Gitons

Publié le 16 Juin 2007

Dennis Cooper, Larry Clark et Gus Van Sant, font œuvre d’une obsession commune : l’adolescence. 

Ingrédients : (premières) expériences sexuelles (plutôt homo chez Cooper et Van Sant, plutôt hétéro chez Larry Clark), skate board chez Clark et Van Sant, déviances (drogues, prostitution, voire crimes), dans un monde d’adultes absents, défaillants ou pervers.

Sauf exception (Ken park de Clark), les films de Clark et Van Sant, même s’ils sont toujours très sensuels, se tiennent sagement dans les limites autorisées par la décence et peuvent même être attendrissants (Wassup rockers pour le premier et My own private Idaho pour le second).

Il en va tout autrement avec Dennis Cooper, qui lui écrit des livres.

 

L’écrit autorise des audaces impensables au cinéma. D’abord à cause de l’effet de réel que produit l’image, y compris dans une œuvre de fiction : Lorsque Les 120 jours de Sodome de Sade peut, au pire vous donner mal au cœur, au mieux vous ennuyer (ce qui fut mon cas, j’ai vite capitulé), sa transposition à l’écran dans la république fasciste de Salo par Pasolini a toutes les chances de vous bouleverser, au point de vous faire quitter la salle (Salo ou les 120 journées de Sodome). Pour ma part, les moules frites mangées avec une copain de service militaire qui m’y avait embarqué, me restèrent sur l’estomac.

 

Cet effet de réel conjugué à une moindre accessibilité et diffusion du livre, explique sans doute aussi la moindre censure du livre, et que ce dernier puisse aller beaucoup plus loin dans le nauséabond.

 

J’avais découvert cet auteur suite à un numéro estival du magazine gay PREF qui avait reproduit un extrait de son livre Try.

Chez Cooper, de jeunes ados, sans repères et souvent défoncés, sont les jouets plus ou moins consentants d’adultes concupiscents et pervers.

 

Dans Try, dont le titre ne peut ne pas faire référence au gel lubrifiant intime du même nom, le récit ne s’éloigne jamais beaucoup du trou du cul des garçons. Dans ce livre publié comme presque tous les autres chez P.O.L., on croise également l’inceste, le snuff movie et même la nécrophilie.

 

Quatre doigts pénétrèrent presque aussitôt, et je remuai mon pouce dans ce trou noueux et gluant, quand Ziggy releva la tête, laquelle, j’ajouterais, était désagréablement voilée par un épais rideau perlé de sueur. « Oh putain, fit sa voix. Attends. »

 

« Encore... un... ou deux... centimètres. » (Ai-je dit que je me masturbais également tout ce temps ?)

« Non, attends. » Ziggy tendit une main et la referma sur mon poignet qui était à quelques secondes de l’immersion.

 

 

Par conséquent, j’avais classé cet auteur dans la catégorie « livre branlette », sans pour autant avoir envie d’en acquérir un autre : l’ambiance résolument glauque régnante au fil des pages avait eu tendance à m’écoeurer.

 

Pourtant, de façon tout à fait inattendue, je viens de lire un second Dennis Cooper, suite à un papier élogieux paru - tenez vous bien - dans le Monde 2, supplément au Monde daté du samedi.

 

On ne peut pas dire que Christophe Donner, qui officie à la rubrique littéraire, soit prescripteur de mes lectures, même si je trouve toujours ses papiers plutôt enlevés. En tout et pour tout, je crois que je ne lui dois guère que la lecture de Chroniques des quais de David Wojnarowicz. De l’écrivain non plus je ne suis pas abonné :

 

-         un court Giton (1990) que Gabriel a apporté à la bibliothèque et j’ai relu pour l’occasion : joli récit de la rencontre éphémère de l’auteur avec un garçon de 20 ans ;

-         un roman que j’ai enfin retrouvé ce matin, Retour à Eden (1996) dont le personnage principal est un jeune médecin de retour, après 7 ans d’exil, dans un  Nicaragua post sandiniste.

 

 

 

Richard Leonardi

 

 

Emilio s’est débrouillé avec les services administratifs pour le faire rester le plus longtemps possible à l’hôpital, il lui a aussi trouvé des papiers, une nouvelle identité.

