Caligula et Ludwig de retour à l’écran cet été
Publié le 27 Août 2024
Deux films « biographiques » hénaurmes, réalisés dans les années 1970, sont réapparus sur les écrans cet été dans des versions restaurés-allongés-remontés : le Caligula de Tinto Brass et le Ludwig de Luchino Visconti. Chez le premier, la démesure du pouvoir qui terrifie, sans limite, pleine de sang et de sexe, chez le deuxième, le pathétique de l’homosexualité refoulée mais sublimée dans la musique de Wagner et dans la construction de merveilleux (et ruineux) châteaux. Tous deux avaient toutefois en commun un sérieux pète au casque qui les conduisait inexorablement à leur perte.
Caligula -The Ultimate Cut
Il faut un sacré sens de la décadence pour passer ça sans « X »…
Le Caligula réalisé en grande partie par Tinto Brass et produit par le magnat Bob Guccione, fondateur du magazine de charme Penthouse, fait partie de ces films scandaleux des années 1970. Comme le Salo, ou les 120 jours de Sodome de Pier Paolo Pasolini (1975), il échappa au classement X, alors que l’hyperviolence et les scènes de sexe qui y sont données à voir m’ont durablement marqué. La conduite de ce projet, le plus coûteux de l’époque, fut chaotique et faillit ne pas aboutir en raison des divergences de vue des trois porteurs du projet concernant ce que devait être ce film. Il revient à Gore Vidal, le 3e larron, l’écriture du scénario original inspiré de « la vie des 12 Césars » de Suétone, cependant, ce dernier fut largement retoqué par Brass qui n’appréciait pas la place prépondérante donnée à l’homosexualité.
Le tournage commença en août 1976 et le film fit sa première sortie en novembre 1979 en Italie, en février 1980 aux États-Unis, et en juillet 1980 en France (amputé de 25 minutes), auréolé du parfum de scandale d’être un « péplum porno », malgré un montage ayant remisé les séquences qui l’auraient fait classer dans cette dernière catégorie.
Le film m’avait suffisamment ému dans ma jeunesse pour que je ne résiste pas à aller voir ce nouveau montage. La plupart des scènes « gore » ont été conservées : la machine à décapiter les condamnés enterrés dont le public du cirque s’amuse à viser préalablement la tête avec des projectiles divers (œufs, tomates…), une sentinelle surprise ivre à son poste à qui l'urètre est liée avec le lacet de sa sandale, que l’on noit de vin à l’entonnoir, avant que Tibère ne le vide en le transperçant comme une outre d’un coup d’épée, le dépucelage des deux jeunes mariés par le chibre impériale pour Livia et le doigt portant le sceau trempé dans la crème pour Proculus (mais pas son supplice et son émasculation qui suit peu de temps après dans la première version)…
En revanche, du côté des images de stupre, le corps des hommes a disparu avec ce nouveau montage, pas le moindre appendice en action ou au repos, ni fessiers, y compris dans le bordel de Tibère à Capri, ou dans la galère impériale où les femmes et filles des sénateurs dont les biens sont confisqués, sont prostituées sur ordre de Caligula ; la luxure prend exclusivement la forme de femmes nues gémissantes, paraissant se lutiner les unes les autres ou se masturber, autrement dit des images mainstream pour hétérosexuel(le)s, plus gore que sex, très américaines (les États-Unis sont une terre conquise de manière violente par des puritains), assez ennuyeuses pour un homosexuel, bien de notre époque qui s’installe durablement dans la pudibonderie.
Caligula - The ultimate cut
Dans le même ordre d’idées, je me suis également demandé si j’avais rêvé mon souvenir de Tibère (Peter O’Toole) sortant de sa piscine en se libérant de l’étreinte de garçons nus. Dans la version 2023, il s’extrait de la piscine entouré d’un groupe de naïades et, va savoir pourquoi, d’un seul jeune homme, dont on aperçoit les jolis fesses, qui disparaît aussitôt. Peut-être confondais-je avec une case d’un album Alix ? En fait, un site consacré aux péplums, qui fournit le scénario du Caligula de 1979, mentionne bien en scène IV. « Tibère, dans sa piscine, laisse taquiner ses vieilles "génitoires" par la bouche experte de jeunes garçons ».
Aucune photographie de plateau ou capture écran n’est visible sur le web, heureusement que Robotkill a mis en ligne sur xhamster.com quelques « hardcore scenes » qui attestent que je n’avais pas rêvé.
Pour le reste, Malcom McDowell incarne à la perfection la cruauté et la folie sans limite d’« un gamin empereur s’amusant à détruire ses jouets et à se détruire » (avec parfois dans sa voix des accents de follasse). Craint de tous, il n’aime que le pouvoir,… sa sœur Drusilla qu’il n’écoute guère plus que les autres, son cheval Incitatus, et peut-être un peu, dans ce dernier montage, sa femme. Il est tellement barré, que la peur et la paranoïa compréhensibles du tyran n’ont pas prise sur lui : persuadé d’être un dieu, il se croît immortel. Tant et si bien que j’avoue avoir fini par attendre avec impatience son assassinat.
