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Publié le 21 Septembre 2013

 

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Akram Zaatari Letter to a refusing pilot

Pavillon libanais à la 55e Biennale de Venise

 

 

Arvo Pärt Spiegel im Spiegel

 

L’art de la guerre respectueuse du droit

 

En mars 2011, contre toute attente, la Syrie rejoignait le « Printemps arabe ». Malgré la peur et la répression du régime de Bachar al-Assad, les manifestations de rues ne fléchissaient pas, au contraire. Il fallait se rendre à l’évidence, le moment n’était plus opportun pour visiter les merveilles de ce pays et, pour consolation, le voyagiste organisa notre accueil à Oman.

Depuis les manifestations de Deraa, le mouvement de contestation a viré à la guerre civile opposant deux camps armés au milieu des populations civiles.

 

Le passage à la lutte armée a ensuite bénéficié du consensus de la communauté internationale, sur le thème « la société civile se révolte et résiste légitimement à une dictature ». Jusqu'à ce que les Frères musulmans s'emparent du pouvoir par les urnes en Egypte et en Tunisie. Le regard a commencé à changer sur la résistance syrienne, au moment où se dessinait une seconde phase : l'inoculation du virus du djihad dans les rangs de la résistance. Au départ, l'Armée syrienne libre n'était pas très islamiste : la colonne vertébrale en était formée par des officiers sunnites déserteurs de l'armée syrienne. Leur motif ? Lutter contre la dictature et la monopolisation des hauts grades, les postes de confiance dans l'armée n'allant qu'à des alaouites ou à des sunnites complètement intégrés au système Assad. L'islamisation s'explique par la lassitude de certains combattants devant l'absence de soutien de l'Occident, alors même que les Saoudiens et les Qataris, décidés à lutter contre l'Iran via la Syrie, donnaient, eux, beaucoup d'argent et d'armes — à condition qu'on mette une barbe et qu'on dise « Allah akbar ». Cette islamisation a divisé et affaibli la résistance syrienne, ce qui a entraîné une reprise de l'avantage par le régime.

Celui-ci est aidé par la Russie et par le Hezbollah, mouvement chiite libanais — d'où la dramatique extension du conflit syrien au Liban, pays totalement divisé entre pro et anti-Bachar, qui a connu le 23 août un double attentat à Tripoli, contre deux mosquées sunnites salafistes.

                                                                                                      Gilles Kepel dans Télérama

 

 

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Alep mosquée des Omeyaddes sans ses minarets

 

En deux ans et demi de guerre, l’OSDH estime qu’elle aurait fait plus de 110 000 morts (on ne décompte pas les blessés et autres esquintés). L’ONU dénombre également 2 millions de réfugiés dans les pays voisins et 4,25 millions déplacés à l’intérieur du pays, soit au total près d’un syrien sur trois déracinés et survivants dans des conditions les plus précaires.

Cet été, un article du journal Libération, rappelait que la guerre ça casse aussi tout, y compris la principale richesse du pays, son patrimoine historique, et que des individus sans scrupules profitaient du chaos inhérent à la guerre pour se livrer au pillage et au trafic d’antiquités, alors même que « la Syrie est signataire de la convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé ».

On ne s’esclaffe pas. La guerre a ses règles de bonne conduite édictées dans une flopée de traités internationaux. On peut se tirer dessus mais en évitant, autant que possible, en l’occurrence non pas les populations civiles, mais le patrimoine millénaire.

Autre règle, une bonne guerre se fait avec des armes conventionnelles, surtout pas avec des armes chimiques qui sont des « armes de destruction massive ».

Le simple fait d’être accusé d’en détenir peut vous valoir une invasion soutenue par le droit international, c’est ce qui est arrivé à l’Irak,... où il n’a été trouvé aucun stock.

 

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  Fucking Hell Jake & Dinos Chapman - Collection Pinault à Venise

 

Si l’on juge les désastres humains énumérés ci-dessus, on n’est tout de même pas loin de la destruction massive. Sans compter que mon petit cerveau parvient mal à concevoir qu'il soit préférable d'être envoyé ad patres par un obus avec ou sans agonie plutôt que par des moyens chimiques.

Autre exemple, les États-Unis, qui ont un stock considérable de mines anti-personnel, refusent toujours de signer la convention d’Ottawa sur leur interdiction parce que ces mines anti-personnel seraient un moyen acceptable et nécessaire à leur Défense nationale, même si ces mines continuent à tuer et à rendre invalides des civils longtemps après que les guerres sont terminées.

A la fin août on a ainsi appris que l’armée syrienne avait osé un pas de plus dans la barbarie en recourant à du gaz sarin qui auraient fait des centaines de victimes civiles. Pour Barak Obama, la ligne rouge était franchie : une réaction militaire punitive s’imposait. Si l’indignation est unanime, le président des Etats-Unis qui ne peut compter sur une résolution de l’ONU étant donné le soutien inflexible d’al-Assad par la Russie et la Chine, n’a guère trouvé pour l’accompagner dans l’entreprise que le président d’un petit pays dont l’emblème est le coq (« le seul oiseau qui arrive à chanter les pieds dans la merde »).

