Publié le 4 Avril 2013

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Donna DeCesare  Mara Salvatrucha

 

 

Se Va el Caimán

 

Mais il ne pouvait pas vivre sans bruit, sans « musique », ni moi sans lui. De sorte que le lendemain je lui ai acheté un nouveau magnétophone et que j’ai supporté une autre heure de vacarme avant d’exploser et d’aller débrancher le monstre pour le balancer par la fenêtre. « Non ! » criait Alexis en ouvrant les bras en croix comme le Christ pour essayer de m’en empêcher. « Petit, nous ne pouvons pas vivre comme ça, c’est une chose que je ne supporte pas. Je préfère même que tu fumes du basuco, mais sans bruit, en silence. » Et lui non, qu’il n’avait jamais fumé du basuco. Et moi : « Moi je n’ai pas de préjugés. Ce qu’il y a, c’est que ça me casse les oreilles. »

Alors, intrigué par l’irrationalité de mon comportement, il m’a demandé si j’aimais les femmes. Je lui ai répondu que oui et non, que ça dépendait. « De quoi ? » « De leurs frères. » [...]

La virgen de los sicarios (la vierge des tueurs) de Fernando Vallejo 1994

 

Dans le dernier film de Jaoui- Bacri, au cimetière, une femme présente ses condoléances à Bacri qui vient d’enterrer son père. Elle prend congé de lui lâchant avec un grand sourire « mais souvenez-vous, ce n’est pas grave, vous allez bientôt le rejoindre ». L’ex de Bacri lui rappelle alors que cette cinglée lui avait déjà annoncé la date de sa mort, il y a une vingtaine d’années. Une date très précise dont la mère de son fils se souvient bien : le 14 mars 2013. Et le 14 mars, c’est pour bientôt…

Nul doute que je me serais abstenu de faire ce voyage si l’on m’avait fait une telle prophétie. Comme Bacri, je ne crois absolument pas à ce genre d’ânerie, mais tout de même... On ne sait jamais, cela n’aurait pas été prudent. Surtout avec un pays pareil... Non, ce jour là, j’aurais veillé à me tenir sagement à la maison, au lit, jusqu’à que ces foutues 24 heures s’écoulent.

 

 

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Christian Poveda  La vida loca

 

D’autant que plus l’échéance du départ se rapprochait, moins j’avais envie de partir. D’envie, me taraudait seulement celle, habituelle en cette période de l’année, d’aller passer une semaine au ski dans les Alpes.

Comme je m’en plaignais, mon frère Jonathan se rit de moi sur le blog familial : «Allez ! On peut skier en Colombie... En Colombie britannique ;-)».

Des années que je résistais sur l’Amérique Latine depuis cette première et dernière virée au Mexique (bien avant que ça ne devienne le bordel que c’est devenu), jusqu’à cette soirée arrosée de quelques bons verres de vin en compagnie d’amis néo -retraités pétants la forme, au cours de laquelle Gabriel n’en crut pas ses oreilles lorsqu’il m’entendit répondre à leur proposition : « Le Chili ? Pourquoi pas ? Ma nièce Fiona ne vient-elle pas d’y passer quelques mois ? »

Peu de temps après, Colette et Mathieu, soutenus par le reste de l’équipée, me faisaient signer pour la Colombie avec un appât de quelques jours à lézarder dans une propriété dominant la mer des Caraïbes, décor parfait pour le tournage d’un biopic sur Pablo Escobar ou d’un porno « calientissimo ».

 

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Une semaine seulement avant le départ, Colette me rendit compte au téléphone de l’état des troupes : les antibiotiques venaient a priori de terrasser le « méchancoque » qui, un matin, fit se réveiller Mathieu avec le visage enflée rubicond couvert de pustules, Viviane s’était elle vautrée et partirait le bras plâtré, quant à ma copine, il lui fallait se rendre à l’évidence des résultats d’examens approfondis, ses terribles douleurs d’estomac étaient psychosomatiques. Elle ne sut rien de notre état d’esprit (j’avais fini par contaminer mon cher et tendre pourtant jusqu’alors ravi de se rendre enfin sur des terres hispanophones) et RAS du côté de Mireille, on éclata de rire.

