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Publié le 2 Juin 2016

Matthias Freihof & Dirk Kummer  dans "Coming Out“ de Heiner Carow 1989

Matthias Freihof & Dirk Kummer dans "Coming Out“ de Heiner Carow 1989

Dès son arrivée au lycée de Berlin-Est où il va enseigner la littérature, Philipp se lie d'amitié avec sa nouvelle collègue, Tanja. Tous deux entament bientôt une liaison. Mais si Tanja envisage de faire sa vie avec Philipp, celui-ci reste en proie au doute. Lorsqu'il tombe sur un ancien camarade de classe ouvertement gay, et qu'il croise la route du jeune Mathias, l'homosexualité qu'il avait tenté de refouler ressurgit. Philipp se trouve déchiré entre son désir de normalité et son besoin de sortir du mensonge...

"Coming out" de Heiner Carow (1989)

"Coming out" en Allemagne de l'Est

 

J'ai dû lire ces lignes (je lis tout dans Télérama, ce qui amuse toujours Gabriel) mais ce synopsis d'un film portant le titre de « Coming out » n'avait pas retenu mon attention. Le comble est que, neuf ans auparavant, j'avais insisté auprès de Gabriel pour qu'on regarde intégralement la Théma Sexe & RDA sur Arte. Dans le documentaire « L'amour autrement en Allemagne de l'Est », on y découvrait pourquoi en Allemagne de l'Est, l'on baisait plus tôt, davantage et mieux qu'à l'ouest. Bien qu'il y fût répété que l'Est ne connaissait pas la pudibonderie, pas un mot n'y était prononcé sur le désir homosexuel, car si la sexualité n'était plus assujettie à l'institution du mariage, elle était encadrée par le parti, et la norme était bien sûr l'hétérosexualité.

Comme partout ailleurs alors, l'homosexualité se vivait honteuse dans la clandestinité tant y était prégnante l'homophobie et la répression des homosexuels.

A l'instar d'Ernst, le jeune professeur de français dans un collège de jeunes filles à Zurich en 1958 dans le film Le Cercle, qui pouvait dire adieu à son diplôme et à son poste si son homosexualité arrivait aux oreilles de sa direction, à la fin des années 1980, Philipp lui aussi sur son premier poste de professeur de littérature risquait de perdre son travail si cela se savait (à croire que l'enseignement était déjà un boulot essentiellement occupé par des femmes et des pédés).

Pourtant, en Allemagne de l'Est, d'après l'article de Wikipédia qui lui est consacré, le paragraphe 175 criminalisant l'homosexualité masculine en 1871 dans l'Empire Allemand naissant, avait été abrogé en 1968, tandis qu'il faudrait attendre 1994 pour que l'Allemagne réunifiée le supprime dans sa version amendée et plus répressive de 1935.

Vyacheslav Mescherin Orchestra - Siberien Melody 1989

"Coming Out“ de Heiner Carow 1989

"Coming Out“ de Heiner Carow 1989

Le seul fait que l'histoire de Philipp, Tanja et Mathias se passât à Berlin-Est avant la chute du Mur aurait dû pourtant me faire enregistrer ce «Coming out », au moins pour le témoignage d'un monde sur le point de s'effondrer et pour la consolidation du récit autobiographique d'un été 1987 où j'avais pris le métro à l'ouest pour arriver à la station Friedrichstrasse dans Berlin Est.

Aussi, lorsque Darek nous a dit leur plaisir de l'avoir vu, j'ai loué ma chaîne télé préférée de le diffuser en streaming jusqu'au 24 août 2016

INA Berlin Est 19/20 08 juin 1987

L'homophobie en France

 

C'est à peu près au même moment qu'une demoiselle du Huffington Post m'a proposé une tribune vidéo sur l'homophobie à l'occasion de la publication du rapport de SOS homophobie 2015 « qui montre que la haine et le rejet des homosexuels persistent en France ». Géniale, la presse sur le web ! Je réfléchis tout seul, je me filme et livre la vidéo et si ça leur plaît, ils publient. Mais là ne se trouvait pas la principale raison d'avoir décliné sa proposition qui était simplement mon vœu d'anonymat.

A la réflexion, si quelques témoignages juxtaposés permettent parfois d'incarner un propos plus général, ils ne sont que d'une faible valeur informationnelle. Pour fournir une information de meilleure qualité sur l'évolution de l'homophobie en France, j'attendrais plutôt de journalistes qu'ils parviennent à récupérer les statistiques de police qui enregistrent les crimes et délits commis avec la circonstance aggravante d'homophobie ainsi que des plaintes pour propos homophobes punis par la loi. Selon SOS homophobie qui produit le rapport sur l'homophobie, ces informations auxquelles l'association n'a pas accès, manquent pour mesurer et analyser pleinement le phénomène et son évolution.

Homophobie, «coming out » et amour au temps du SIDA

Alors, est-ce que je ressens personnellement « cette haine et ce rejet » ? M'a demandé la demoiselle du Huffington Post. Est-ce que je sens « une légitimation de la parole homophobe, comme le condamne Gilles Dehais » ?

