiera son tourment à ses parents, qui couperont immédiatement les ponts par texto avec leur vieil ami, non sans en avertir leurs connaissances communes, lequel continuera pour se défendre à dire à qui veut bien l’entendre que le jeune homme « a développé des sentiments amoureux à son égard qui ont pu contribuer à une mauvaise interprétation de cette soirée ».

Dans les trois semaines qui suivent, le jeune homme développe des « troubles anxieux et des symptômes post-traumatiques », selon le psychiatre qui l’expertise, qui lui provoquent des vomissements lui faisant perdre près de 10 kilos. Ce dernier préconise le dépôt d’une plainte pour crever l’abcès, ce que fait le jeune homme en octobre 2020. Au même moment, l’établissement public dont Claude D. est le directeur lance une formation pour prévenir les violences sexuelles, le plaçant dans une situation pour le moins inconfortable, en dépit de sa présomption d’innocence.

Au terme de quatre ans de procédure infamante conduisant à sa condamnation, à 54 ans, Claude D. se trouve en état de mort sociale  : il a perdu son honneur, ses amis, peut-être son épouse, son travail,… Une véritable tragédie. J’espère que cela suffira à la « reconstruction personnelle » du jeune homme. Pour autant, au regard des faits certes scabreux, comme certains commentateurs (minoritaires) des articles rapportant l’affaire, je ne peux me départir de l’idée, d’une part qu’ils n’avaient pas à être étalés « en justice » et de la sorte dans les médias (le fait qu’il soit « un homme  puissant » l’a sans doute desservi par une surexposition), et d’autre part que les juges auraient dû relever que le jeune homme avait failli dans sa résistance aux assauts libidineux de son parrain.

 

photo Andrea Modica "Tonopah, NV" 1995 Platinum/palladium print 8" x 10"
Photo Andrea Modica "Tonopah, NV" 1995 Platinum/palladium print 8" x 10"

 

« Cette histoire entre 2 adultes est scabreuse. De là à aller au procès. » (anonyme 5638, le 14/06/2024 07:33)

S’ils ne l’ont pas fait, c’est peut-être en raison du fait qu’ils ont instruit et jugé l’affaire sur la base de textes concernant les violences faites aux femmes, notamment sexuelles, qui se sont considérablement étoffés dans les dernières décennies sous la pression des militantes féministes, et conduisant à une répression pénale de plus en plus sévère d’affaires, où la plaignante est d’emblée victime car en général supposée non en mesure de résister, ne serait-ce que physiquement, à l’agression qu’elle a subie. A cet égard, la redéfinition du viol basée sur le consentement actuellement promue à l’échelle de l’UE, si elle était adoptée, marquerait un pas de plus dans la dérive pénale à laquelle on assiste.

Comme dans d’autres domaines, on assiste ainsi également à une judiciarisation de la sexualité, à savoir, le cas échéant, d’avoir le réflexe de se considérer victime et de recourir aux tribunaux : c’est ainsi la meilleure amie du jeune homme qui met le mot « agression » sur son récit, et qui le convainc d’appeler Claude D. et de l’enregistrer, après l’avoir aidé à lister ce qu’il allait dire, moment également enregistré. Sans cet élément et les captures d’écran de messages destinés à s’effacer sur WhatsApp, il n’y aurait pas eu d’éléments tangibles, selon la procureure. Au passage, je note que le personnel de justice était fortement genrée puisque le président du tribunal était une présidente, le procureur une procureure, l’avocat du plaignant une avocate, ôtant toute chance à l’accusé d’avoir un regard masculin sinon plus indulgent, au moins plus neutre sur cette « agression sexuelle ».

 

 

Pour conclure, il m’est revenu le documentaire que Rodolphe Marconi a consacré à Karl Lagerfeld en 2012, dans lequel le couturier confiait :

J’ai pratiqué très tôt mais ça c’est des détails que je garde pour moi. [...] Moi j’étais pratiquant à partir de 13 ans. [...] ça ne me paraissait pas grave, je ne voyais pas le sujet puisque c’était accepté. [...] Je racontais tout, et je me souviens quand j’avais 11-12 ans, un été j’avais été attaqué par un monsieur ou par une dame ; ça se faisait beaucoup, les allemands sont assez comme ça [...] Vous savez ce que ma mère m’a dit ? « Mais c’est affreux tu t’es regardé ? Tu n’as qu’à te comporter de manière plus discrète et ça ne t’arrivera pas, c’est de ta faute. [...]

Karl Lagerfeld

 

Buste sur stèle funéraire 200-210AC - musée archéologique de Thessaloniki (août 2022)
Buste sur stèle funéraire 200-210AC - musée archéologique de Thessaloniki (août 2022)

 

 

Lescop - Les garçons

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J
C'est bien vrai, l'Enfer est bien pavé de bonnes intentions ! Bon courage aux jeunes d'aujourd'hui... <br /> On ne rigole plus.<br /> <br /> Peut-être aussi parce que nos humoristes ont eux-mêmes perdu tout sens de... l'amour ?<br /> Souvenons-nous de ce grand homme qui nous a séduit autant qu'il nous a fait rire et aussi réfléchir quand nous, nous étions jeunes.<br /> https://www.youtube.com/watch?v=gDq690t6u_M<br /> https://www.raymond-devos.org/le-musee/<br /> Et puis n'oublions pas Gainsbard, avant qu'il soit à son tour voué aux gémonies.<br /> https://www.youtube.com/watch?v=s8YtWnHNUZo<br /> https://www.maisongainsbourg.fr/<br /> <br /> Merci de vos belles chroniques, Thomas
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T
Merci à vous Jean-Jacques pour ce commentaire et votre compliment, qui me font d'autant plus plaisir que je me demande parfois si mon soliloque ne revient pas à "parler pour ne rien dire", tout en évitant soigneusement de parler de "la situation" : <br /> https://youtu.be/hz5xWgjSUlk?feature=shared<br /> (j'avais oublié "le penseur", quel génie du "non sense" !)<br />