paris

Publié le 1 Mai 2007

 

Fresa y chocolate

 

Ces deux personnages étaient cependant très loin physiquement de ressembler à l'idée qu'ils se faisaient d'eux-mêmes. Plutôt que des jeunes gens séduisants et agiles, c'étaient deux êtres efféminés, chauves et gros, qui tous les matins, devant leurs toasts et leur tasse de café décaféiné, lisaient le New York Times... Après quoi, d'une même allure et vêtus de la même façon, à la dernière mode imposée par une quelconque idole hollywoodienne, ils se lançaient dans la rue en quête de l'amant idéal, d'un homme qu'ils ne rencontraient bien entendu jamais. Au cours de leurs recherches et autres aventures, ils avaient exploré urinoirs et terrasses, escaliers, trains et plages publiques, prisons, théâtres, campements militaires, cinémas, établissements de bains, bars, stades, musées et arrêts d'autobus, sans parler, naturellement, de tous les arbres, toutes les arcades, tous les ponts et tous les carrefours de Central Park et même du jardin zoologique du Bronx où Mary Avilès caressait l'improbable espoir qu'un jour un fauve la mettrait en pièces... Habillés en hommes (pour voir s'ils se feraient violer par des hommes), ils s'étaient promenés à l'aube dans le centre de Harlem et dans tout New York uptown ; habillés en femmes (pour voir si un travesti actif les posséderait) ils avaient parcouru les lieux presque infinis où se réunissaient des homosexuels, depuis un antre souterrain appelé La Petite Ecole jusqu'à la très populeuse 42e Rue.


Bien entendu, nous ne nierons pas que durant ces incessantes errances les Oscar aient forniqué. Au contraire, ils le faisaient pratiquement tous les jours, ou plutôt, jour et nuit ; mais jamais avec l'objet de leurs désirs : avec des gens qui leur ressemblaient ; des personnages qui au lieu de désirer repoussaient, en même temps qu'ils étaient repoussés eux-mêmes ; mais qui, par lassitude, par frustration, par routine, ou parce qu'il n'y avait pas d'autre solution, finissaient par s'accoupler et par ressentir , au moment culminant, non le plaisir mais la frustration de posséder leurs propres images repoussantes ? ou d'être possédés par elles.


Et cependant ce fut leur meilleure époque. Celles qui suivirent furent pires encore, et le flirt (le flete, disaient les Cubaines de Cuba) échangea ses risques traditionnels (chantage, coups, vol, maladies vénériennes) pour un risque véritablement mortel. [...]

 

Reinaldo Arenas Le portier - Presses de la Renaissance 1987

 

 

Par l'entremise de Goran, il m'est arrivé de croiser Lilian Hasson. Je ne l'aurais pas remarquée s'il ne m'avait pas été rapporté qu'elle avait traduit bon nombre de livres de Reinaldo Arenas, que j'avais découvert en 1991 avec ce Portier plein de fantaisie et d'humour. Un monde hallucinant m'était tombé des mains mais son autobiographie Avant la nuit m'avait beaucoup émue, tout comme son adaptation cinématographique très réussie par Julian Schnabel.

 

Ce vendredi là, je me suis retrouvé à ses côtés autour d'une tablée de huit personnes. Si Goran était celui par lequel nous avions été réunis, l'évènement du jour était aussi la sortie de son livre sur Reinaldo Arenas, illustré par des photographies de Suzanne, également présente : Un cubain libre Reinaldo Arenas Actes Sud.

 

Si j'ai bien compris, toutes deux revenaient de Cuba, avec dans leur valise, un jeune cinéaste, Manuel Zayas, « complice » de Liliane « en recherches areniennes sur les années cubaines de l'écrivain », lequel venait lui-même présenter son documentaire au sujet d'Arenas,  Seres extravagantes.

 

 

Angel Marcos

 

Fragment

 

Dans son livre Antes que anochezca (Autobiografia), Rey, comme tout le monde l'appelait là-bas, baise tellement et avec tant de facilité malgré l'extrême homophobie régnant à Cuba, qu'on avait fini par se dire que toutes ces frasques devaient être largement exagérées et fantasmées. Ce n'est pas ce qu'a raconté son ami Delfin Prats à Liliane et Suzanne.


Bref, poursuit Delfin Prats, ce qui nous unis, ce sont les garçons, la mer et la littérature. Il préférait la mer par-dessus toutes choses, il ne pouvait pas vivre sans la mer. Sur le plan sexuel aussi, nous sommes différents. Lui, il faisait une fixation qui avait un aspect formidablement positif. Quand il avait levé trois ou quatre gars, il écrivait sept cents pages ! [...]