 

 

Fucking Hell Jake & Dinos Chapman

musique : Adagio pour cordes op. 11 de Samuel Barber (1936)

 

En effet, non sans raisons, un peu partout, en l’état des forces en présence, les opinions publiques et leurs représentants sont opposées à une intervention punitive consistant à rajouter quelques bombes destructrices et coûteuses aux bombes.

De manière providentielle pour Obama qui n’aurait peut-être pas obtenu du Congrès l’autorisation d’une opération contre l’armée syrienne, une initiative russe a permis d’annoncer un plan d’élimination des armes chimiques syriennes avalisé par al-Assad.

Somme toute, l’interdiction des armes chimiques par le droit international, en fixant une limite à la barbarie, aura au moins eu la vertu de permettre à deux dictateurs de reprendre l’initiative diplomatique.

 

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Travestis par Konstantin Altunin

  Toile saisie pour infraction à la législation interdisant toute propagande homosexuelle devant des mineurs

 

Lettre au pilote israélien qui a désobéi
d’Akram Zaatari

 

Les Libanais sont globalement soulagés du fait que la perspective de frappe américaine contre la Syrie se soit éloignée. Ils craignaient en effet que leur pays ne soit entraîné dans une guerre régionale au cas où Damas ou ses alliés libanais, notamment le Hezbollah, décidaient de riposter au Liban ou à partir de son territoire.

L’artiste Akram Zaatari est né en 1966 dans le sud du Liban, à Saïda (Sidon). Il a grandi dans un pays en guerre (1975-1990). A Beyrouth, il a étudié l’architecture, à New-York il a obtenu un master en Media Studies

Dans un tel contexte de vie, l’origine de son « penchant pour l’archéologie » m'apparaît claire si je songe à une scène maintes fois racontée par ma mère, celle de mon arrière-grand-mère cherchant dans les ruines de son immeuble bombardé par l’aviation américaine les photos de ses deux enfants morts de tuberculose dans les années 1920.

« Je farfouille précise l’artiste, je cherche dans des histoires du passé, et au final le matériau que je manie, c’est le temps ». Ainsi, en 1997, il cofondera l’Arab Image Foundation à Beyrouth dont la vocation est de constituer un patrimoine de photographies vernaculaires prises dans le monde arabe et au sein de sa diaspora, pouvant faire l’objet d’études et de projets artistiques.

C’est d’ailleurs par l’intermédiaire de son travail sur le fonds du photographe du studio Shéhérazade de Saïda, Hashem el Madani, que j’ai découvert Akram Zaatari. Pour être honnête, mon œil avait surtout accroché sur ces portraits que l’on allait se faire tirer dans les années 1950-1960 au studio, avec un ami ou un cousin, photographies souvent empreintes d’homoérotisme, témoignages des sociabilités entre jeunes de même sexe avant le mariage, bien avant qu’on ne parle de gays et d’homosexualité.

 

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A la 55e Biennale de Venise, Zaatari représentait le Liban. Pour cette journée entre les Giardini et l’Arsenale, Laura avait convaincu Paulo d’interrompre son pèlerinage d’admiration des tableaux de maîtres vénitiens pour se joindre à nous.

Une Biennale de l’art, c’est comme le musée du Louvre. Accepter dès le départ qu’on n’en verra qu’une toute petite partie, avoir en tête quelques artistes dont on désire voir le travail, et parier ensuite sur la sérendipité, est un moyen assez sûr d’en sortir ni frustré, ni gavé.

L’installation vidéo « Letter to a refusing pilot »d’Akram Zaatari se trouvait en tête de ma short-list. Zaatari y documente un souvenir d’adolescence : Une rumeur selon laquelle une semaine après l’invasion par Israël du Liban en 1982, alors que les avions de chasse israéliens zébraient le ciel libanais, les habitants du quartier Taamir sur les collines de Saïda avaient vu l’un d’eux piquer sur le lycée de garçons. A l’instant où le pilote aurait dû bombarder l'école, il avait fait demi-tour en direction de la mer dans laquelle il s’était débarrassé de ses bombes. Quelques heures plus tard, l’école fut détruite par un autre avion.

Plusieurs versions explicatives de cet étrange épisode ont depuis circulé : certaines racontant que le pilote israélien était né dans la communauté juive de la ville et qu’il avait quitté le pays avec sa famille après la création d’Israël ; d’autres ajoutant qu’il aurait suivi ses classes dans l’établissement qu’il a refusé d’attaquer ; d’autres enfin affirmant l’avoir connu et reconnu.

