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Publié le 27 Juillet 2019

Mohamed Bourouissa - Périphérique 2005-2009 le téléphone

Mohamed Bourouissa - Périphérique 2005-2009 le téléphone

Jamiroquai - Space Cowboy (Classic Radio mix) Remix - David Morales (1994)

Gabriel me considère comme un excentrique. Le trait me plaît bien. Il faut dire que j’ai de qui tenir avec les originaux qui m’ont fait grandir. Rajoutez là-dessus l’homosexualité sans projet parental et j’avais vraiment peu de chances de filer conformiste.
Bref, opinions et comportements moutonniers ne sont pas vraiment ma tasse de thé. Mon mépris pour la mode serait total si elle n’était portée par les plus jolis garçons de la planète, j’ai du reste depuis longtemps fait mienne la phrase d’Oscar Wilde, le dandy : « La mode est une forme de laideur si intolérable qu'il faut en changer tous les six mois. »
A propos de mode, – mais peut-on encore parler de mode pour un phénomène qui date de plus d’une décennie ? - la folie tatouage confine à la pandémie. C’est quoi cette surenchère d’inscriptions et de dessins qui envahissent les corps ? Il ne cesse de me trotter dans la tête cette question que Valérie Bruni-Tedeschi pose à sa nouvelle copine dans le film « Folles de joie » et qui, sur un ton de reproche, lui suggère plutôt de s’acheter un carnet de notes et croquis pour cesser cette mauvaise habitude.
Le tatouage discret comme celui que s’est fait faire ma sœur sur la cheville, passe encore, mais cette inflation ! Valentin, le neveu de Gabriel a pour projet de s’en faire faire un 3e sur sa belle peau de métis, bien que sa copine ne soit pas franchement emballée et que son père ne décolère pas de son impuissance à le dissuader. Il faut dire qu’avec sa passion du foot, le jeune homme ne manque pas de modèles…

Tatouages du joueur argentin Ezequiel Lavezzi - https://football-et-tatouages.skyrock.com/

Tatouages du joueur argentin Ezequiel Lavezzi - https://football-et-tatouages.skyrock.com/

Pour l’anthropologue Sébastien Galliot, « à l’ère de l’individu, le tatouage est un mode d’appropriation de soi et un marqueur d’identité [...]. Mais il va au-delà de la simple manifestation narcissique : c’est pour certains un moyen de marquer des étapes importantes de la vie, en célébrant, par exemple, un parent décédé, ou la naissance d’un enfant, ou encore d’affirmer son appartenance à un groupe. Un peu comme si on cherchait à recréer des rituels dans une société qui en est aujourd’hui dépourvue… » Mouais. Et si cette prolifération de tatouages, mais aussi de muscles et de poils sur le visage avait tout de même un lien avec la vague féministe actuelle, voire même la visibilité LGBTQ+, comme une manière de réaffirmer une « virilité mise à mâle » ?

La famille avait un point commun : les tatouages. Ils évoluaient en portant sur eux les autocollants de frigo de leurs convictions, des messages si obscurs qu’ils devaient certainement passer des heures à expliquer le sens des Post-it qu’ils se trimballaient. Genre leur prénom traduit en dialecte inca. Et comment on dit Kevin en maya, hein ? Et Cindy, en aztèque ? J’imaginais qu’ils devaient aussi avoir des slogans quelque part, sur un quelconque tibia, sur un bout de fesse. Un cri de ralliement de la contre-culture d’il y a trente ans. D’où j’étais, je pouvais reconnaître, sur l’épaule de la mère, une mésange. Enfin, ce qui avait dû être une mésange, à l’époque, ressemblait maintenant davantage à un chapon.

Pension complète de Jacky Schwarzmann

L’excentricité du « sans portable »

Ce dessin « 1968-2019 » m’offre une transition parfaite : le tatoué de 2019 écoute un smartphone.
Selon l’étude annuelle sur le Numérique réalisée 2018, 75 % des Français possèdent un smartphone (+ 2 points par rapport à l’année précédente) contre 78 % qui ont un ordinateur et 41 % une tablette (recul de 3 points pour les 2 terminaux). 94 % de la population utilise un téléphone mobile, un chiffre qui lui reste stable (près de 75 % dans le monde). Les moins de 39 ans privilégient ainsi le smartphone pour surfer sur le Net, quand l'ordinateur reste l'outil de prédilection des plus de 60 ans. Pour la première fois, les 40-59 ans sont aussi nombreux à utiliser le smartphone que l'ordinateur comme moyen prioritaire de connexion à Internet.
Autant dire que le simple fait de ne pas avoir de téléphone mobile vous évite certes la vulgarité que l’objet suscite, du genre de ces 3 heures de visio-conférence sans écouteurs que nous a infligé notre voisine albanaise dans le bus entre Napoli et Bari, mais vous a fait basculer depuis un moment dans une marginalité suspecte.

