trepalium

Publié le 4 Septembre 2006

30/11/01

Karim, Ahmed, Mohand et les autres

 

Mon boulot ne me plaît jamais autant que lorsque, m’étant défoncé pour le faire bien, les étudiants réussissent le travail exigé et m’envoient des signaux de sympathie. Ces marques de reconnaissance de mon travail et de ma bienveillance me mettent en joie et me donnent une énergie nouvelle pour continuer sur la voie de cet investissement. Pourtant, rien ne vaut pour me stimuler que le sentiment d’une relation privilégiée avec l’un des garçons de la promotion.

 

Celui-ci est toujours beau gosse, le plus souvent d’origine maghrébine (encore que j’ai un souvenir ému de Sébastien en BTS force de vente à Trappes ou de Jérome P. lors de ma 1ère année à Macé), il fait montre en général de davantage de maturité que ses pairs et il n’est d’ailleurs pas rare que je prenne plaisir à discuter avec lui hors du contexte des heures de cours. Même s’il apparaît comme peu motivé voire doué pour le domaine dans lequel j’interviens, il se défonce et parvient à des résultats en général plus qu’honorables.

C’est un garçon très spontané y compris dans sa manière de vous faire savoir que vous lui plaisez, au point que je me sente parfois gêné pour lui ; dans ce cas, il arrive le plus souvent que celui-ci fasse à un moment marche arrière et ce de manière irréversible : force est alors pour moi de constater qu’il en est désormais fini de notre affinité affective. Après être redevenu un étudiant comme les autres, il laissera la place l’année suivante à un voire à d’autres garçons.

En attendant, les rêvasseries fantasmagoriques seront allées chez moi bon train.

 

Avec Mohand, elles n’étaient manifestement pas sans fondement. Il m’avait contacté pas loin d’un an après de l’obtention de son BTS pour me proposer de venir boire un pot à Blanche avec lui et un copain. Il m’attendait à la sortie du métro tout de noir vêtu, lunettes de soleil très « fashion » sur le nez, les muscles bandés. Plaisir d’avoir l’heur de le retrouver à son initiative. Première tournée lancée dans le pub de la place, il se lance dans un tutoiement tout à fait légitime : « et, on peux maintenant, Thomas, tu n’es plus mon prof ». Un peu gêné par la soudaine familiarité de notre assemblée (son pote qui n’a pas sa langue dans sa poche, l’appelle, sans que cela ne le perturbe outre mesure, « ma couille »), je fais le « bégeule » et j’ai toutes les peines du monde à le suivre dans son tutoiement. La mousse aidant (la deuxième tournée est pour moi) il se met à vouloir me faire parler de mes collègues (en mal) puis à me dire que beaucoup d’étudiants étaient hypocrites avec moi pour finir avec, en gros, qu’il était le seul à m’apprécier.

 

Son pote a dû envoyer sa tournée et, va savoir comment, Mohand m’embarque sur le terrain du potentiel de relations intimes entre prof et étudiants. Nous parlons d’un étudiant asexué, dans le vague, pas de fille, mais Mohand n’a-t-il pas eu au moins à deux reprises Gabriel au téléphone quand il cherchait à me joindre ?  De nouveau malgré l’ébriété qui me gagne de plus en plus, je fais ma prude : « jamais une relation en cours de formation ! Même après, il y a toujours des liens entre promos ! Et puis je ne cherche pas, je ne suis pas libre.»

 

Je me suis presque enfui en le remerciant et en m’excusant de devoir les quitter pour préparer le dîner de ce soir (« il y a du monde à la maison ce soir », ce qui était vrai).

Je suis rentré à la maison passablement excité. Malgré tous mes efforts pour masquer l’origine de cet énervement, Gabriel à qui j’ai raconté d’où je venais, l’a immédiatement devinée.

 

Pris de remords d’en rester là, j’ai tenté de reprendre contact avec lui avant qu’il ne parte comme prévu avec Arnaud F. à Los Angeles. J’ai eu au téléphone une tante je crois, à qui j’ai laissé en pure perte le message suivant « je tiens à sa disposition la cassette vidéo qui l’intéressait ». Il s’agissait de « Roger et moi » de Michael Moore que nous avions évoqué dans notre conversation. Ça doit faire déjà plus de 3 ans que j’ai passé cet appel et je n’ai jamais eu depuis de nouvelles de Mohand H. Dommage ! Tant mieux ?

