Vade-mecum pour jeune homo

Publié le 9 Novembre 2007

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Non assistance à personnes en danger
 
Depuis combien de temps survivent-ils dans ce coin du 10e arrondissement, entre la gare de l’Est, le square Villemin et la place Colonel Fabien où ils font la queue dès la fin d’après-midi pour une « soupe populaire »  ? Deux, trois, quatre ans, peut-être plus. Ça dure depuis tellement longtemps qu’il leur a même été installés trois WC « Algéco ».
A n’importe quelle heure, une partie d’entre eux s’agglutine à trois cabines téléphoniques (qui ne paraissent pas demander de l’argent), comme des naufragés à un morceau d’épave, à un dernier lien avec ce tout qu’ils ont dû quitter.
 
Des hommes uniquement, plus ou moins jeunes. Plutôt pacifiques : ils semblent pour l’heure épargnés par l’alcoolisme, ce coup de grâce de la rue.
Quand ils ne discutent pas entre eux, ils ont l’air complètement perdus et tellement las d’être assis là depuis si longtemps sur ces bancs.
Physiquement, des peaux plutôt mates, des kurdes ? Certains ont de ces yeux bridés que j’imagine pouvoir venir d’Asie centrale. Sur un site du mouvement des sans papiers est évoqué, en mai 2003, la présence dans un autre square non éloigné de là, de refoulés de la fermeture de Sangatte en décembre 2002, provenant essentiellement du Kurdistan irakien, d’Afghanistan et d’Iran.
 

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Combien sont-ils ? Une cinquantaine ? Combien selon les associations ? Combien selon la police ? En tout cas suffisamment pour que le gouvernement ne donne pas l’ordre d’une expulsion « manu militari ».
Pas de femmes, pas d’enfants. C’est plus délicat à expulser. Pas de femmes, pas d’enfants, c’est plus difficile de vous soutirer des larmes.
Je n’ai pas lu une ligne sur eux. Invisibles. Ils sont trop vertueux. Que dans leur extrême dénuement, ils basculent dans la délinquance, alors là nul doute qu’on entendrait parler d’eux !
 
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Pendant ce temps, on nous occupe avec une proposition de loi tout aussi intolérable qu’inutile, celle de test de filiation ADN pour le regroupement familial d’étrangers (http://www.touchepasamonadn.com/), mais qui présente deux énormes avantages pour l’équipe au pouvoir : celui de continuer d’occuper tout l’espace médiatique hexagonal avec ce sujet, tout en caressant dans le sens du poil les tendances xénophobes d’une bonne partie de son électorat (alors que je m’amusai jeudi d’une moustache rajoutée sur une affiche électorale placardée dans notre arrondissement et qui faisait du candidat un sosie du « Führer », je réalisai dans le même temps qu’il ne s’agissait pas d’un candidat de l’extrême droite mais d’un candidat de la majorité présidentielle : j’avais été abusé par la reprise de l’intégralité des codes habituels de communication visuelle de la « droite nationale ».)
 
Dieu merci ! L’homosexualité ne serait plus incurable.
 

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Cette relative invisibilité de la question des sans-papiers et des commandos d’expulsion dans La Croix, le quotidien catholique que lisent depuis toujours mes parents, a conduit ma mère à écrire, à deux reprises au journal pour s’en étonner (c’était avant qu’une chinoise trouve la mort en se défenestrant)[1]. Pour rien.
 
Il y a quelques temps, elle m’a annoncé au téléphone qu’elle achetait désormais Libération, qu’elle ne lisait plus la Croix (« ils m’énervent »). Ayant quelque peine à imaginer ma mère parcourir avec intérêt un certain nombre d’articles de mon quotidien préféré, je lui ai demandé ce qui justifiait de sa part une mesure de rétorsion aussi lourde.
Elle m’a expliqué avoir écrit une troisième fois au journal, suite à un courrier des lecteurs « imbécile », dans lequel une femme expliquait que l’homosexualité se soignait par la force des prières.
La troisième fois fut la bonne, le journal a publié son courrier mais coupé dans la partie où ma mère se permettait de douter de l’efficacité du remède, tant étaient relativement nombreuses les « affaires sexuelles » éclaboussant le clergé.
 

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Herbert List
 
 
Des « profs » au front de la lutte contre l’homophobie
 
Pour prévenir autant que possible ce genre de sottises et l’homophobie en général, on peut tenter d’éduquer le plus tôt possible sur la question de l’homosexualité.
 
