intergenerationnel

Publié le 24 Décembre 2022

Mitch Epstein - "American Power" 2003-2008 - Centrale thermique à charbon de Gavin - Ohio - Prix Pictet

Mitch Epstein - "American Power" 2003-2008 - Centrale thermique à charbon de Gavin - Ohio - Prix Pictet

Sois le changement que tu veux voir dans le Monde.

Gandhi

Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait.

Henri Estienne (1531-1598)

Le jour d'après / The day after tomorrow réalisé par Roland Emmerich (2004)

 

Grâce à la bédé de Jancovici et Blain, « le monde sans fin », je sais pourquoi j’ai autant tardé à écrire un billet sur l’écologie et le dérèglement climatique. C’est à cause du cerveau qui n’aime pas l’imprévu menaçant et qui nous pousse à aimer les habitudes. Plus exactement, c’est la zone du plaisir, le striatum qui demande toujours sa dose de dopamine et qui gagne le plus souvent dans son match avec le cortex cingulaire, siège de la connaissance. Ainsi, selon Sébastien Bohler, le striatum voit ce qu’il se passe maintenant et pas dans des dizaines d’années. Il a besoin de récompense instantanée. « Le striatum accorde une valeur moins importante aux actions dont les effets bénéfiques sont éloignés dans le futur ». ça s’applique parfaitement à « l’urgence » écologique, mais aussi à mon incorrigible addiction à la cigarette.

Je me suis fait un peu violence mais j’ai fini par renouer avec ce sujet d’actualité depuis un demi siècle.

 

1972, les alertes pour la planète du rapport Meadows | Franceinfo INA

Cinquante ans de rapports scientifiques alarmistes

Cinquante ans après la publication du rapport Meadows « Halte à la croissance ? Rapport sur les limites de la croissance »(« The Limits To Growth), rares sont les illuminés qui en rejettent aujourd’hui les conclusions : la croissance matérielle perpétuelle nous conduira tôt ou tard à un « effondrement » du monde qui nous entoure notamment en raison de l’épuisement des ressources naturelles, de la pollution et de la croissance démographique. Quels que soient les différents scénarios envisagés, le rapport concluait à l'urgence de freiner l'augmentation de la population ainsi que l'industrialisation.

Dans les années 1980, le  réchauffement climatique provoqué par l’émission de gaz à effet de serre (GES) d’origine humaine, commençait à être solidement établi par les scientifiques ; en 1988, fut créé, à la demande du G7, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Sa mission est d'« établir régulièrement une expertise collective scientifique sur le changement climatique ». Pour son 6e rapport publié en avril 2022, ses experts redonnent les préconisations qui permettraient de garder une chance de contenir le réchauffement à 1,5°C comme cela avait été convenu avec l'Accord de Paris en 2015, afin que la planète puisse rester "vivable". En effet, tous les indicateurs-clés attestent de l’ampleur du déréglement climatique : température moyenne, concentration du dioxyde de carbone dans l'atmosphère, niveau et contenu énergétique des océans, surface de la banquise et perte de masse des glaciers. Ainsi, la planète s’est déjà réchauffée de 1,2°C, entraînant, y compris dans nos contrées privilégiées, une multiplication des canicules, des sécheresses et des incendies, des pénuries d’eau et des inondations, la disparition d’espèces,...

 

photo de Nadav Kander “Yangtze, The Long River” Chongqing IV (Sunday Picnic) 2006
Nadav Kander “Yangtze, The Long River” Chongqing IV (Sunday Picnic) 2006 - Prix Pictet

 

Les changements « majeurs » qui permettraient de réduire le réchauffement n’ont pas changé : trouver le moyen de réduire drastiquement nos émissions de GES afin d’atteindre la neutralité carbone, sachant que l’inertie climatique et de la grande durée de vie des gaz à effet de serre accumulés dans l’atmosphère rendent le réchauffement inéluctable. Les moyens sont connus.

 

Une énergie moins carbonée
  • en remplaçant autant que possible les énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) par des sources d'énergie renouvelables, bas-carbone ou neutres (hydroélectricité, photovoltaïque, éolien...). Huit pays européens ont désormais un mix énergétique comportant plus de 30 % d’énergies renouvelables, la Suède, en tête, une fois de plus, se distingue avec un mix énergétique comportant 60 % d’énergies renouvelables notamment hydrauliques. La France est classée 17e avec une part de 19 % pour une moyenne européenne de 22 %.

