rhetorique

Publié le 2 Janvier 2007

La décennie, le grand cauchemar des années 1980

de François Cusset – La Découverte 2006

 

Quand tu tombais par hasard dans les « sciences économiques » et les « sciences de gestion » dans les années 1980, comme il m’est arrivé, tu ne pouvais échapper à une interminable étude des « libéralismes » économiques et à celle de nombreux ouvrages édifiants sur les facteurs de réussite des entreprises qui gagnent, dans lesquels il était toujours question d’une certaine « culture d’entreprise » propice à la performance (je garde un souvenir ennuyé du « Prix de l’excellence » de Peters et Waterman, toujours référencé chez Amazon.com mais sans surprise devenu « indisponible »). En effet, Tatcher et Reagan en lançant leur révolution conservatrice, étaient en train de contaminer l’Europe entière.

 

 

Pourtant, je crois me souvenir que cette étude de la macroéconomie et des politiques économiques, qui s’étira pour ce qui me concerne de 1980 à 1987, resta dans l’ensemble très critique tant du point de vue pratique (les « reaganomics » étaient par exemple plus une politique de relance par la demande intérieure que par celle de l’offre), que sur le plan théorique (le modèle néoclassique d’optimum par le marché était, sans l’ombre d’un doute, une parfaite foutaise) ; et ce même après 1983, année où la gauche au pouvoir opéra pour la France, décidemment bien trop seule pour mener à bien sa politique de rupture, un virage à 90 °, en abandonnant son grand programme interventionniste et en rejoignant le concert mondial de déréglementations, « d’ouvertures de marché », de privatisations, de baisses d’impôts pour les grandes entreprises et riches particuliers, ainsi que d’austérité monétaire et salariale pour les autres.

 

 

Dans le même temps, mes petits camarades et moi-même avons passé beaucoup de temps à décortiquer les mécanismes par lesquels les nombreux instruments de politique économique que les pouvoirs publics avaient alors à leur disposition agissaient sur l’état de l’économie et de la société. Au début des années 1980, je me suis même « farci » une étude comparative des politiques industrielles avec pour ligne de mire l’incontournable modèle de l’économie japonaise (qui entre parenthèse, s’enfoncera dans la déflation au cours de la décennie suivante).


J’ai aussi appris par exemple, que les baisses d’impôt dont on parlait partout,  présentaient le plus faible « effet multiplicateur » d’activité, que dans une économie ouverte, pour être efficaces, les politiques économiques et sociales devaient être coordonnées à l’échelle internationale, en particulier au niveau européen, que dans un contexte « d’économie de marchés financiers »  la France n’avait d’autre alternative que de choisir entre un modèle rhénan (allemand) et un modèle anglo-saxon, etc.


Je trouvai tout cela certes très complexe mais plutôt exaltant, même si, je me rappelle avoir été un peu contrarié par la difficulté à communiquer mon enthousiasme aux quelques américains que j’ai pu rencontrer, et à qui j’expliquais que j’étudiais « l’économie politique » : pour eux, si tant est que cela s’apprenne, l’économie, c’était le Business, point.


Au milieu des années 1990, je ne parvins pas en rendre deux commandes d’édition qui m’avaient été faites suite à mon envoi d'une proposition d’ouvrage assez détaillée, l’une pour les PUF (un Que Sais-je), l’autre pour Ellipses, l’une sur « le rôle économique et social de l’Etat », l’autre sur « l’Etat et le marché dans le monde depuis 1945 ».


Mon militantisme des débuts en faveur d’une intervention économique et sociale des pouvoirs publics, soutenue par diverses « théories » et expériences bien choisis, venait de souffrir des longues incursions que j’avais faites dans l’histoire mondiale récente, les sciences politiques ainsi que la sociologie de l’Etat. Je ne pouvais plus rédiger sans états d’âme le plan détaillé que j’avais proposé à l’éditeur, il fallait que j’intègre un tant soit peu ce que j’avais appris, ce qui était a priori impossible.

Heureux l’homme qui ne sait pas ! Il ne se pose pas trop de questions et finit son ouvrage.


Dans la foulée, je ne renouvelai pas mes abonnements à Problèmes économiques et à Alternatives économiques et décidai d’en finir avec cette discipline qui venait, pour « peanuts »,  de me prendre sérieusement le chou, afin d’avoir tout le loisir de passer à d’autres domaines forcément plus divertissants.