-         Et toi, tu y as été, dans la pièce du haut ? (La chambre de Rey dans la villa de sa tante à Miramar)

Qui ? Moi ? Toute ma vie ! C’était une chambre minuscule, il avait trouvé le moyen de fixer sa machine à écrire à la table, car tandis qu’il faisait l’amour... La plage Patricio Lumumba était tout près et il pouvait racoler les créatures les plus.... allez, on va employer un euphémisme, les plus splendides.

-          Des garçons de quel âge environ, des adolescents ?


-          Oh non, plus âgés, il n’aimait pas les jeunots, pas du tout. Tout se passait là-haut ; sa tante était une femme affreusement conventionnelle, liée à un autre système de pouvoir. Lui il s’adonnait à ce qu’il aimait le plus au monde : nager, faire l’amour, écrire. »

Nous en étions là de notre conversation quand surgit une carriole avec deux jeunes paysans « à bord » : ils stoppent à quelques mètres et se mettent à faucher l’herbe à la machette, autour de nos corps allongés ! Sans s’émouvoir, Delfin les interpelle, puis : « Où en étions-nous, déjà ?

-          l’épanouissement des garçons, la mer... [...]

 

Un cubain libre Reinaldo Arenas Actes Sud.

 

 

A propos de Reinaldo Arenas, sur ce blog

 

Comment par gourmandise la Glouglou devint la Bicul

 

Homosexualité et socialisme

 

 

 

 

 

« Chaud mais pas cher »

 

De novembre à fin mars, la catégorie la plus répandue en Nouvelle Angleterre, et à bien des égards la plus facile à satisfaire était le « Chaud mais Pas Cher ». Le client C.P.C. se démasquait en annonçant qu'il se souciait peu de sa destination, du moment qu'il y faisait chaud, chaud, chaud, et que cela ne coûtait pas une fortune. Le premier qui inventera un moyen de transport économique pour expédier des groupes en enfer deviendra milliardaire.

 

L'art de la fugue Stephen McCauley 10-18

 

Il paraît que cette manie que nos contemporains ont de s'agiter d'un point à l'autre du globe augmente considérablement leur empreinte écologique. Ces vacances, je me la suis joué écolo, je n'ai pas bougé de mon coin de Paris. En fait, je n'en avais pas plus envie que cela, mais j'ai dit autour de moi que je m'étais entraîné à ne pas partir, histoire de ne pas trop mal vivre le jour où avions et TGV nous deviendraient inaccessibles financièrement. Enfin, pour être honnête, ne pas partir m'a laissé un peu de temps pour m'occuper de projets de... départs.
Les retrouvailles familiales en Ardèche pour le pont de l'Ascension d'abord : 180 euros par tête. On a encore pris 20 euros dans le nez depuis l'an dernier. Redoutables ces prix « dynamiques » appliquant le yield management sur une destination où le transporteur public est en situation de monopole ! C'est jackpot à tous les coups sur le dos des petites têtes de notre espèce. Sans compter que toute tentative de contrôle des prix par les pouvoirs publics serait vouée à l'échec puisque pour une même prestation, il y a autant de prix que de voyageurs.

Le voyage d'été ensuite. Denpasar (Bali), au mieux 1100 euros pour un vol longuissime, Yangoon (Birmanie), vol du même acabit. Je me transforme en agent de voyage et finis par trouver un voyage à un tarif satisfaisant, en partant en Thalys pour Bruxelles, puis un vol Turkish Airlines pour Bangkok où l'on fait un stop d'un jour, pour ensuite prendre un vol local pour Yangoon. Le temps de proposer le plan à Gabriel, de nous occuper des garçons durant le week-end, et deux jours plus tard, c'est 500 euros plus cher. Si vous ne le connaissiez pas, souvenez vous de ce mot : yield management !

Bref, je vous épargne les détails et l'épilogue de la quête de ces deux places forcément hors de prix et inconfortables pour qui mesure plus d'1 mètre cinquante, afin plutôt d'évoquer un petit bout de rue du nord de Paris.

 

 

 

En cette fin d'après-midi, il s'affiche 28 degrés sur l'avenue Lafayette, comme toujours asphyxiée par la pollution automobile, je m'enfile sur la droite dans la rue Louis Blanc qui remonte vers le métro La Chapelle. Retour au calme, on respire un peu mieux. En passant au-dessus des voies ferrées de la Gare du Nord, les immeubles bordant la rue disparaissent pour ne laisser plus qu'un espace surchauffé par le soleil de la journée. En son extrémité, le feuillage de très grands platanes ( ?) recouvre toute la rue d'une ombre rafraîchissante.