 

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Scuola San Giorgio deglie Schiavoni Venezia 1502-1507

Vittore Carpaccio (~1460 - ~1526) 

 

Selon un article du New York Review blog, Zaatari aurait appris d’une conversation avec le cinéaste israélien Avi Mograbi[1] que « le pilote israélien au centre de la rumeur était non seulement réel, mais toujours vivant et habitait Haifa. L’artiste parvint à rencontrer l’homme dont le nom est Hagai Tamir, dans un bar à Rome (la non reconnaissance mutuelle d’Israël et du Liban les a empêchés de se retrouver dans leur pays respectifs). »

L’homme lui aurait expliqué qu’avec sa formation d’architecte, quand il avait aperçu son objectif, il s’était dit qu’il s’agissait soit d’une école, soit d’un hôpital. L’ancien pilote, « qui allait maintenant vers la soixantaine », aurait aussi affirmé qu’ « il s’était toujours moqué qu’un avion puisse être une machine de guerre. (...) Il avait rallié l’armée de l’air israélienne parce que depuis son plus jeune âge, il voulait désespérément sentir ce que cela faisait d’être un oiseau. »

L’installation «Letter to a refusing pilot » consiste principalement dans une vidéo de trente cinq minutes projetée sur un écran géant dans laquelle est évoquée sans commentaire cette histoire, en entremêlant des images créées pour le film et archives personnelles, familiales[2] ou historiques, à laquelle fait écho, simultanément et en boucle, sur un tout petit écran un film de 16 mm d’images de bombardements des collines de Saïda en 1982. Dans la salle, des tabourets cylindriques et un vieux fauteuil de salle de spectacle face au petit écran, tournant le dos au grand. Une documentation sur l’installation est par ailleurs offerte.

 


[1] Même si Avi Mograbi n’a rien de fictif,  je ne suis pas certain de la véracité de cette partie du récit car Akram Zaatari lors d’une résidence à  Aubervilliers a notamment présenté une « Conversation avec un cinéaste israélien imaginé : Avi Mograbi »

[2] Des photos de famille ou qu’il a prises, des extraits du journal de son frère, un vieil exemplaire du « petit prince » d’Antoine de Saint Exupéry... C’est un évènement qui a touché de près la famille Zaatari puisque son père a été le directeur de cette école pendant une vingtaine d’années.

 

 

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A la fin de vidéo, dans un texte tapé à la machine, Zaatari livre l’argument de son film sans paroles :

Une semaine suivant l’invasion israélienne du Liban en 1982, un pilote de l’armée de l’air israélienne nommé Hagai Tamir a survolé l’école publique secondaire pour garçons de Saïda, prés d’Ain El-Helweh et a désobéi à l’ordre de la bombarder.

Il a dit : « Ça prend beaucoup plus de temps pour construire une ville que de frapper une cible »

Architecte ou pilote, il a dû se dire que le bâtiment était soit un hôpital soit une école.

Il fit demi-tour et lâcha ses bombes dans la mer.

L’école fut bombardée quelques heures plus tard par un autre pilote. 

 

 

Le fait qu’Akram Zaatari (dont le patronyme est aussi le nom du plus grand camp de réfugiés de palestiniens en Jordanie), indique que l’école était près prés d’Ain El-Helweh, plutôt que dans le quartier Taamir, comme le fait le journal L’Orient-Le jour, n’est sans doute pas anodin.

Ain El-Helweh est le plus important camp de palestiniens du Liban, créé comme tous les autres dans la région, après « la catastrophe » (Naqba) de l’exode de plus de 700 000 palestiniens à la création de l’Etat d’Israël,  et dont la population a enflé au gré des différentes phases des guerres israélo-arabes.

Plus récemment, déjà surpeuplé, le camp a vu affluer des réfugiés palestiniens de la guerre en Syrie. Devenue une zone de non droit, le Hezbollah et autres milices armées s’en disputent le contrôle, eux qui ont fourni bon nombre des djihadistes engagés aux côtés des troupes d’al-Assad contre la rébellion syrienne.

 

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Pendant la fête de l'Aïd El Kebir, le sacrifice du mouton à Ain El-Helweh

Photo : Sébastien Sindeu

  

Post-scriptum - J’ai découvert sur Internet qu’Akram Zaatari a aussi abordé dans son travail les questions de la masculinité et de l’homosexualité, sujet tabou par excellence dans son pays et dans le monde arabe en général - au Liban l’homosexualité est encore punie d’emprisonnement.

On peut s’en faire une idée dans cette vidéo présentant l’exposition « El molesto asunto/ The uneasy subject » (le sujet embarassant) en 2011 au MUSAC en Espagne (sous-titrages en anglais).

 

Une flash mob Dabke / Hip-Hop le 5 mars 2011

à l'aéroport international Rafic Hariri de Beyrouth

 

 

Mashrou'Leila / Hamed Sinno

 

 

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