 

 

 

 

Une dizaine d’années plus tard, je ne peux que déplorer l’inanité de tout ce que j’ai appris. Les décisions politiques prises depuis une vingtaine d’années en France, comme chez nos voisins ont progressivement dépossédé les pouvoirs publics de leur capacité d’améliorer de manière significative une situation économique et sociale qui se dégrade pour le plus grand nombre, tandis qu’une minorité s’enrichit de manière démesurée et immorale.

Plus grave, rares sont désormais ceux qui pensent que la politique peut encore agir sur le monde, l’améliorer. « J’ai soudain le sentiment d’être devenu inadapté au monde dans lequel je vis, que tout ce que j’ai appris,tout ce que je crois est devenu faux ou sans importance, j’ai soudain le sentiment d’être devenu vieux. » M’est-il arrivé parfois d’expliquer autour de moi. Car même dans notre entourage, pourtant dans l’ensemble plutôt progressiste, ce ne sont que paroles d’indignation... et d’impuissance.

 

C’est en partie le sujet du passionnant ouvrage de François Cusset, historien des idées contemporaines,  La décennie, le grand cauchemar des années 1980 que d’expliquer comment « on a glissé de la révolution à l’Etat dit de droit, de l’anticapitalisme au libéralisme, de la sécession politique à la morale antiraciste, et des avant-gardes de la création au kitsch du tout-culturel. Plus trois nouveautés d’envergure : la télévision privée, Le Pen et le sida. »


Autrement dit, nous expliquer comment s’est installé dans nos esprits « la plus cohérente des idéologies », celle du consentement à l’ordre économique.

 

On a gardé des années Mitterrand l’idée d’une simple déception politique : la grande promesse sociale convertie en ajustement économique et gestion au quotidien. Mais, au-delà de la gauche de pouvoir, il me semble qu’elles ont été marquées par la « fin sans fin » du politique, une tentative impossible pour y mettre fin, notamment en dépolitisant l’idée de changement. Avant, le changement était un concept politique, lié à un projet, une volonté, une force critique. Les années 80 inaugurent la « naturalisation » du changement : un certain discours idéologique lui donne la forme d’un phénomène mécanique, inexorable, sorte de fatalisme incapacitant. Cette idéologie, qu’on doit à quelques ex-révolutionnaires des années 70, est celle de la mort des idéologies. Ils ont adoubé les jeunes entrepreneurs, chanté l’aventure et la flexibilité, ont organisé le retrait de la subversion sur le seul terrain de la culture. Les années 80 ont vu converger plusieurs lignes enchevêtrées : l’autolimitation du gouvernement, le déterminisme économique intériorisé, la diabolisation de toute critique sociale, la privatisation de l’idée de liberté la plus grande manifestation de jeunes de la première moitié de la décennie a lieu en décembre 1984 pour défendre le « libre droit » d’écouter NRJ et enfin une nouvelle technocratie du bonheur, qui prône la télématique, l’aérobic ou l’égoïsme salvateur pour divertir des fléaux de l’époque : le chômage, Le Pen et le sida.

 

Libération samedi 4 novembre 2006. Propos recueillis par Eric AESCHIMANN

 

 

La suite reproduite sur  http://multitudes.samizdat.net/La-mort-des-ideologies-est-l.html

 

Toujours à propos de cet ouvrage : http://www.telerama.fr/livres/M0612041455486.html

 

 

 

Lecture complémentaire sur ce sujet : Guy Hocquenghem http://atheles.org/agone/contrefeux/lettreouverteaceuxquisontpassesducolmaoaurotary/

 

Les procédés rhétoriques du fatalisme économique

 

Dans son chapitre « La fin sans fin du politique », François Cusset constate que ce qu’on a nommé « la fin des idéologies » avec la fin du communisme, nous a fait basculer d’une extrême à une autre, celle de l’excès de la volonté politique pour forger « l’homme nouveau » (les totalitarismes communistes et fascistes), à l’excès inverse « du fatalisme économique, qui justifie guerres et inégalités comme inévitables parce qu’on ne croit plus que dans l’état de fait. On peut parler dès lors de « rhétorique réactionnaire » pour les discours politico-médiatiques des années 1980, en particulier pour celui de la gauche française.»


Il ne pouvait ne pas citer ici l’ouvrage lumineux d’Albert O. Hirschman « Deux siècles de rhétorique réactionnaire » (Fayard 1991).


Hirschman y dénombre trois grands procédés pour rejeter l’idée de progrès par l’action politique:

  • l’effet pervers de tout changement : « le remède est pire que le mal »
  • l’inanité du changement : sans effet puisque "l’ordre des choses est immuable et son évolution naturelle"
  • la mise en péril des acquis antérieurs par le changement : « tout pas en avant risque de leur porter gravement atteinte » : la justification du statu quo.

