Publié le 8 Mars 2010


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Christopher Isherwood et Don Bachardy devant leur portrait peint par David Hockney
 

 


Une facture très « mode/décoration », souvent quasi publicitaire pour nous faire pénétrer l’intimité d’un professeur d’université raffiné, désespéré dans sa grande maison d’architecte après la mort de son ami de 16 ans. Un univers de belles choses et de belles personnes, toujours tirées à quatre épingles, propres sur elles comme si elles passaient leur vie entre la salle de bain et la cabine d’essayage.

 

Une vie d’esthète forcément maniaque qui fournit au réalisateur la seule occasion de nous faire rire : celle de la recherche du bon moyen de se faire sauter la cervelle sans salir alentour.

 

Va savoir pourquoi ? Peut-être à cause des lunettes que porte Georges, le « veuf », ou en raison du battage autour d’une rétrospective, j’ai pensé à l’épreuve d’un Yves Saint Laurent plus jeune qui du coup aurait survécu à Pierre Bergé. Depuis, j’ai lu que les lunettes, c’était probablement aussi du placement de produit au profit de la gamme signée par le réalisateur, Tom Ford.
 


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Tout ça pourrait laisser aussi froid que le papier glacé d’un magazine de mode, fut-elle masculine, pourtant...

 

Oui. Nicholas Hoult ne me laisse jamais tout à fait indifférent, même si je me suis retenu d’hurler : « qu’on embastille le maquilleur ! » puis « enlevez-lui tout de suite cet autobronzant » ou encore  « mettez lui quelques points noirs ou un poing dans la figure, trop « clean », trop lisse cette jolie petite gueule ! »

Dans un autre genre, Jon Kortajarena devrait pouvoir faire autre chose de sa vie que mannequin et/ou escort-boy.


Où en étais-je ? Ah, oui, l’esthétisme du film ni ne lasse, ni n’empêche l’émotion. Nous sommes sortis conquis. La qualité du jeu des acteurs, du montage du récit en trois « couleurs » (désaturé, saturé, noir et blanc) ainsi que la musique y sont sans doute pour quelque chose. Peut-être aussi le fait que l’histoire de Gabriel  et Thomas a le même âge que celle de Georges et Jim...


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Vingt ans plus tôt, presque jour pour jour (« 03/02/1990 » ai-je écrit à côté de mon nom), je lisais Un homme au singulier de Christopher Isherwood dont le film est une adaptation.

 

Une relecture en diagonale du livre permet de constater la relative fidélité du film dans la narration ou les dialogues, ce qui n’empêche pas des libertés prises par la réalisation, notamment concernant le ton général du film et l’état d’esprit du personnage de Georges, moins pesant dans le livre, plus « sarcastique ». A cela, nul reproche : le cinéma a une grammaire qui lui est propre et l’essentiel de l’intérêt de l’adaptation d’une œuvre littéraire réside dans cet écart, car sinon pourquoi adapter un livre.

 

Extrait.

 

Le soir, Georges retourne à ce bar de marins où il rencontra Jim. Il tombe sur son étudiant Kenny en train d’écrire seul à une table.

 

Il se penche en avant, examinant Kenny avec le ravissement d’un naturaliste qui vient de reconnaître un pinson rose venu des sierras, perché sur un arbre de jardin public. [....]

 

Il (Kenny) siffle le restant de son verre en une seule et longue gorgée

-          ...C’est au sujet de l’expérience. On nous dit sans arrêt : « Quand tu seras plus vieux, tu auras de l’expérience » et on nous présente ça comme tellement important ! Quel est votre avis là-dessus, Monsieur ? Ça sert vraiment à quelque chose, selon vous ?

-          Quel genre d’expérience ?

-          Et bien... les endroits où vous êtes allé, les gens que vous avez rencontrés. Les situations que vous avez déjà vécues, ce qui vous permet de faire face quand elles se présentent de nouveau. Tous ces trucs qui passent pour vous rendre sage, avec les années.


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-          Laissez-moi vous dire une chose, Kenny. Je ne puis parler qu’en mon nom, mais, personnellement, je n’ai pas acquis la moindre sagesse. Certes, je suis passé par telle et telle chose ; et quand elles se reproduisent, je me dis : « Voilà que ça recommence. » Mais ça ne semble m’être d’aucun secours. Selon moi, avec le temps, je suis devenu de plus en plus idiot – C’est la vérité pure.

 

-          Sans blague, Monsieur ! Vous ne parlez pas sérieusement ! Vous voulez dire : plus bête que lorsque vous étiez jeune ?

-          Infiniment plus bête.

-          J’en suis soufflé... Alors, l’expérience ne sert absolument à rien ? Vous dites que c’est exactement comme si vous n’en aviez pas ?

-          Non. Je ne dis pas ça. Je dis seulement qu’on ne peut s’en servir. Mais si l’on n’essaie pas – si l’on se borne à constater qu’elle est là, qu’on la possède -, alors, ça risque d’être assez merveilleux...

-          Allons nager, dit soudain Kenny comme si toute cette conversation l’assommait.

-          Bon.

Kenny rejette la tête en arrière avec un rire sauvage.

-          Ah ! C’est formidable ?

-          Qu’est-ce qui est formidable ?

-          C’était un test. Je croyais que vous bluffiez en déclarant que vous étiez « idiot ». Aussi, je me suis dit : « Je vais proposer de faire quelque chose de dingue, et s’il y trouve à redire – même s’il hésite -, alors, je saurai que tout ça, c’était du bluff »... Vous ne m’en voulez pas de vous parler comme ça, n’est-ce pas, Monsieur ?

-          Pourquoi vous en voudrais-je ?

-          Oh ! C’est formidable !

-          Et bien, puisque je ne bluffe pas... Qu’est-ce que nous attendons ? Et vous, c’était du bluff ? [...]

 

 

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Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #ciné-séries, #livres, #culture gay

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