paris

Publié le 3 Juillet 2015

"Welcome" de Philippe Lioret (2009)

"Welcome" de Philippe Lioret (2009)

Dialogue entre Vince et le type qui l'a pris en stop

[...]
- Moi, je crois plutôt que tu as toutes les cartes en main et que tu le sais très bien.
- Quelles cartes ? Qu'est-ce que vous me racontez comme conneries, c'est quoi ces conneries ?
- Pourquoi tu fais du stop ?
- Pour aller en Floride.
- Il y a le train.
- J'ai pas de ronds.
- Tu aurais pu louer une voiture.
- J'sais pas conduire. Bordel, qu'est-ce que vous voulez ? Où vous voulez en venir ?
- Peut-être à la raison qui t'amène à faire du stop.
- Et ce serait quoi, je peux savoir ?
- Peut-être la même que celle qui m'amène à prendre des auto-stoppeurs ?
- Je veux que vous vous arrêtiez. [...]

"Autour du monde" de Laurent Mauvignier

- Non, Mitch, c'est pas bon. Vince, tu es le bienvenu chez ton frère, mais je sais que quelque chose ne va pas chez toi.
- qu'est-ce que tu veux que ça me foute, moi, Katrina ?
- Comment ça, qu'est-ce que ça peut te foutre ?
- Vince, t'as vu les images, non ?
- Ouais, je les ai vues, bien sûr que je les ai vues.
- Et… c'est tout ?
- Je peux te dire que j'en ai rien à foutre, si tu veux.
- Vince, tu plaisantes ?
- Que des faces d'omelettes au Japon se bouffent des vagues de trente mètres ou que tes copains les Nègres se prennent un cyclone dans la gueule, si c'est ce que tu veux savoir, j'en ai vraiment rien à foutre.
- Attends, Vince. Ici, tu es chez moi. Je t'interdis de parler comme ça chez moi, tu entends ?
- Tu aime les Noirs ? Et Mitch, fais gaffe, ta femme aime les Noirs, méfie-toi ! […]

"Autour du monde" de Laurent Mauvignier

M "Bonoboo" (1999)

La surpopulation et le tourisme de masse, ça n'est plus possible : Sous la Tour Eiffel les queues des deux piliers d'accès se faisant face étaient cette fois-ci tellement longues qu'elles avaient fini par s'emmêler. Rien de grave, les deux cousins qui ne se connaissaient pas la veille, s'entendaient comme larrons en foire et un rien les distrayait. L'équipée fila alors directement au square du Vert-Galant prendre un bateau-mouche.

Les Vedettes du Pont Neuf ne prenaient plus que des espèces, à 14 euros le tour, bonjour l'évasion fiscale ! En revenant à la maison, je me suis rué sur l'ordinateur pour vérifier qu'en plus nous n'avions pas enrichi un soutien historique du FN : Ouf ! C'était bien l'autre, la Compagnie des Bateaux Mouches.

Prix d'oligopole alignés sur le niveau maximisant la recette de chacun des opérateurs, toujours le même itinéraire, toujours le même commentaire, et en plus il faudrait ne pas oublier le guide ? Ménélik, t'es certes bogosse, ton accent anglais paraît bon, mais « faut pas pousser mémé dans les orties » !

Après un en-cas au café-restaurant libanais au rez de chaussée de l'Institut du Monde Arabe, direction la Grande galerie de l'Évolution du Muséum national d'histoire naturelle (où l'on perd rapidement les deux neveux), et son exposition sur les grands singes...

Zac Massena Paris 13e - Architectes : Hamonic+Masson / Comte & Vollenweider

Zac Massena Paris 13e - Architectes : Hamonic+Masson / Comte & Vollenweider

N'en déplaise aux créationnistes de tout poil, les singes ne sont pas nos ancêtres mais nos cousins et le plus proche parent des chimpanzés n’est pas le gorille mais... l’homme (Nous partageons avec eux plus de 98% de notre patrimoine génétique).

Au sein des hominidés, les bonobos doivent leur popularité au fait que, bien plus sages que les hommes, ils préfèrent l'amour à la guerre, puisqu'ils utilisent les relations sexuelles pour apaiser conflits et tensions au sein de leur société. Cette régulation sociale par l'activité sexuelle tous azimuts s'opère notamment du fait d'une extrême sensibilité de ces chimpanzés aux émotions de leurs pairs notamment à leur souffrance qu'ils cherchent toujours à soulager, autrement dit à leur forte empathie, au sens d'une forte propension à l'altruisme.