 

Non sans malice, il souligne que ces arguments en faveur du statu quo peuvent aussi être utilisés par les « progressistes » notamment dans leur défense des « avantages acquis ».

Pour aller plus loin : http://www.persee.fr/articleAsPDF/ahess_0395-2649_1992_num_47_6_279105_t1_1195_0000_000/article_ahess_0395-2649_1992_num_47_6_279105_t1_1195_0000_000.pdf;jsessionid=C6E2DE151C59418C29E97D69D0C3C5CA.erato

 

 

 

 

A ceux-ci, François Cusset rajoute trois autres procédés rhétoriques utilisés par les « intellectuels » « moralistes » abonnés des médias (que je ne suis pas sûr d’avoir pleinement compris) :

  • Le chantage au Mal : il n’y a plus de pensée critique puisqu’il y a d’un côté le Mal contre lequel on ne peut souvent faire autre chose que s’indigner (le communisme, la guerre), et de l’autre le Bien (la liberté, le marché) ?
  • Le chantage du « retour au sens » : il « est un chantage à la transcendance, à une présignification données hors du monde, qui empêche » d’en saisir pleinement le sens et qui par conséquent rend stérile le questionnement critique de l’ordre du monde.
  • Le chantage au Réel : « experts, spécialistes, conseillers expliquent tous doctement ce qu’est le Réel, et qu’il serait périlleux de s’en écarter. (...) Cantonnez vous au possible, au réalisable, que nous délimiterons pour vous, et nous pourrons discuter. (...) Il permet de dénoncer la démarche critique, qui ferait fi du réel (...) »

 

 

Le style « camp » (prononcer kemp) selon Susan Sontag

Dans le chapitre 5 « la culture, c’est la vie », François Cusset s’agace d’une décennie qui a mis la culture partout et qui substitue "le kitsch, le mièvre et le décoratif" aux avant-gardes. Pour cela il fait appel à la définition du « camp » de Susan Sontag :

 

Dans la tradition bouffonne et parodique des spectacles de travestis new-yorkais : un style de l’excès, du contraste criard, du ridicule assumé, théâtralité d’un mauvais goût délibéré qui brouille les démarcations claires du beau et du laid, de la convenance et de la malséance, mais aussi de la copie et de l’original.

 

« Notes on Camp » in Against Interpretation, and other Essays -1964

 

 

Un morceau des années 1980, très « camp » : le « shoot your shot » de Divine 

 

 

"Susan Sontag, une femme d’exception" 

http://sisyphe.org/article.php3?id_article=1453

http://passouline.blog.lemonde.fr/2004/12/29/2004_12_pour_saluer_sus/

 

 

 

Sa compagne la photographe Annie Levovitz  publie

 

http://www.liberation.fr/culture/224578.FR.php

 

François Cusset a aussi publié :

 

Queer critics

http://www.webzinemaker.com/admi/m4/page.php3?num_web=1489&rubr=2&id=52201

 

French theory

http://www.lire.fr/critique.asp/idC=45686/idR=213/idG=8

 

Vie de famille I : mon “petit” frère Pascal

 

Sa crevette de trois semaines coincée dans ses deux grandes paluches, les yeux dans les yeux de sa fille :

« Mon deuxième amour ! »

 

Vie de famille II : Aux origines de l’amour d’une mère 

 

Une tétée d’une demi-heure toutes les 2 heures en alternance avec les cris pour cause de fesses sales. «Ma pauvre Solène ! La nature est bien faite. S’il fallait que j’endure ce que tu te coltines, je devrais alterner Prozac et  Lhexomil. » Lui ai-je dit à deux reprises.

 

 

 

Vie de famille III : le TPE de Fiona    

 

Fiona, ma nièce chérie, en classe de première ES, m’avait déjà fièrement annoncé qu’elle préparait avec son copain Mathieu et sa copine Laurie un TPE (travaux personnels encadrés) histoire/économie sur l’homophobie. C’est elle qui avait eu l’idée de faire "quelque chose sur les homos" dans le cadre du thème qu’ils avaient retenu : « la diversité des modèles familiaux ». Mathieu avait alors proposé de se focaliser sur l’homophobie. Enthousiasme du trio suivi de la déception de se voir refuser par leurs profs ce thème : vous êtes hors sujet. Qu’à cela ne tienne, les « têtus » se sont rabattus sur « l’homoparentalité », avec dès la rentrée une expédition sur Lyon pour interviewer le responsable d’une association. Ils ont d’ores et déjà construit la problématique et le plan qu’elle a essayé de me restituer de mémoire, en attendant de me l’envoyer.