Le nucléaire qui fournit entre 70 et 80 % de notre électricité en France, n’est pas évoqué dans le résumé du rapport du GIEC par vie-publique.fr alors qu’il s’agit d’une énergie produite avec très peu d’émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, selon ce site pro nucléaire, tous les scénarios du GIEC retiennent pour l’avenir une part plus grande du nucléaire dans le monde. Greenpeace, en fait lui une lecture toute autre, avec des arguments qui font mouche. Pour autant, les énergies renouvelables (Enr) ne sont pas sans inconvénients, et pour Jean-Marc Jancovici, le nucléaire reste un incontournable de notre mix énergétique, en particulier parce que les Enr, intermittentes car tributaires du vent, du soleil, ne peuvent pas à elles seules satisfaire les besoins énergétiques. « Bien sûr, le stockage progresse. Mais, à court terme, hormis les barrages hydrauliques, dont la France est fortement pourvue, la production d'énergie renouvelable doit être complétée, autant qu'il est nécessaire, par une énergie pilotable et décarbonée telle que l'énergie d'origine nucléaire. A plus long terme, les batteries pourront prendre une part croissante pour stocker l'électricité quelques heures mais pas sur six mois, de l'été à l'hiver ».

 

Photo de Kylian Mbappé, meilleur buteur de la coupe du monde
Kylian Mbappé, meilleur buteur de la coupe du monde avec 8 buts (pas vu un seul match)

 

 

La réduction de la demande énergétique

Une sobriété nouvelle passant par :

 

Ce qui relève de la responsabilité individuelle

Le changement de vie que requièrent ces préconisations relèvent en partie de décisions individuelles concernant la consommation en générale, l’alimentation, les transports, l’isolation de son habitat, le choix d’équiper sa maison d’une solution utilisant l’énergie solaire... Sachant que pour ces deux dernières décisions, il n’y a pas forcément de liberté d’agir des individus quand ils sont locataires ou lorsqu’ils ne disposent d’aucune épargne parce qu’ils ont un revenu modeste. Ces derniers ne pourront le faire que largement aidés par la collectivité, ce qui n’est pour l’heure pas le cas si j’en juge l’expérience de ma belle-mère non imposable qui a voulu en finir avec sa « passoire thermique » en changeant toutes ses ouvertures ; au terme d’une procédure compliquée effectuée par Gabriel, le montant de l’aide prévisible s'est affiché : 1200 euros, pour une dépense de 19 000.

De même, on l’a vu avec les gilets jaunes, la voiture n’est pas une option pour la population ne vivant pas dans une métropole, acquérir un véhicule moins polluant, en particulier une voiture hybride ou électrique, qui ne peut être uniquement du haut de gamme, requiert leur disponibilité à l’achat, une infrastructure pour la recharge des batteries et des aides significatives pour que ça devienne un marché de masse d’ici l’interdiction de la vente de voitures thermiques dans l’UE en 2035.

Quoi qu’il en soit, il reviendrait aux individus entre 25 % et 50 % des efforts nécessaires pour lutter contre le changement climatique. Si ça ne suffit pas, c’est une condition nécessaire, ne serait-ce que pour éviter de plonger dans l’éco-anxiété.

 

photo de Guillaume Diop Photo par Bojana Tatarska
Guillaume Diop Photo Bojana Tatarska

 

Inhibition de l'action : extrait du film "Mon oncle d'Amérique" d'Alain Resnais (1979)

 

Éco-anxiété et activisme écologique

Face au stress, un être vivant empêché de (ré)agir (inhibition d’action), somatise. Le rat du Professeur Laborit dans le film d’Alain Resnais, Mon oncle d’Amérique (1979), garde intacte son poil tant qu’il peut réagir au signal annonçant l’imminence de la décharge électrique, par la fuite ou l’agression.

C’est sans doute ce besoin de réagir à l’éco-anxiété qui nous vaut la multiplication d’actions radicales de « désobéissance civile » de jeunes gens : tableau de Van Gogh aspergé de soupe à la tomate à Londres, activistes collées à un poteau soutenant le squelette d’un dinosaure à Berlin, blocage d'autoroutes, perturbation d’évènements sportifs, dégonflage de pneus de SUV, dégradations sur un terrain de golf, etc.

Je note que dans cet inventaire à la Prévert, la « désobéissance civile » accommodée à toutes les sauces, a bon dos, qu’elle est à géométrie très variable, plus du côté de Thoreau seul dans sa cabane qui refusait de payer ses impôts dans un Etat esclavagiste, que du côté de Gandhi pour qui elle devait être « collective, voire massive, et se fonder sur l’ahimsa, la non-violence », « seule méthode moralement et concrètement valable pour les peuples opprimés » selon Martin Luther King.

L’objectif affiché de ces jeunes gens est d’attirer l’attention de l’opinion sur l’urgence climatique ou écologique et sur l’action des pouvoirs publics et des grandes entreprises toujours insuffisante. Ça fait des clics sur le web, c’est bien relayé par les médias de masse, mais est-ce nécessaire quand on sait que 85 % des Français se disent inquiets de la dégradation de l’environnement  ?