Les avertissements de « sécurité » des guides suffiraient, je me suis interdit de jeter le moindre coup d’œil à la page « Conseils aux voyageurs » du ministère des affaires étrangères. Parmi ceux-ci, grimper à pied au sommet de la colline de Monserrate à 3200 mètres d’altitude, un must pour embrasser du regard l’immensité de Bogota, était formellement déconseillé ; on a lu également que les abords même du départ du funiculaire et du téléphérique, étaient fréquemment le théâtre d’agressions, du moins en semaine. En revanche, le week-end, quand la foule afflue vers le sanctuaire, le risque de se faire attaquer serait faible. Une première journée qui tombait pile-poil !

 

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Montée en téléphérique (choix toujours guidé par la prudence après s’être senti le souffle court en escaladant en courant l’escalier conduisant au fumoir sur le toit de l’hôtel[1]) et descente à pied mémorable, du moins pour les mollets qui durant deux ou trois jours, nous contraignirent à descendre le moindre escalier comme des vieillards podagres.

Ce dimanche, une foule, toujours bon enfant déambulait sur la « carrera septima » (7e avenue). Le jour du Seigneur elle est entièrement fermée à la circulation automobile.

Dans ce pays, une foule n’est jamais bruyante car les colombiens, jeunes ou vieux, même en groupe, semblent s’attacher à être discrets en évitant tout éclat de voix. Autant dire que les Français ont dû, non sans mal, rapidement se rééduquer ne serait-ce que pour éviter de « tendre le bâton pour se faire battre », traduction de l’expression locale « no dar papaya » (littéralement « ne pas donner la papaye »).

« No dar papaya », c’est ne pas se promener avec son appareil photo ou ses bijoux en or autour du cou (laisser au coffre ma rivière de diamants a été un véritable crève-cœur, bien davantage que de renoncer au Nikon et à ses volumineux zooms), c’est éviter de sortir sa carte bancaire ou une liasse de billets en pleine rue, c’est encore prendre un taxi la nuit plutôt que de rentrer chez soi à pied… De manière plus générale, c’est une règle de prudence et de discrétion quant à ce qu’on fait ou on dit dans l’espace public.

Avec le bras dans le plâtre de Viviane, parcourir la ville en vélo était hors de question, ce qui était bien dommage car la capitale colombienne a été une des premières du continent à transformer le dimanche de grands boulevards en pistes cyclables (ciclovias).

 

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Fernando Botero Naranja 1977 Museo naçional de Bogota

 

Les taxis sont petits, nombreux et bon marché. Pour chaque déplacement, il nous en fallait donc deux. Ils sont tous équipés d’un compteur et d’une table fournissant l’équivalence entre le nombre s’affichant au compteur et le prix de la course, un système transparent rassurant même s’il n’empêcha pas que le prix payé pour chacun des taxis fut rarement le même (celui que je prenais était presque toujours plus cher, allez savoir pourquoi !).

Sur toute course en taxi, plane la menace d’être la malheureuse victime du « paseo millonario », le « tour du millionnaire » : un chauffeur aidé d’un complice vous fait faire le tour des distributeurs jusqu’à ce que les cartes soient refusées. On peut s’en prémunir en faisant téléphoner à un service qui identifie les taxis envoyés et vous donne un code, « la clave », que le taxi doit connaître.

La seule fois où l’on a utilisé le système, un briefing préalable n’aurait pas été inutile.

 

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Luis Caballero (1943-1995)

 

Je m’étais fait un peu violence pour aller demander dans la langue de Garcia-Marquez qu’on nous appelle les taxis et je récupérai le code après un assez long temps d’attente. Mes petits camarades ne m’avaient pas attendu et se trouvaient déjà en pourparlers avec le conducteur d’une petite voiture jaune. Content comme un gosse qui commence tout juste à pouvoir un peu parler, Je leur gueulais en espagnol : « otanta y ocho » (88) que le taxi s’empressa de répéter. Lorsque un 2e taxi s’arrêta, Mathieu l’approcha et lui dit : « otanta y ocho ? » (sic !)