 

Problématique : être en couple homosexuel et parent est-il possible en France aujourd’hui ?

 

I. Être en couple homosexuel

A.      Mariage

B.       Pacs

C.     Le point de vue des religions sur l’union homosexuelle

 

II. Être parents homosexuels

A.      L’adoption

B.      l’APGL

 

Depuis, je suis tombé par hasard sur cet autre TPE mis en ligne : http://membres.lycos.fr/homosexualite2003/TPE/

 

Les temps changent, non ?

 

 

Regards centrifuges

Avant de repartir au Cambodge, Mireille nous a invité à un apéro champagne et petits fours de chez Picard chez elle, suivi d’un dîner au resto. Ce dimanche soir, tous les restos où elle voulait nous emmener étaient fermés, alors nous avons descendu la rue de Belleville et avons  posé nos fesses au  Lao Siam, où l’on mange toujours une excellente cuisine thaïe, pour un prix devenu extravagant.


Installé dans la section non-fumeurs faute de places dans l’espace hauts fourneaux, je suis sorti griller une tige dans la rue. S ’engouffrent alors dans le resto un groupe de jeunes, deux mecs insignifiants, une fille aux cheveux longs presque blancs, peau diaphane, pas mal, et un garçon au visage glabre, peau pain d’épice, une égratignure sur le haut de la joue et sur le nez, un peu grande gueule, franchement mignon.


A ma gauche Mireille, en face d’elle, Gabriel, face à moi le dos d’un des deux mecs (dont le pull ou sweat noir est tatoué Pepe Jeans London), face à lui, la bonne bouille que j’entre aperçois parler avec volubilité.


La conversation « boulot » de Mireille et Gabriel me barbe un peu, alors je cherche les yeux du garçon derrière la tête de son vis-à-vis. Il a saisi quelque chose et cherche à son tour mon regard derrière la tête de son copain. Ses yeux ne sont pas agacés, pas même interrogateurs, peut-être bien amusés. Yeux marrons sur nez et joue égratignés. Les deux garçons qui lui font face pourraient bien être pédés (un côté jeune couple de clones).  Son vis-à-vis se lève, il est maintenant face à moi, en grande conversation sur son portable, un rien affecté (pédé ?), ignorant de tout ce qui se passe autour de lui. Aucun lien ostensible entre lui et la fille (confirmation ?).


Parce que Gabriel a perçu que j’étais ailleurs, je lui signale le garçon et le voici qui se retourne brusquement pour le voir. Je le rabroue à voix basse pour son manque de discrétion : lui, comme pour se justifier : « t’as toujours la bonne place toi ! »  


Un autre beau mec (le genre doux costaud, cheveux ras et bouche charnue joliment dessinée) s’installe avec son copain maghrébin à côté de notre table, face à Gabriel : « Pas toujours, non ? », continuai-je. Sourire complice de Gab.


La conversation un peu ennuyeuse ce soir continue à notre table. Mon garçon est le seul intérêt de ce resto : malgré moi, je cherche de nouveau à le regarder. La tablée se lève. Lui debout, tout de noir vêtu, ajuste un genre de bonnet -casquette sur ses yeux. Il m’a vu le regarder faire, je souris, et là il me gratifie à son tour d’un généreux sourire. Gabriel m’a vu et  j’ai soudain honte de lui infliger ce petit jeu certes sans conséquence mais qu’il est difficile de qualifier autrement que de séduction.


Aujourd’hui Gab couche à Bruxelles pour le boulot. J’ai applaudi lorsque j’ai appris que M. avait de nouveau largué Jan (je ne l’aime pas et Jan me plaît trop pour le savoir avec un mec qui me déplait). Je n’aurais peut-être pas dû : comme chaque fois, qu’il va à Bruxelles, Gab passe la soirée avec Jan, pour la 1ère fois libéré de ses obligations conjugales, sans doute un peu déprimé et peut-être avec une furieuse envie de faire payer à son chanteur lyrique son manque de goût par une rupture de jeun.


Ce soir aussi, je médite cette phrase relevée dans La possibilité d’une île de Michel Houellebecq : "Se masturber, c'est faire l'amour avec quelqu'un qu'on aime vraiment" : la phrase était attribuée à différentes personnalités allant de Keith Richards à Jacques Lacan. »

 

 


 

[1] Rhétorique : l’art du discours, l’art de persuader -

Réactionnaire : en réaction à l’idée de progrès par l’action politique (synonyme : conservateur, antonyme : progressiste), initialement en réaction à l’idée révolutionnaire

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