C'est en observant ce comportement de « consolation », de réconfort chez les chimpanzés que le primatologue Frans de Waal a entamé sa réflexion sur l'empathie : « après une bagarre, celui qui a perdu est consolé par les autres, ils s’approchent, le prennent dans leurs bras, essaient de le calmer. » Au cours de dizaines d'expériences, il établira que ces chimpanzés sont non seulement doués de compassion mais aussi d'altruisme : «des singes refusent d’activer un mécanisme qui leur distribue de la nourriture quand ils réalisent que le système envoie des décharges électriques à leurs compagnons. Leur sensibilité à la souffrance des autres était telle qu’ils ont arrêté de se nourrir pendant douze jours. »

Mais l'empathie est un comportement que l'on observe chez d'autres mammifères : « des dauphins qui soutiennent un compagnon blessé pour le faire respirer à la surface, des éléphants qui s’occupent avec beaucoup de délicatesse d’une vieille femelle aveugle… »

Frans de Waal fait aussi l'hypothèse que l'empathie est même la «caractéristique de tous les mammifères et elle découle des soins maternels. Lorsque des petits expriment une émotion, qu’ils sont en danger ou qu’ils ont faim, la femelle doit réagir immédiatement, sinon les petits meurent. C’est ainsi que l’empathie a commencé. Ça explique aussi pourquoi l’empathie est une caractéristique plus féminine que masculine. » 

L'empathie, ce souci du bien-être d'autrui se manifeste-t-elle exclusivement au sein d'une même espèce ? Non, on a pu également la constater dans des rapports inter-espèces. Par exemple, « on a vu, dans un zoo, une tigresse du Bengale nourrir des porcelets. Un bonobo hisser un oiseau inanimé au sommet d'un arbre pour tenter de le faire voler. Ou un chimpanzé remettre à l'eau un caneton malmené par de jeunes singes. »...

"Los hongos" de Oscar Ruiz Navia

"Los hongos" de Oscar Ruiz Navia

http://www.telerama.fr/cinema/films/los-hongos,498895.php

Dans son livre « L’Age de l’empathie. Leçons de la nature pour une société solidaire », Frans de Waal, sans nier qu'il existe chez l'homme, comme chez les autres animaux un penchant naturel à la compétition, à l'agressivité et à l'égoïsme, nous invite à réveiller notre propension "toute aussi naturelle » à la compassion, et par là, à la coopération et à l'entraide, qui contrairement aux idées reçues, sont essentielles à la survie des espèces.

L'année suivante, en 2011, l'essayiste américain prolifique, Jeremy Rifkin, publiait un essai «Une nouvelle conscience pour un monde en crise » qui disait plus ou moins la même chose : "Une empathie nouvelle gagne l'humanité", et c'est tant mieux car “Sans empathie, nous sommes foutus”, notamment face à la menace de désastre écologique ou géopolitique…

"Los hongos" de Oscar Ruiz Navia

"Los hongos" de Oscar Ruiz Navia

L'errance en mer d'Andaman de la minorité birmane des Rohingyas a bénéficié un certain temps d'une fenêtre médiatique. Comment ne pas être pris de pitié pour ces familles en haillons affamées, partout refusées d'accostage par les autorités thaïlandaises ? Nous nous sommes alors indignés du silence de l’opposante birmane et Prix Nobel de la paix, Aung San Suu Kyi, face à ce drame provoqué par la persécutions de la majorité bouddhiste et des lois discriminatoires. Mais l'émotion d'intensité moyenne n'a pas duré longtemps, la faute au sentiment d'impuissance, à l'éloignement de cette inhumanité, et à d'autres horreurs qui n'ont pas manqué de suivre.

John Stanmeyer Migrants somaliens à Djibouti (2013)

John Stanmeyer Migrants somaliens à Djibouti (2013)

Il aurait dû en aller autrement avec le campement qui grossissait depuis l'été dernier sur le pont du boulevard de la Chapelle, pas très loin de chez nous. La dernière fois que je suis allé avec Gabriel voir un film au Louxor, en passant devant en vélo, je me suis « ému » de la saleté des abords dans un quartier dont la propreté n'est pas le fort, et surtout, de l'odeur pestilentielle de merde et de pisse.

Depuis, le campement a été évacué par les forces de l'ordre pour risque d'épidémies, et ses occupants dispersés, d'autres campements ont été improvisés, à deux pas, devant la Halle Pajol (où se trouve entre parenthèses, une nouvelle terrasse bien agréable, celle des Petites Gouttes, testée avec la bande du pique-nique de samedi soir), de l'autre côté des voies ferrées dans les jardins d'Eole, et dans le Bois Dormoy.