 

 


 

Cette année, nous avons trois mousquetaires en 1ère année : Ismaël, Fodhil et Karim. Entre eux quand ils se charrient, ils deviennent Caliméro, Faudel et Djamel Bouhras. Pas mal trouvés les surnoms : Ismaël a une tête adorable de Caliméro (quand je pense que certains de mes collègues voulaient le renvoyer pour s’être réjoui le 11 septembre que le malheur touche pour une fois les américains), sympa, bien élevé (il aide son père à l’épicerie dans le 20e) et intelligent. Fodhil est vraiment très mignon et très classe quand il se sape, si ce n’était sa voix rocailleuse, Faudel ne pouvait pas être mieux trouvé.

 

Quant à Karim, même s’il ressemble effectivement à Djamel Bouhras, il trimballe un physique de ring de boxe - sport principal qu’il pratique - qui jure avec sa douceur et sa finesse d’esprit. Il est le plus âgé des trois. Fort d’un bac ES, après un passage à la fac, il s’était inscrit l’an dernier en BTS compta-gestion à Macé : « - ça ne vous a pas plu la compta ? - pas des masses et puis j’ai eu un problème à la boxe qui m’a handicapé, l’épaule, j’ai dû me faire opérer – vous vous l’étiez déjà déboîté une fois ? – comment vous le savez ? – je connais quelqu’un à qui c’est arrivé et qu’on a prévenu d’éviter de recommencer, sinon opération ! – regardez la cicatrice ! » Me dit-il en se contorsionnant pour faire apparaître son épaule. « A poil ! » me pensai-je tout en faisant mine d’être très moyennement intéressé.

 

 

Vendredi dernier, je l’ai gentiment mais copieusement charrié sur sa tenue professionnel : des éléments habillés recouverts partiellement d’un blouson chaud le tout couronné d’un calot de musulman pieux orange pour couvrir sa toute nouvelle coupe de bagnard marquée d’un bleu. Karim me signale que sa coupe c’est la mienne et que d’ailleurs il trouve que j’ai des airs de Barthez. « Comment voulez vous trouver des entreprises avec un look pareil ? - Des entreprises, j’en trouve autant que j’en veux.- Ah bon ? Quel est votre truc ? – Je n’ai qu’à marcher et elles viennent à moi. – Ah ouais ? Et vous marchez comment pour avoir un tel succès ? – Je n’ai qu’à le faire. – Ah ouais ? Et vous proposez quoi ? – tout. – tout ? Par exemple ? – Alors là ça devient trop privé, je ne peux pas vous dire. » Scabreux non ? C’est un peu de ma faute. Il m’avait énervé avec ses propos enthousiastes sur les saunas qu’il prend dans son club de sport quand il ne joue pas au ping pong « avec des vieux sympas qui frappent comme des malades ».

 

 

Aujourd’hui, il est arrivé avec ses inséparables compagnons, en retard, mais rasé, bien looké quoiqu’un tantinet décontracté. Il resta sage comme une image pendant toute la réunion plénière.

 

Celle-ci achevée, alors que je m’entretenais avec un étudiant, il me tournait autour pour finir par se rapprocher de nous comme pour mieux entendre ce que nous disions. Je lui ai expliqué la distance sociale requise en joignant le geste à la parole : « plus on descend dans le sud, plus on communique prés de son interlocuteur, – ce que j’ai fait copieusement, au point de susciter chez lui un mouvement de recul un tantinet gêné - plus on monte vers le nord plus la distance considérée comme convenable s’allonge et nous sommes plutôt au nord non ? – c’est parce que j’aime bien votre parfum » répéta-t-il deux fois.  Il était déchaîné, sa logorrhée me submergea (extraits) : « je vous ai vu dans Paris super fringué,  avec le petit pantalon en stretch qui va bien,  avec une meute de filles superbes qui vous tournaient autour – et puis juste après vous m’avez vu avec les vêtements complètement déchirés par les mêmes filles ?… » Plus sérieusement : « vous êtes mariés ? – (moi un peu gêné par le tour privé que prenait la conversation) Je l’ai été – Des enfants ? – On n’a pas eu le temps. – Vous êtes seul ou vous vivez… en concubinage ? – Concubinage. - Vous ne voulez pas vous remariez ? – ça je ne crois pas, vous êtes de la police ?… - Parce que moi je peux vous proposer une petite du bled, bon elle ne parle pas le français mais… - Mais ai-je l’air de quelqu’un qui a faim ? J’ai tout ce qu’il faut à la maison. – Ben je ne sais pas le matin en cours, vous êtes tout énervé alors que nous on est tous affalés -–mais qu’est-ce que vous croyez, je suis aussi naze que vous sauf que je n’ai pas le droit de l’être alors je me mets en autohypnose et je m’excite. »

