Publié le 1 Septembre 2016
Dans les années 1980-1990, les tueurs en série ont inspiré de nombreuses fictions, en littérature comme au cinéma, qui se sont imposées comme le nec plus ultra du frisson dans un fauteuil. Deux films emblématiques me reviennent à l’esprit, « le silence des agneaux » de Jonathan Demme (1991) et côté homos, « cruising » ou « la chasse » de W. Friedkin (1980).
Dans cruising, Al Pacino, jeune recrue (hétéro) de la NYPD, sur la piste d’un serial killer, infiltre le milieu « cuir » gay, celui des « backrooms », où se déroulent partouzes, pratiques SM et fist-fucking qui serait peut-être « la seule pratique sexuelle inventée du XXe siècle». A sa sortie, sans surprise, le film souleva un tollé au sein de la communauté gay pour la mauvaise image de l’homosexualité qu’il donnait.
Autant vous dire que dans ma vingtaine d’années le seul cadre de l’enquête suffisait à me terroriser, alors avec un tueur en série qui chasse dans ce décor... !
Cruising (la chasse) de William Friedkin (1980)
Chris Isaak - Wicked Game (1989)
Mais pourquoi donc les gens sont-il autant friands de faits divers, de criminels, de policier et d’horreur en tout genre ? Pour toute une flopée de raisons, au nombre desquelles ces hormones que le cerveau fabrique sous le coup des émotions, et qui nous font du bien dans un contexte rassurant.
Dans le registre de l’écrit qui autorise des audaces impensables sur un écran, je garde aussi un souvenir mémorable du livre de Poppy Z. Brite « le corps exquis » (1996) que nous avaient recommandé Goran et Fernando, où l’on se retrouve en compagnie de deux serial killers homosexuels, cannibales et nécrophiles dont les chemins vont se croiser. Du fond de sa cellule de la prison de Painswick, l’un des deux, Andrew soliloque :
J’ai tué la plupart de mes 23 garçons à l’arme blanche. En tranchant leurs artères principales au couteau ou au rasoir une fois qu’ils étaient assommés par l’alcool. Ce n’est pas par lâcheté ni pour éviter qu’ils se débattent que je procédais ainsi ; quoique je ne sois pas un athlète, j’aurais sans peine terrassé ces enfançons affamés et défoncés dans un combat loyal. Si je les ai tués de cette manière, c’est parce que j’appréciais la beauté qui parait alors leur corps, les étincelants rubans de sang courant sur leur peau de velours, leurs muscles qui s’ouvraient en frémissant comme du beurre doux. J’en ai noyé deux dans ma baignoire, j’en ai étranglé un avec les lacets de ses propres Doc Martens tandis qu’il cuvait son alcool. Mais je les tuais surtout à coups de couteau.
N’allez pas croire que c’est par plaisir que je les découpais en morceaux. Mutilations et démembrements ne me procuraient aucune joie, du moins à l’époque ; c’était le subtil murmure du rasoir en action qui me séduisait. J’aimais mes garçons tels qu’ils étaient, de grands poupons morts pourvus d’une ou de deux bouches supplémentaires à la salive cramoisie. Je les conservais auprès de moi pendant une bonne semaine, jusqu’à ce que l’odeur devienne trop perceptible. Le parfum de la mort ne me déplaisait pas. Il m’évoquait des fleurs coupées ayant trop longtemps séjourné dans une eau stagnante, une senteur lourde et maladive qui colle aux cloisons nasales et s’insinue au fond de la gorge à chaque souffle.
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Pourtant, j’ai lu cet été dans le journal Libération que les tueurs en série ne feraient plus vraiment recette. La série télé Dexter diffusée entre 2006 et 2013 constitue peut-être les derniers feux du genre. Dexter est expert en médecine légale le jour et serial killer justicier la nuit où il supprime des « méchants ». Pour François Guérif, fondateur de Rivages/Noir, un tel argument pose problème car « si le genre policier questionne la frontière entre le bien et le mal et joue sur ses failles, sa disparition complète crée un malaise ». Une certaine lassitude de ces chapelets de violence explique sans doute la disgrâce du tueur en série, mais pas seulement : il a perdu de sa vraisemblance dans la réalité ; en effet, avec les progrès de la police scientifique, bonne nouvelle, "l’identification du meurtrier est plus rapide, et donc la répétition plus difficile", selon l’ex-commissaire Marlet.
Un nouveau monstre l’aurait remplacé : le jihadiste. Avec ses spécificités : «C’est un tueur de masse, dont l’idée n’est pas de récidiver mais de faire du chiffre. Ça change la donne : la scène de crime est plutôt une scène de guerre, et il ne s’agit pas d’identifier le meurtrier vu qu’il est sur place et en mille morceaux. » Ça n’a pas empêché la fiction de s’en emparer, même si pour connaître la peur, la réalité dépasse toujours la fiction.
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Au lendemain de l'attentat de Nice, le psychanalyste Fethi Benslama a appelé à "un pacte entre les médias" pour garder l'anonymat des tueurs. Pour une raison évidente : leur « glorification » médiatique est un ressort essentiel de leur passage à l’acte, ne plus publier les noms et les images des auteurs d’attentats devrait réduire les vocations. Dans le même temps, cet anonymisation des criminels, en réduisant les possibilités de « story telling » des médias et des réseaux sociaux desservirait la stratégie de communication de prolongement de la terreur de Daech par leur intermédiaire.
Pour sa part l’écrivaine Nancy Huston, comme Marcela Iacub avant elle, apporte son écot à la réflexion sur cette nouvelle figure du Mal, en nous invitant à avoir à propos des jeunes Français et Belges qui, aujourd’hui, se tournent vers Daech, un discours «moins chaste, moins châtié, moins châtré », ces « jeunes corps mâles » qui « à l’époque de leur fécondité maximale adhèrent à une idéologie virulente et se fondent religieusement dans une masse masculine, comme l’ont fait les robespierristes, les bolcheviques, les SS, les guévaristes, les Khmers rouges… »
Euh, qu’est-ce que je vous disais déjà ?
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https://www.youtube.com/watch?v=cd_v7HbfsKc&feature=youtu.be