Publié le 31 Janvier 2013
La danse du sabre d'Amar Khatchaturian
Sauf à être encore dans le placard, ce n’est pas faire preuve de grand courage que de participer à une manifestation « pour l’égalité », au pire, on risque un rhume et quelques ampoules aux pieds. C’est une autre paire de manches que de défiler pour une gay pride à Moscou, Riga, Kiev ou Belgrade... quand elle n’est pas interdite ou annulée « pour des raisons de sécurité ».
Le simple fait d’être homo y exige au quotidien déjà bien du courage, alors militer...
En effet, dans la plupart de ces pays anciennement communistes, règnent un machisme et une homophobie aussi épouvantable que majoritaire et, pour ne rien arranger à l’affaire, le clergé notamment orthodoxe ne manque jamais d’adouber cette haine, tandis que des groupes nombreux d’extrême droite d’ultranationalistes rasés façon skinhead et aux manières hyper violentes de hooligans, terrorisent pédés et étrangers.
Krucifix par Elisabeth Ohlson
L’Union Européenne, qu’elle ait été intégrée par ces pays ou qu’il soit prévu qu’ils la rejoignent, constitue un fragile garde-fou aux violations des droits de l’homo (La Croatie rejoindra l’UE en juillet 2013 et les autres pays nés du démantèlement de la Yougoslavie devraient suivre).
Dans les pays issus de l’ex Yougoslavie, se rajoute une autre triste caractéristique : une décennie de guerre souvent fratricide sur des motifs « nationalistes », ethniques et religieux. La barbarie et le chaos d’une aussi longue guerre civile laissent des traces, en premier lieu une société très violente avec une propension généralisée à la haine de la différence.
Pour ne prendre que le cas de la Serbie, ça fait deux années consécutives que les pouvoirs publics interdisent un défilé de gay pride pour des raisons de sécurité (en 2012, fut tout de même autorisé un évènement en salle). En fait, le pays n’a connu que deux gay pride, la première en 2001 durant laquelle, le maigre cortège avait été immédiatement attaqué par des militants nationalistes et avait tourné au bain de sang devant des policiers débordés.
Le 2e défilé eut lien en 2010, où malgré l’ampleur de la protection policière (6000) pour un cortège de 600-700 personnes, il a immédiatement dégénéré en une bataille rangée de plusieurs heures entre policiers et manifestants homophobes, avec au total plus de 100 blessés notamment du côté des forces de l’ordre.
Quand la réalité est insupportable, pour la dénoncer, on peut essayer d’en rire... un peu. C’est ce qu’a voulu faire Srdjan Dragojevic avec son film « la Parade » actuellement sur les écrans français, après avoir été vu par 600.000 spectateurs dans toute l’ex-Yougoslavie.
Réalisateur et scénariste serbe, politiquement engagé «à gauche» Dragojevic a souhaité faire « un film sur le droit des minorités mais sans l’enfermer dans le « ghetto des festivals», « un film grand public que les homophobes iraient voir. » Et comme il le dit lui-même, cela a marché.
Vu de chez nous, un reproche revient souvent sur le Net : L’abus de clichés, de stéréotypes appuyés qui ne font pas dans la dentelle, dans le genre « cage aux folles » (une séquence sur la manière virile de tenir un verre de vodka y fait explicitement référence).
Bon OK, « la cage aux folles », ça suffit, ça commence à sérieusement dater : première au théâtre en 1973 et sortie sur écran de son adaptation au cinéma en 1978 ; depuis la représentation des homosexuels s’est, disons, enrichie.
Pour autant, tous ces poncifs d’homos follasses continuent à nous faire rire sans doute parce qu’on le veuille ou non, ils appartiennent à la culture gay.
Et par-dessus tout, hormis le fait que les homos du film ne sont pas les seules cibles de l’ironie consubstantielle aux clichés assumés par son auteur (les anciens combattants, le pope, le romantisme du mariage,...), humour et comédie grand public ne reposent-t-ils pas majoritairement sur de tels ressorts ?
Alors oui, vous allez peut-être rire avec La Parade, mais vous serez plus certainement émus par le courage de ces femmes et de ces hommes qui ne veulent plus vivre cachés et dans la honte.
Pas en Ouganda ou en Arabie Saoudite, non à deux pas de chez vous, en Europe.
Les Inrocks / De Moscou à Zagreb, la Gay pride n'est pas à la fête
Têtu / La Parade est une thérapie anti-homophobie
NGT / Une gay pride très politique
NGT / Le style camp selon Susan Sontag
NGT / Totalitarismes et homosexualité
Steklo par Dmitry Markov
Post-scriptum : On ne sait quelle mouche a piqué le distributeur Sophie Dulac Distribution (SDDistribution) que de promouvoir « La parade » en le parant d’un lien avec l’excellent film « la visite de la fanfare ». De lien, il n’y en a aucun, à part celui d’être distribué par cette maison. Une telle tromperie est indigne de SDDistribution qui nous avait habitué à plus de clairvoyance dans ses choix.
athlète nu se nettoyant au racloir après l'épreuve
bronze du 2e s. BC, actuellement au Musée du Louvre