Et, là, subitement, vous plongez ailleurs, dans une atmosphère qui pourrait être celle d'une rue ombragée d'Hanoï la coloniale ou, pour être moins fantaisiste, d'une rue arborée de Pondichéry.

Des hommes, à la peau plus ou moins sombre discutent avec animation sur les trottoirs dans un « glougloument » généralisé, d'autres sont attablés dans des gargotes exhalant les épices. Partout ailleurs, ça s'affaire dans les boutiques.

Nulle mise en avant des mangues du Pakistan ou d'Inde que je suis venu ici chercher. Finalement, j'en aperçois dans leur boite de six. Je m'adresse à l'employé qui met les achats dans les sacs à côté de la caisse :

- combien vaut la boite de mangues ?

- 5 euros cinquante.

- d'où viennent-elles ?

Il l'ignore et le demande au caissier. Est-ce la musique tamoule ( ?) qui est trop forte ? Est-ce son accent ? Je ne comprends rien à ce qu'il me dit. Je lui fais répéter deux fois mais rien n'y fait. Je me tourne vers le premier qui me dit qu'elles viennent d'Inde. Les trouvant petites et chères, je poursuis mon chemin.

Quelques femmes, le plus souvent vêtues du plus gracieux vêtement féminin que je connaisse, le sari, font leurs courses. Dans le supermarché à l'angle de la rue, il y a aussi une palette de mangues près de l'entrée surmontée d'un écriteau écrit à la main : 5 euros 49. Même si c'est peut-être un prix pour européen, j'apprécie ces prix administrés qui vous permettent d'acheter rapidement et sans états d'âme.

Dans sa réserve ouverte sur la rue, des manutentionnaires s'affairent sur des colis en provenance de Mumbaï (Bombay), un « coolie » beau par sa jeunesse, s'arrête un instant de travailler pour me faire un signe de la tête qui pourrait bien être un bonjour.

L'antienne de voyage que j'inflige presque toujours à mon fidèle compagnon, me revient alors à l'esprit : « pourquoi voyage-t-on ? »

 

Université de tous les savoirs :

 

Pourquoi le touriste voyage-t-il ? (Document vidéo) : http://www.canal-u.fr/canalu/chainev2/utls/programme/109/sequence_id/999418/format_id/3003/

 

Sur ce blog : Le monde entier aux Buttes-Chaumont in Du côté de chez Tom

 

 

 

 

 

Asian Dub Foundation

Pot de bienvenu

 

Chaque semaine Libération publie « l'actualité de la semaine vue par un intellectuel, un écrivain, un artiste ».  Cette semaine, c'était au tour de François Reynaert, toujours aussi drôle. Extrait.

 

Les beaux jours reviennent, l'humeur est printanière ; sur les ordinateurs, au bureau, on arrête de regarder compulsivement des sites de cul pour surfer compulsivement sur des sites de voyages, et en se redressant sur son siège, on perçoit le drame qui va avec l'arrivée de l'été : deux pneus qui menacent au-dessus de la ceinture. C'est amusant cette folie autour du poids et ce que les gens sont capables de faire pour en perdre deux grammes. Le magazine Elle de la semaine a testé la technique en vogue : la «randonnée détox», une semaine de jeûne total, avec rien d'autres que des tisanes et si j'ai bien compris, un lavement dès le premier jour, un pot de bienvenu, en quelque sorte. Les esprits forts le noteront : et après ? Le goût de la mortification n'a rien de nouveau. En étudiant les vies de saints pendant un an, j'en ai vu défiler des grands malades de l'auto-flagellation : sainte Rita s'enfonçait des aiguilles dans les ongles pour dompter sa chair, saint Siméon jeûnait six jours sur sept, sainte Marguerite-Marie Alacoque mangeait le vomi des malades. Seulement, tous le faisaient dans l'espoir d'entrer un jour au paradis. Les gens d'aujourd'hui sont près à pis, et c'est juste pour entrer un mois plus tard dans leur maillot de bain.

 

L'intégralité tant qu'elle est en ligne : http://www.liberation.fr/transversales/weekend/247494.FR.php

 

 

 

 

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Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #livres, #les amis, #touriste, #Paris, #mens sana in corpore sano, #rire

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