Jardins d'Eole, Paris 18e

Jardins d'Eole, Paris 18e

En un clic sur Internet, j'ai pu apprendre que ces migrants venaient essentiellement de la corne de l'Afrique où leur vie était en danger, via la Libye, qu'ils survivaient grâce à l'aide des associations et d'habitants du quartier. Aux avant-postes d'entrée en Europe, en Italie et en Grèce, sur l'île de Lampedusa ou de Lesbos, où affluent tous les jours ces pauvres gens, ce sont encore quelques habitants (débordés) qui essaient de leur porter secours avec les moyens du bord, tandis que monte le risque de clash avec d'autres moins empathiques mais qui ont aussi des raisons d'être exaspérés de se retrouver si seuls face à cette situation ingérable.

En effet, inutile de dire que l'aide des ONG et des habitants, quoique essentielle à leur survie, ne saurait suffire pour faire face à ce drame, car des migrants qui échouent rue Pajol ou ailleurs après un long périple de parfois plusieurs années, c'est du lourd, du très lourd : ils ont échappé au pire, n'ont plus que leurs vêtements sur le dos, et bien peu parlent la langue du pays où ils se sont arrêtés. Ça requiert une politique, des moyens financiers, humains et organisationnels à la hauteur du problème, qui compte tenu de sa nature internationale, doivent être définie en premier lieu au niveau européen.

Children of man (les fils de l'homme) d'Alfonso Cuaron (2006)

Hélas, de l'esprit de l'Union Européenne à sa création, il ne reste plus qu'une copropriété de propriétaires égoïstes où chacun essaie de refiler le « mistigri » à l'autre. C'est ainsi que le dispositif de quotas d'accueil de demandeurs d'asile par pays préparé par la Commission, a été rejeté lors du dernier Conseil Européen. On ne peut que déplorer l'inconséquence des institutions européennes qui appellent à la « solidarité sociale » tout en continuant dans la zone euro à contraindre drastiquement les politiques budgétaires des États. Ainsi la Grèce, un des deux pays le plus exposés, en défaut de paiement vis-à-vis du FMI et probablement sous peu du reste de la Troïka, n'a plus un kopek pour faire fonctionner correctement ses hôpitaux, alors pour les migrants ! En attendant, comme le dit le maire de Mytilène, "désormais dans une main les grecs ont la bombe financière, dans l'autre, celle de l'immigration."

L'empathie est l'avenir de l'homme

Peut-être, aurait-on plus de chances d'aboutir sur une répartition des migrants en Europe, si l'UE assortissait les quotas par États d'enveloppes financières pour y faire face ? Car au-delà de la charge d'accueil, faut-il le rappeler, la régularisation de la situation de migrants clandestins dans un pays européen implique toujours l'ouverture mécanique d'un ensemble de droits sociaux qui se paient, contrairement par exemple à en Turquie, au Liban ou en Jordanie où se sont réfugiés la plus grande partie des syriens et des irakiens (25 % de la population du Liban sont désormais des réfugiés). De même, tant que la plus grande partie de l'humanité vivra dans des conditions épouvantables, j'ai du mal à à concevoir que « l'appel d'air » pour l'immigration future d'une régularisation massive de migrants illégaux ne puisse être qu'un mythe. Tout comme il est permis de s'agacer de l'argument d'un commissaire européen selon lequel nous aurions besoin de cette immigration pour la croissance et l'emploi.

Il s'agit seulement, et c'est énorme, de trouver des solutions à ce drame humanitaire, sans renier nos valeurs occidentales « de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, d'État de droit ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris les droits des personnes appartenant à des minorités. »

[…] « Pourquoi m'appelez-vous en disant Seigneur ! Seigneur ! Et ne faites-vous pas ce que je dis ? » Je me sens de ceux que Jésus condamne en leur disant : « J'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger. J'ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire. J'étais étranger et vous ne m'avez pas accueilli. Nu et vous ne m'avez pas vêtu. Malade, en prison, et vous ne m'avez pas visité.
- Comment ? Comment ?, s'écrient les honnêtes gens. Quand t'avons-nous vu avoir faim, avoir soif, être nu, être en prison ? » Réponse de Jésus : « Ce que vous n'avez pas fait aux plus petits de ces petits, c'est à moi que vous ne l'avez pas fait. Et ce que vous avez fait aux plus petits de ces petits, c'est à moi que vous l'avez fait. » […]

Emmanuel Carrère "Le Royaume"

Luciano Rosso / playback 18 / palabras

L'empathie est l'avenir de l'homme

Chris and Juno - Pure

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Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #vivre ensemble, #politique, #tragique, #Paris

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