 

-          Bientôt, tu pourras prendre un boulot, il y a un poste de brancardier, je me suis débrouillé.

-          Ferme la porte, disait Absalon, caresse-moi.

 

Absalon s’est refait une santé. Quand il a été tout à fait d’aplomb, il s’est enfui il a rejoint les Contras dans le nord.

De temps à autre, il faisait passer un message à Emilio, il lui donnait rendez-vous dans un motel de la carretera Norte , ou alors à Poneloya, dans cet hôtel Lacayo.

C’était un risque énorme, pour l’un comme pour l’autre.

Ils restaient deux jours dans la chambre sans plafond.

Les blessures avaient saccagé le torse et jambes du garçon, les caresses d’Emilio prenaient un autre sens, plus troublant encore, car c’est alors que, petit à petit, semaine après semaine, un nouveau prodige s’est accompli sur le corps d’Absalon. Les cicatrices sont devenues belles, il n’y a pas d’autres mots, belles. Emilio a pu observer ce travail de la beauté, cette appropriation de tous les défauts, de toutes les blessures, pour les changer, comme sur la toile d’un maître, en traits de génie.

 

 

Bref, à propos du dernier Dennis Cooper, Christophe Donner, n’hésite pas à titrer « Chef-d’œuvre.com » et il consacre Salopes «premier roman internétique ».

En effet, toute l’histoire qui « tourne autour du splendide cul de Brad, escort boy de soi-disant 18 ans [..] » est habilement construite sur des messages laissés sur des sites Internet, des forums et des échanges d’emails et de fax.

 

Pour ce qui est du contenu, comme l’annonce l’éditeur, «Il semble que jamais Dennis Cooper ne soit allé si loin : bareback, jeux sado-masochistes, nécrophilie, snuff... tout ce qui fait la matière de la plupart de ses livres se retrouve ici comme dans une anthologie systématique et radicale ».

 

Plutôt excitant au début : il m’a même donné envie d’aller voir de vrais sites d’escort boys (conseil : faire la requête sur Google en anglais), en revanche carrément gerbant dans la dernière partie du livre.

 

SAUF QUE... Sauf que le lecteur tient une échappatoire : il ne sait jamais si ce qui est raconté est vrai, si celui qui écrit est celui qu’il prétend. Les nombreux messages discordants nous le rappellent, on est sur Internet dans lequel il est si difficile de démêler l’information de l’intoxication, la réalité du pur fantasme.

 

Un profil moyen du lecteur du Monde 2 est sans doute fort éloigné du lecteur de Dennis Cooper. Chapeau le critique ! C’était vraiment culotté de plébisciter « Salopes ».

 

 

 


 

L’auteur le plus dangereux d’Amérique Accepter l’œuvre de Dennis Cooper par Richard Golstein (The Village Voice) : http://www.editions-desordres.com/auteurs/dennis_cooper_gold.php

 

Fiche et première pages de Salopes : http://www.pol-editeur.fr/catalogue/fichelivre.asp?Clef=6147

 

Fiche et première pages de Try : http://www.pol-editeur.fr/catalogue/fichelivre.asp?Clef=5643

 

Le site de Dennis Cooper (Anglais) : http://www.denniscooper.net/photos.htm

 

http://www.myspace.com/larryclark

 

http://nicaragua.dmweb.org/

 

Sur ce blog

Ken Park de Larry Clark: http://notesgaydethomas.over-blog.com/article-3889631.html

Mala noche de Gus Van Sant : http://notesgaydethomas.over-blog.com/article-4669585.html

 


 

David Wojnarowicz

 

 

Femmes de tête : telle mère, telle fille !