Le gouvernement de la communauté française de Belgique met désormais à la disposition de ses professeurs un remarquable support de 140 pages pour combattre l'homophobie, avec une partie informative très pertinente, et une deuxième consistant en « activités pédagogiques » (j’ai déjà donné le lien sur ce blog mais en note de bas de page, or ce document mérite bien mieux).
 
J’applaudis à ce genre d’initiative, tout en étant soulagé de ne pas être tenu de m’engager sur ce front. Je ne me sentirais pas la force d’essayer d’amener par exemple mes étudiants à réviser d’éventuels préjugés puisant dans leur religiosité (j’ai un nombre non négligeable de musulmans). Par-dessus tout, je craindrais, pour 4 % à qui la "sensibilisation" ferait peut-être du bien, de devoir me dévoiler en abordant cette question, et par là de risquer de me rendre davantage vulnérable. 
 

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Priape Nicolas Presl

 

D’ailleurs, il me semble que ceux que ça intéresse ne doivent pas dupes de mon orientation sexuelle, mais aucun de mes étudiants ne m’a jamais cherché sur ce terrain, alors même que je suis souvent avec eux dans des rapports un peu « rentre-dedans », façon Bégaudeau[1], mais en plus « soft », en plus sympathique (nous n’avons pas du tout les mêmes élèves, les miens sont bien plus mûrs que les siens).
 
 Enfin, je crois que ces jeunes me sont tout simplement reconnaissants de respecter chez eux ce que je pressens comme de la pudeur sur ces questions, voire même de l’indifférence (« rien à foutre de la sexualité de ce prof quadra ! »).
 
Ça ne m’empêche pas dans le même temps d’être favorable à la visibilité du fait homosexuel entre « égaux », par le « coming out », notamment au travail, quand le risque pris n’est pas démesuré, ce qui est mon cas.
Ainsi, quand l’occasion s’y prête dans des conversations avec les collègues, je ne manque jamais d’évoquer Gabriel et, sur le mode de la plaisanterie, mes préférences.
Ce parti pris n’est pas que militant, c’est une question d’image (positive) de soi.
 
« Dans la peau d’un jeune homo » versus « Ton corps fait pour l’amour »
 

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Qu’il soit ou non utilisé par les professeurs belges, le document « Pour combattre l’homophobie » est en ligne sur Internet et par là même accessible à tout jeune « travaillé » par ces questions.
Pourtant, si d’aventure l’un d’entre eux venait à me confier ses «incertitudes identitaires», je commencerais par lui offrir l’indispensable Dans la peau d'un jeune homo d'Hugues Barthe.
 
J’y ai, pour ce qui me concerne, retrouvé une bonne partie de ma trajectoire de jeune homo...
A 45 berges...
Mieux vaut tard que jamais !
J’ai bien fait de renoncer à mon suicide...
A 28 ans. (Toujours aussi précoce !)
 
Si ce livre lui tombe des mains, qu’il commande Ton corps fait pour l'amour de Daniel Ange (incroyable, ce n’est pas une blague !) ! C’est ce livre qu’un prêtre, ami de la famille offre à Hugo, le jeune homo de la bédé.
"Le résumé", (un extrait) de l’édition en poche permet de prendre la mesure de la déception d’Hugo, qui, malgré sa bonne volonté et non sans raison, trouve que « le titre ne correspond pas au contenu ». 
 

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[2] Pédagogie de la résolution de l’équation à une inconnue in Mauvaise nuit
 

Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #tragique, #homophobie, #trépalium, #livres, #culture gay

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O
Quelle coïncidence! Je suis actuellement en train de relire le journal de bord d'une action pédagogique : un Itinéraire De Découverte mené par Lionel Labosse dans un collège de Seine st Denis auprès d'élèves de 4eme. Beau travail d'un militant pour lutter contre les préjugés et ainsi faire prendre conscience à des adolescents la question des discriminations sexistes, de l'homophobie. L Labosse explique qu'il est autrement important de parler des sexualités autres qu'hétérosexuelles auprès de la jeunesse plutôt que d'ériger des lois pour réprimer les propos homophobes. Il faut en effet du courage, de la volonté, et de l' énergie pour tenir contre vents et marées une telle action. Voir ici: http://www.altersexualite.com/spip.php?article323   et suivants.
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T
Comme d'hab, merci pour ton commentaire "qui tombe à pic". Chapeau bas pour Lionel Labosse et le remarquable travail qu'il fait sur ce terrain. Et bien sûr, vive les coïncidences ?!