Si ce que je décris de Caligula vous fait penser, à certains égards, à un homme politique français actuel, et si vous ne le saviez pas, sachez qu’un certain Macron, commandant de la garde prétorienne de Tibère, a existé ; dans le film, ce bel homme (Guido Mannari) donne un coup de main à Caligula en étranglant le vieil empereur mourant. Ambitieux, Macron offre aussi à l’Empereur son épouse Ennia qui aime beaucoup la bagatelle (une scène la montre dans une baignoire entourée d’hommes en train de lui servir ce qui semble être un bukkake). Las, ces marques tangibles de soutien de Macron à Caligula ne lui éviteront pas d’être arrêté comme meurtrier de Tibère et décapité dans l’arène par la terrible machine. Selon les historiens, les causes de la mort de Tibère restent incertaines, mais il est établi que Macron et sa femme durent se suicider sur ordre de Caligula.
Le film est encore visible pour très peu de séances aux 3 Luxembourg à Paris, sinon il reste deux propositions de VOD pour la version de 1976, ou acheter la version en DVD, tant qu’à faire non censurée.
Ludwig ou le crépuscule des dieux
Pour mon troisième passage à Munich à l’occasion de notre voyage en vélo danubien, je ne voulais manquer d’aller faire un tour sur l’île d’Herrenchiemsee où Louis II de Bavière fit édifier le plus épatant de ses trois châteaux : une œuvre d’art à la gloire de Louis XIV qu’il admirait, nullement destinée à être habitée (le roi passa en tout et pour tout une dizaine de jours dans les 3 pièces de l’appartement privé qu’il avait fait aménager, avant d’être retrouvé mort l’année suivante aux côtés de son psychiatre). Mon frère Melvil, qui y a fait étape avec sa petite famille l’année dernière en avril, m’avait vanté avec raison l’enchantement procuré par cette visite, la traversée en bateau d’abord du lac avec à l’horizon les Alpes bavaroises, la marche d’approche à travers les champs et les bois avant d’arriver au jardin « à la française », et enfin au château. Ce jour là, ils étaient quasiment seuls, impensable en juillet mais l’affluence n’est sans commune mesure avec celle que connaît Versailles ou le château de Neuschwanstein, tous deux victimes du surtourisme.
Ça m’a donné envie de revoir « Ludwig ou le crépuscule des dieux » (1972), le chef d’œuvre réalisé par Visconti, avec Helmut Berger et Romy Schneider, où nombre de scènes ont été filmées dans les châteaux du monarque bavarois. Par chance, une version restaurée, dans sa version intégrale inédite de près de quatre heures, était projetée depuis le 31 juillet dans des salles parisiennes, notamment au Louxor dans le 10e arrondissement.
Bien que j’aie vu ce film probablement dans les années 1980, je m’en souvenais plutôt bien (mais peut-être l’avais-je entre-temps revu), ça m’a permis d’être plus attentif aux « détails », notamment ce que Visconti laisse voir et entendre du combat que Louis II a mené sa vie durant contre son homosexualité.
J’avais le souvenir très présent de cette scène homoérotique qui succède celle d’une partie de colin-maillard où le roi, les yeux bandés, reconnaît un de ses valets en lui passant les mains sur le visage : des hommes jeunes plus ou moins assoupis, parfois sur les genoux d’un camarade, le roi seul dans ses pensées avec une coupe de champagne, et même deux hommes nus en hauteur, qui me rappelle la scène précédant l’arrivée des SS de « la nuit des longs couteaux » que le cinéaste avait déjà filmé dans « les damnés ». Cette scène aussi où son confesseur s’inquiète de savoir s’il n’a pas succombé à la tentation et auquel le roi répond par la négative, tandis qu’on le voit poser un baiser sur les lèvres de son écuyer Richard Hornig endormi, dont il vient de tomber éperdument amoureux (joué par le séduisant Marc Porel, décédé prématurément d’une overdose). On peut aussi l’apercevoir plusieurs années après offrir une montre à un autre serviteur. Toutefois, et quoiqu’en dise Dominique Fernandez qui lui attribue, à mon humble avis avec bien trop de légèreté « des passades avec ses serviteurs, des bergers, des palefreniers », ni le film, ni aucun document historique ne permettent de réfuter que Louis II fût « le Roi Vierge » (à la différence de Frédéric II). Dans ses « carnets secrets », Louis II de Bavière fait allusion à son combat contre son homosexualité et la masturbation, et ne cache nullement son amour pour Richard Hornig, à propos duquel il avoue « un baiser saint et pur… une fois seulement ». Du reste, le tempérament de plus en plus solitaire de Ludwig avec sa maladie mentale, qui lui fit installer dans ses châteaux une table équipée d’un ascenseur lui permettant de dîner sans être servi, paraît peu compatible avec l’hypothèse de « sociabilité sexuelle » de Dominique Hernandez.
En ce qui concerne la version « intégrale » du film que j’ai pu voir, sans doute plus proche de celle que Visconti désirait sortir, je suis loin d’être sûr qu’il était nécessaire de nous faire assister en temps quasi réel aux derniers jours de Ludwig, avant de faire enfin défiler le générique de fin sur le visage trempé et bouffi du roi mort, mort que je dois avouer avoir attendue, une fois encore, avec une certaine impatience.
Le film ayant déjà disparu des écrans, il est désormais disponible à la location. A voir sur un téléviseur grand écran ou vidéoprojeté avec une sortie son convenable.
Bande annonce de Ludwig de Luchino Visconti
Une des "scènes d'enfants" de Schuman qu'on peut entendre dans le Ludwig de Visconti et qu'il me faudra jouer de nouveau
La danse des chevaliers du Roméo et Juliette de Prokofiev a disparu du dernier montage de Caligula