Au printemps 1960, Michel et Jacqueline Querqy fiancés depuis trois ans prennent idée de se marier car Michel Querqy militaire depuis 18 mois pouvait disposer d’une permission d’un mois à prendre avant fin juillet[1]. Comme ils ne couchaient pas officiellement ensemble et qu’ils ne pouvaient pas partir en voyage, le mariage était donc l’issue de secours. Projet dont ils entretinrent les parents Mercier au mois d’Avril ou Mai. Ceux-ci grimpèrent sur leurs grands chevaux et s’insurgèrent : Michel Querqy de Jaujac n’avait point de situation bien que Jacqueline Mercier gagnât déjà sa vie au pensionnat du Sacré cœur à Privas. Lorsque Michel Querqy osa dire à son futur beau père : « Mais vous vous êtes mariés trois mois après avoir connu votre femme, nous ça fait trois ans », Henri Mercier brandit alors un argument massue : « Monsieur, ne m’insultez pas ! »

 

Jacqueline Mercier jugeant la situation dans l’immédiat sans issue dit à son chéri : « Viens on s’en va. »

Ils passèrent la soirée au cinéma puis dans un bistro avant que la dulcinée fût raccompagnée chez elle vers les 1H du matin et que Michel Querqy de Jaujac prenne son train pour Marseille.

Georgette Mercier attendait sa fille de pied ferme :

-          d’où viens tu ?

-          de l’avenue de la gare, répliqua la rebelle de toujours.[2]

Le lundi matin Jacqueline Mercier regagna le Sacré Cœur à Privas. Pendant trois semaines, les tourtereaux ne se retrouvèrent qu’en Ardèche où les parents Querqy étaient fort vexés de ce qu’ils ressentaient comme le rejet de leur fils. Au bout de trois semaines, Jacqueline Mercier écrivit à ses parents, en l’occurrence surtout à sa mère qui portait la culotte, en lui disant : « Si j’étais enceinte, on se dépêcherait de nous marier, ce n’est pas chose très difficile à faire, nous pouvons nous y employer. »

Suite à ce courrier, Jacqueline Mercier retourna visiter ses parents. Sa mère l’accueillit en lui disant : « Ah, j’ai lu ta lettre, si tu crois nous faire céder ma petite tu te trompes, nous ne changerons pas d’avis ». Jacqueline Mercier reprit sa valise et c’est seulement au milieu des escaliers que Georgette Mercier la rattrapa et lui dit : « Bon ça va, on n’en reparlera plus, vous ferez ce que vous voudrez. » Effectivement, il n’en fut plus jamais question et le mariage eut lieu le 2 juillet 1960.

Récit sous la dictée de ma mère


 

[2] Une manière de provoquer ma grand-mère en lui laissant entendre qu’ils avaient été dans un hôtel à proximité de la gare SNCF.

Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #culture gay, #ciné-séries, #livres, #sex, #intergénérationnel

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O
J'aime bien l'association des deux parties de ton billet. Une première très "culture" gay et la seconde décalée , ? vraiment décalée ? Peu de choses ou plutôt beaucoup à raconter sur Clark, Donner, et Pasolini. Je ne connais pas Wojnarowicz et pas lu Cooper (je dois pourtant avoir un ces livres dans ma bibliothèque. Je crois que mon homme ne l'avait pas aimé.Sur mon blog je parle de 2h37 et je pensai évoquer Clark pour signaler que Thalluri a encore un peu de chemin à parcourir avant de le rejoindre (ainsi que Gus Van Sant).A propos de Salo ,  comme toi, j'ai été estomaqué en le voyant la première fois (j'avais une vingtaine d'années) et plus tard quand je l'ai revu , je fus moins retourné. D'abord il faut se "farcir" les digressions bavardes et les scènes dures paraissent truquées, du moins on perçoit facilement l'exagération.
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T
Content que le décallage t'ait plu... Même si, comme tu l'a pressenti, la juxtaposition n'est pas complètement décallée ; au moins parce que le projet initial du blog est dual, "éléments de culture gay" et un peu "d'intime".<br /> J'avais lu ton post sur 2H37, j'irai peut-être le voir.<br /> Ôtes moi d'un doute ! Ta deuxième fois avec Salo etc, c'était en salle ou en DVD ? Car même avec un Home cinéma, la puissance de l'image n'atteint pas celle du film dans une salle de cinéma, fut-elle inconfortable et avec un petit écran à l'instar du cinéma Accatone qui programme depuis toujours les films de Pasolini.