Evidemment, le week-end, à certaines heures en soirée, il peut être impossible d’obtenir un taxi sur ce service, mais le personnel du lieu où vous êtes de sortie vous proposera de noter le numéro du taxi dans lequel vous montez.

 

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Luis Caballero recordando a Fernando Garavito

 

Le quartier historique de la Candelaria a de la gueule notamment le soir avec une belle lumière rasante de couchant. Avec ses universités, le barrio regorge de jeunes en goguette. Toutefois, sur le haut, aux abords de la plaza del Chorro de Quevedo, un œil sur le qui-vive distinguera immédiatement d’autres individus désœuvrés n’appartenant pas à la bourgeoisie : Des épaves de la drogue et de la rue y trainent et le « barrio » Egipto où « vivent des gens de peu » ne se trouve à quelques centaines de mètres. Pour réfréner autant que possible leurs ardeurs, flics et agents de sociétés de sécurité privés quadrillent le quartier. Mais, peut-être comme il m’est arrivé, sursauterez-vous en poussant un cri - que je souhaite plus viril que le mien -, parce que vous découvrez à quelques centimètres de vous un zombie dans un état pitoyable qui est sur le point de vous tirer la manche.

 

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Exposition Urbes Mutantes de photographes latino-américains

au Museo Botero

 

Peut-être aussi étions-nous un brin incongrus dans ce décor ? Une bizarrerie qui aurait poussé le couple trentenaire accompagnant ce garçon que je regardais en coin parce que je le trouvai inhabituellement beau, à nous demander si nous acceptions de nous faire prendre en photo.

Dans ce coin de Bogota, les murs parlent : fresques et graffitis colorés sont omniprésents. Ils disent le désir de leurs auteurs de tourner la page de la violence et leur rêve d’une société pacifiée et plus juste :

 

El ruido de las armas no permite escuchar las ideas/  

le bruit des armes ne permet pas d’écouter les idées /

Nadie gana war / 

Personne ne gagne une guerre/ 

- guerra + educacio / 

moins de guerre, plus d’éducation /

jamas olvidaremos desaparecidos / 

jamais nous n’oublierons les disparus /

Tienes el deber, el derecho y la obligacion de ir a la escuela. La ensenanza primaria debe ser gratuita / 

Tu as le devoir, le droit et l’obligation d’aller à l’école. L’enseignement primaire doit être gratuit /

 

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Fernando Botero Melancholia 1989

 

Au cas où l’on n’aurait rien appris de ce voyage, quelques heures seulement avant notre retour vers Paris, un « commando » de quatre jeunes gens mignons comme des cœurs nous a abordé Gab et moi en nous tendant à chacun un petit bout de papier sur lequel était écrit « sonrie, yo te invito :D »[2]

Sur l’un des écriteaux qu’ils transportaient, on pouvait lire «la revolucion del amor comienza con una sonriza », la révolution de l’amour commence avec un sourire, ce n’est pas beau ça ! Quand est-ce qu’on revient ?

A peine arrivés à Paris,  on apprenait avec stupeur « l’attaque à la diligence » à Grigny dans le RER D, quelques jours plus tard, c’était une vingtaine de touristes chinois qui étaient dépouillés peu de temps après leur arrivée à Roissy. Si ce n’est pas merveilleux la mondialisation !

 

Post scriptum : Confusion linguistique
A T., un resto au bout de la plage, commande de ceviches : deux avec des langoustines, deux aux poulpes et deux de crevettes (camarones). A l’arrivée de la commande, le compte n’était pas bon. Colette appella alors le serveur et désignant les assiettes de Gabriel, de Mathieu et la mienne dit d’une voix de stentor : « estos tres son maricones, no ? »[3] 
Il fallait voir la mine interdite du serveur.
 

 

Colombie : Quelques repères statistiques

Etude de la gouvernance urbaine à Bogota

 


[1] à 2600 m d’altitude, Bogota est une des trois plus hautes capitales du monde

[2] Je t’invite à sourire

[3] "Ces trois sont pédés, non ?"

 

 

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Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #livres, #culture gay, #touriste

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