 

Peu de temps avant, je lui avais demandé dans le couloir si la « rue C et M » qu’il avait inscrit comme son adresse existait. Un peu gêné que je l’ai remarqué, il corrigea : « C et R. Là je peux pas vous dire, il y a trop de monde. Je vous expliquerai. » Quelques minutes plus tard, « c’est la rue Charles et Robert, essayez de deviner. – Ou là ça devient subtil, je laisse tomber. »

Nous eûmes tout de même le temps d’avoir un bout de conversation un peu moins délirante sur le calendrier musulman dont il maîtrisait les subtilités. Encore que ce fut pour lui l’occasion de me faire bien rire : « nous les musulmans on est en 1422… (À voix plus basse) toujours à la traîne les musulmans ! »

 

Après une longue prise de congé à l’africaine où il m’a souhaité le meilleur, il s’est excusé de devoir y aller mais comme il me l’avait déjà dit, il lui fallait aller faire un sauna.

 

4/12/01

Les bûchers de Sodome

 

Lors de la dernière soirée passée chez Christophe et Selim, je ne sais plus à quel propos Christophe a lâché qu’il avait entendu qu’une étude très sérieuse faisait état d’une proportion de 10 à 20 % d’homos en France. Trouvant la fourchette certes fantasmatique mais complètement fantaisiste, je lui ai alors demandé à partir de quelles informations et par quelle démarche ses auteurs en étaient arrivés à un résultat aussi homophile. Comme nous piétinions, Selim a clos la conversation en disant que pour y arriver il ne voyait que le sondage d’anus d’un échantillon représentatif de la population française. Je me suis permis de lui faire remarquer que son hypothèse risquait de minimiser la proportion d’homosexuels puisqu’il demeure tout de même un certain nombre d’homos rétifs à la sodomie et que si c’était cette méthode qui avait été utilisée, il était permis de doubler le pourcentage soit pas moins de 20 à 40 % d’homosexuels, ce qui réduisait considérablement la prégnance de l’hétérosexualité, CQFD.

 

Ceci dit, cette méthode moyenâgeuse d’examen anal a récemment été utilisée par un pays dans lequel un grand nombre de français a été au moins une fois en vacances, nous compris : l’Egypte.

 

23 homosexuels parmi les 52 personnes raflées dans une fête « gay friendly » par les flics viennent d’être condamnés par la Haute Cour de Sécurité de l’Etat à des peines de prison allant jusqu’à 5 ans (Le Monde 17/11/01). Entre temps, la presse qui a couvert l’événement nous a offert des photos des 52 hommes enfermés dans une cage pour leur comparution, essayant en vain de cacher leur visage. Après avoir été battus pour obtenir des aveux, ils ont eu droit à l’humiliant examen anal pour vérifier s’ils avaient été « utilisés » ». De l’avis des connaisseurs de la situation en Egypte, les raisons de cette situation sont politiques, liées aux pressions des milieux intégristes. Les féministes, voire les coptes, sont victimes des mêmes persécutions en Egypte. En raison du contexte économique et social très difficile, le pouvoir donne des gages aux franges les plus extrémistes de l’intégrisme, malgré une répression violente contre eux.

Depuis le temps que je me fait cachetonner par Amnesty International et puisque l’organisation s’occupe désormais des personnes persécutées pour homosexualité, j’aimerais bien qu’elle m’offre l’opportunité d’interpeller Moubarak, seul à même de les gracier. 




 

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Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #trépalium, #Fantasme, #intergénérationnel, #homophobie, #les amis

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