 

Jet de soupe à la tomate sur "Les Tournesols" de Van Gogh à la National Gallery de Londres (photo)
Jet de soupe à la tomate sur "Les Tournesols" de Van Gogh à la National Gallery de Londres

 

Photo de deux militantes écologistes collées à un poteau dans une exposition de dinosaures à Berlin
Deux militantes écologistes se collent à un poteau dans une exposition de dinosaures à Berlin

 

Et puis, est-ce que cette « radicalité » est efficace ? Une étude américaine parmi d’autres, citée dans un article du Monde, concluait par la négative : les actions radicales réduisent le soutien populaire à la cause défendue. Pire, « des militants qui bloquent une autoroute peuvent non seulement amener les observateurs à moins supporter leur mouvement, mais aussi à leur faire moins prendre soin de l’environnement ». ça peut donc même être carrément contre-productif, en l’espèce, renforcer la crainte des « khmers verts ». Personnellement, le pouvoir de nuisance de ces petits groupes très minoritaires, relevant parfois du vandalisme, m’horripile et je dois avouer avoir jubilé lorsque j’ai appris les mésaventures de 9 jeunes chercheurs qui s’étaient collés les mains au sol du musée Porsche de Wolfsburg, en Allemagne, et bien plus fort encore lorsque Gaspard Proust les a méchamment évoquées sur Europe 1.

 

Gaspard Proust sur les écolos au musée Porsche

 

Je comprends parfaitement ce besoin d’action d’une petite partie de notre jeunesse, c’est même plutôt rassurant dans notre pays qui serait frappé d’une épidémie de flemme et de fatigue (merci la gestion de la pandémie de covid !), mais franchement, quand on a la chance de faire des études supérieures, on ne devrait pas confondre agitation et action.

Plutôt que ces trépignations d’enfants gâtés qui emmerdent le monde, sans faire avancer la cause d’un iota, ne pourriez-vous pas, jeunes gens, lâcher un peu votre portable et les réseaux sociaux et vous engager vraiment (accessoirement, ça réduira votre empreinte carbone) ? Quand je dis s’engager vraiment, j’entends par des actes qui ne soient pas uniquement de la protestation stérile contre ceux censés devoir exclusivement agir. A savoir, vous engager dans des activités vous obligeant à vous coltiner enfin à toute la complexité du problème : ça pourrait être un engagement en politique... Je sais, la démocratie représentative vous débecte souvent, mais il y a vraiment des places à prendre ; vous ne pouvez pas être plus mauvais que la députée écolo Delphine Batho qui a proposé un amendement au projet de loi sur les énergies renouvelables, visant à prendre en compte la « saturation visuelle » lors des projets éoliens, qui allait accroître de manière certaine les contentieux expliquant notre retard dans l’éolien. Vous pourriez aussi rejoindre des associations qui poursuivent judiciairement les pouvoirs publics comme l’a fait « l’affaire du siècle » (en étant bien conscient qu’à la fin, vu le surendettement public, c’est votre génération qui devra payer les amendes infligées). Si vous préférez mettre la main à la pâte, allez plutôt planter des arbres, jardiner dans un jardin collectif, vous former à la réparation d’objets ménagers ou à la production locale d'énergie et rejoindre un réseau, vous engager dans des actions locales d’empowerment dans le domaine qui vous motive le plus, suivre des stages de survie dans la nature, que sais-je encore ? Peut-être voir un médecin et vous faire prescrire des anxiolytiques, car vos trucs hystériques, ça ne fait vraiment pas avancer la cause qui vous inquiète.

 

photo de la station photovoltaïque, en Chine (FuJian)
Station photovoltaïque, en Chine (FuJian)

 

Photo d'un coucher de soleil dans un parc éolien par Johann Stritzlinger
Coucher de soleil dans un parc éolien photo Johann Stritzlinger

 

Le test nosgestesclimat

Enfin, avez-vous fait le test nosgestesclimat de l’ADEME ? Ça peut donner des idées pour agir et réduire son empreinte carbone à moins de 2 tonnes par an. Pour ce qui me concerne, avec 6,4 tonnes dont 2,5 tonnes pour l’avion, je me trouve en pleine inhibition d’action : il me faudrait choisir entre tenter de sauver la planète et sauver mon couple. C’est tout vu, le striatum a encore triomphé du cortex cingulaire.

 

Ok Boomer par McFly et Carlito

Nas "New World" (1994) sur un sample de Toto "Africa" (1982)

 

P.S. Le train est un mode de transport à faible empreinte carbone, encore faut-il qu'il roule. Merci aux contrôleurs m'ayant empêché de rejoindre ma famille pour Noël.

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