Ça fait combien de temps que je résiste ? En France, le nombre d'abonnements en mobile a dépassé celui des lignes fixes en 2002 (je me souviens notre effarement à Rome en 1997 de voir et d’entendre autant de gens échanger bruyamment dans l’espace public avec un téléphone portable). Avec l’arrivée de l’Iphone en 2007, a commencé l’irrésistible ascension des téléphones intelligents.

Canicule - photo Philippe LOPEZ - AFP

Canicule - photo Philippe LOPEZ - AFP

Les « sans portable », « sans smartphone » ont fait l’objet d’une étude en France publiée en 2016 dans laquelle je retrouve bon nombre de raisons qui m’ont fait choisir de ne pas en avoir.
Pourtant, n’ayant pas encore décidé de me retirer dans un ermitage sans accès à Internet, après une succession de problèmes et divers constats, j’ai dû me rendre à l’évidence : il me fallait un portable. Non que j’en sois devenu camé sans avoir consommé, à l’instar de ces pauvres gosses de junkies (il y a une foultitude d’articles sur le web concernant l’addiction ou l’usage excessif de portable quand on pose la question «Peut-on encore se passer d’un téléphone mobile ? »), uniquement parce que force est de reconnaître que c’est devenu impossible de s’en passer. D’ailleurs, si Gabriel n’en avait pas eu un, il y a belle lurette que moi aussi je devrais me balader un peu partout avec cet objet à la main ou dans ma poche.

La prise de conscience qu’un jour je n’aurai pas le choix s’est faite lorsque des sites web se sont mis à refuser de valider mon formulaire tant que je ne donnais pas un numéro de portable : il est par exemple impossible d’acheter un billet d’avion Transavia sans fournir un 06.

Ensuite, Google dont les services de qualité sont difficilement contournables veille à la sécurité de notre compte avec des algorithmes cauchemardesques pour des gens comme moi (L’enfer est souvent pavé de bonnes intentions) : si je me connecte au web depuis un terminal et une adresse IP qu’il ne connaît pas, ce qui est systématique en déplacement, mon compte est immédiatement bloqué par précaution. Vous avez beau fournir l’adresse mail de récupération, saisir le code envoyé d’authentification, vous torturer l’esprit pour retrouver votre précédent mot de passe (j’ai toujours calé sur la question de la date de création du compte), pour avoir de nouveau accès à votre boite Gmail, seules deux solutions sont opérantes : se connecter depuis un matériel et une adresse IP que Google connaît déjà (à votre retour de vacances ?) ou fournir un numéro de téléphone portable. En fait, Google comme tous les sites marchands sur Internet, cherche par tous les moyens à obtenir de vous cette donnée personnelle à laquelle est associée toute votre vie sur Internet. 

Art of Popov - cabine téléphonique le long du canal de l'Ourcq (7/2014)

Art of Popov - cabine téléphonique le long du canal de l'Ourcq (7/2014)

Quoi d’autre ? Depuis novembre 2018, même l’opérateur téléphonique historique Orange ne propose plus de ligne téléphonique fixe autrement que par l’intermédiaire d’une box. Que celle-ci soit hors-service pour une raison ou une autre et ça devient quasi impossible de vous faire dépanner sans téléphone portable, que ce soit pour un diagnostic à distance ou pour un rendez-vous de technicien qui, avant d’arriver appelle ou envoie un texto pour vérifier que vous êtes bien présent pour le rendez-vous.
C’est la même chose avec les nouveaux modes d’hébergement qui ne sont pas des hôtels mais des particuliers qui louent des appartements ou des chambres via Airbnb ou Booking. Avant votre arrivée, on vous contacte pour confirmer votre arrivée prévue, si malgré cela personne n’est là pour vous accueillir, il faut pouvoir  rappeler ou envoyer un SMS.
Dans les relations professionnelles comme les relations personnelles, le rendez-vous (et la parole donnée) ne suffit plus, il donne lieu pour se faire à un nombre plus ou moins importants d’échanges préalables par téléphone portable et ce jusqu’au moment de se rencontrer. Cette transformation rend aussi caduc l’usage du courriel, si tant est que l’on trouve encore un cybercafé ou une connexion wi-fi pour sa tablette, quant à la cabine téléphonique si vous tombez par hasard sur une rescapée, ne manquez pas de la photographier.


Au-delà, la préférence du plus grand nombre pour les outils de communication du portable (SMS, Whatsapp) m’a finalement largement exclu des communications avec notre réseau social : la plupart passent désormais par le portable de mon compagnon. Si je rajoute à cela que ma ligne hors-service depuis plus de deux mois est celle qui me permet d’appeler les portables sans surtaxation, et que les gens ne relèvent plus les messages de leur ligne fixe quand ils en ont encore une, je finis par me sentir un peu seul (merci à France Télécom qui chaque fois qu’elle règle le problème, coupe la ligne de ma voisine et vice-versa). Bref, plus rien à f. de l’excentricité, j’ai un BESOIN URGENT de portable.

L’excentricité du « sans portable »

Balthazar - You're so real

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Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #mâlitude,, #technoscience, #les années, #socio, #livres, #musique

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