Le lexique utilisé (« sentir », « ressentir ») signale la subjectivité du témoignage demandé et par là une nouvelle raison de lui accorder un intérêt très limité. Alors, est-ce que je ressens personnellement « cette haine et ce rejet » ? Non, moins que jamais, sachant que j'ai passé depuis bien longtemps l'âge des cours de récré, que face à mes classes, je ne sors pas du placard, qu'il n'y a jamais de geste d'affection entre Gabriel et moi hors de l'espace privé, et qu'enfin on vit dans un milieu bien protégé de cette haine.

Cette relative réserve est probablement propre à notre génération. De nouvelles arrivent, moins discrètes et se faisant plus exposées à la haine ordinaire. À cet égard, j'ai hâte d'aller voir le spectacle de Vincent Dedienne dont j'ai lu du bien et qu'au détour d'une entrevue j'ai découvert craquant, fils adoptif et même gay.

Après, est-ce que je sens « une légitimation de la parole homophobe, comme le condamne Gilles Dehais » ? Pas vraiment puisque du point du vue juridique, les homosexuels n'ont jamais été aussi bien protégés. A des années lumières de chez nos voisins arabes en Tunisie ou plus récemment au Maroc, où du fait d'un droit homophobe, des homosexuels sauvagement agressés peuvent se retrouver au box des accusés.

Le vote du « mariage pour tous » a certes déclenché une augmentation des actes homophobes, de même « enculé », « pédé » et consorts tiennent sans doute pour toujours le haut du pavé de l'insulte faite à une personne de sexe masculin, mais qu'y faire ma bonne dame à part un loi inapplicable ? En revanche, que le Conseil de prud'hommes de Paris sur une affaire de licenciement abusif ait jugé que traiter un coiffeur de "PD" n'était pas homophobe, m'interroge. Jugez plutôt ! Au cours de son absence d'une journée qui lui a valu son licenciement, le coiffeur avait reçu par erreur un SMS de sa patronne qui disait: "Je ne garde pas [le coiffeur en question]. Je ne le sens pas ce mec. C’est un PD, ils font tous des coups de p...". (sic)

Homophobie, «coming out » et amour au temps du SIDA
"Théo et Hugo dans le même bateau"

 

Le principal souci de Théo et Hugo dans le dernier film de Ducastel et Martineau n'est pas l'homophobie. Le spectateur de la bande-annonce devinera sans peine l'argument du film. Pour être franc, la première fois que je l'ai vue, j'ai cru avoir affaire à un clip de prévention. En bref, 20 minutes « muy caliente » dans une backroom noyée dans des teintes rouge et bleue et une musique à tordre du cul, où Théo et Hugo finissent par s'accoupler comme des bêtes. Puis la gueule de bois en sortant lorsque Hugo, séropositif en traitement, réalise que Théo n'a pas utilisé de préservatif. La nuit continue donc à l'hôpital Saint Louis pour un traitement post exposition d'urgence. Comme ils n'ont pas sommeil, nullement envie de se quitter et faim, ils cherchent en Vélib un kebab du côté de Stalingrad...

Homophobie, «coming out » et amour au temps du SIDA

« À la toute fin du film, souligne comme toujours avec finesse Xavier de la Porte dans sa chronique « Dans un numéro de téléphone, il peut y avoir des histoires de vie », le même Théo s'aperçoit en descendant son escalier, qu'il a laissé son téléphone chez lui et Hugo lui dit en substance : « Non, laisse ton téléphone, je te prêterai le mien. Si tu vas le rechercher, si tu te retournes, je partirai, je disparaîtrai à jamais. » C'est le mythe d'Orphée et Eurydice qui est rejoué ici, mais avec un téléphone. »

« Théo et Hugo dans le même bateau » est sans doute le film le moins dépaysant qu'on ait vu depuis longtemps, tellement on connaît par cœur ce 10e et 19e arrondissement où les garçons continuent la nuit à la sortie du "sex club" (on a même fait le compte des problèmes de raccords d'image par rapport à l'itinéraire qu'ils sont censés faire), pour autant cette histoire de sexe et d'amour homosexuel au temps du SIDA mérite un déplacement en salle.

Homophobie, «coming out » et amour au temps du SIDA

P.S. « On est un con », martelait le curé qui nous préparait au bacho de français. Depuis que j'ai lu son «Envoyée spéciale », Jean Echenoz a vaincu mes scrupules à en abuser :

Gang, d'abord, s'est jeté sur elle, ce qui nous a déjà pris un bon moment. Puis, une fois qu'on a repris son souffle, il a a proposé d'aller faire un tour en boîte. Comme ce tour, on l'a fait, Constance a observé que dans les quartiers chics de Pyongyang les boîtes étaient en tout point semblables aux autres boîtes de la planète. […]
On a baisé puis on s'est assoupis, endormis, Gang Un-Ok a ronfloté vite et Constance peu après. […]
Hyacinthe est en train de patienter dans son taxi à une station vers Botzaris quand il reçoit l'appel : Vous seriez libre à déjeuner ? Je connais un chinois pas trop mal, pas trop loin d'où vous êtes. Ça tombe bien, dit Hyacinte, je n'ai pas grand-chose à faire. Le client se fit rare, c'est calme avec la crise.
On se retrouve donc devant le Mandarin pensif, on rentre, on est guidés vers la table habituelle de Tausk, près de l'aquarium dont Hyacinthe considère les occupants.  […]

«Envoyée spéciale » de Jean Echenoz

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Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #culture gay, #homophobie, #livres, #ciné-séries, #rire, #sex, #Allemagne

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