Publié le 20 Mai 2013

Frédéric la Grande / Retour à Berlin

Les concertos brandebourgeois de J.S. Bach

 

Harendt versus Lanzmann

 

Dans son « Hanna Arendt », Margareth Von Trotta, la réalisatrice montre une philosophe en ménage comblée, l’accord parfait entre elle et son mari, le besoin réciproque de l’un pour l’autre. Un idéal d’amour conjugal après lequel court la plus grande partie de l’humanité, mais qui ne fera jamais qu'une histoire mièvre à raconter. Fort heureusement, ce n’est pas le thème du film, qui est d’expliquer comment Hanna Arendt est parvenue à se mettre à dos quasiment tous les juifs du monde entier, y compris la plupart de ses amis et collègues universitaires, en théorisant à partir du procès d’Eichmann en 1962 sa « banalité du mal » des systèmes totalitaires.

 

 

 

 

 

Ce que ces gens lui ont alors reproché, c’est d’abord son acharnement à démontrer que le responsable de la « logistique » de "la solution finale" n’était pas la figure du mal en accusation dans son procès à Jérusalem, un psychopathe antisémite, mais uniquement un banal fonctionnaire,  « un falot », un homme « dépourvu de pensée », qui, durant tout le procès, n'avait cessé de répéter qu'il n'avait fait qu'« exécuter les ordres » d’un système[1].

Mais ce qui a le plus mis en rage les juifs c’est qu’elle ait pu relever et intégrer à sa thèse de « la banalité du mal » le rôle joué par les conseils juifs (Judenrats) dans la logistique Eichmann dont il fut question durant le procès.

Dans le film, on lui reproche ainsi sa froideur et son arrogance, qui l’empêche d’intégrer à sa pensée la souffrance des juifs.

Peut-être est-ce en partie pour réfuter cette critique que Von Trotta a voulu nous montrer une Hannah Arendt si affectueuse en ménage et en amitié.

 

 

detaildanteetvirgilewilliambouguereau1850orsay.jpg

 

 

Dante et Virgile aux enfers de William Bougereau (détail)

vu à l'occasion de l'exposition

L'ange du bizarre. Le romantisme noir au Musée d'Orsay

 

 

 

Bien que n’ayant jamais lu la philosophe, le concept de « banalité du mal » dans certains contextes favorables m’est une évidence, tout comme celui d’instinct de survie conduisant le plus grand nombre à obéir et collaborer. Cela n’exclut pas de penser (avec la tête, pas avec les tripes ou le cœur) qu’il y aura toujours des psychopathes pour qui un contexte de chaos (la guerre) ou de violence d’Etat (Etat totalitaire ou dictature) est une formidable opportunité pour commettre un maximum d’atrocités, ni que s’y révèlent également, ultra minoritaires, des héros, dont la plupart seront des martyrs puisqu’ils y laisseront leur vie.

 

potsdam1945.jpg

 

Potsdam 1945

 

 

Par la suite, un certain nombre de travaux sont venus conforter la thèse de « la banalité du mal », selon laquelle des personnes ordinaires peuvent se comporter en bourreaux, dès lors qu’elles sont soumises à une autorité dans un certain contexte politique ou social, notamment la fameuse expérience de Milgram, du nom du psychosociologue qui l’a réalisée.

Pourtant, plus récemment, une série de publications est venue remettre en cause ce que l’on tenait pour évident.

Ce week-end, contre-point utile au film de Von Trotta, Claude Lanzmann présente à Cannes un film documentaire qui réhabilite le controversé Benjamin Murmelstein, dernier doyen du conseil juif du ghetto de Theresienstadt, et apporte un éclairage radicalement différent de la personnalité d’Eichmann : « Celui-ci n'apparaît plus comme un «falot bureaucrate», mais plutôt comme un démon, fanatiquement antisémite, violent, corrompu. »

 

Berlinstasimemorialgardenmitchepstein.jpg

 

Jardin de la prison de la Stasi (mémorial de Berlin-Hohenschönhausen) 

Les rosiers étaient  entretenus par d’anciens prisonniers.

Mitch Epstein

 

 


[1] Je ne connais pas dans le détail la défense des accusés du procès de Nuremberg mais il y a fort à parier que ce fût celle d’autres accusés.

 

Retour à Berlin

 

Dans Une douce Flamme de Philippe Kerr, Bernie Gunther s’enfuit en Argentine en bateau.  Adolf Eichmann est du voyage.

 

[...]

-          N’empêche, dit Fuldner. Laissez-moi continuer. Après les Espagnols et les Italiens, les Savons constituent le plus important groupe ethnique du pays. Si ce n’est qu’on les appelle los Rusos, parce que la plus grande partie de ceux qui vivent ici a fui le pogrom de la Russie tsariste.

-          Lequel ? demanda Eichmann.

-          Pardon ?

-          Il y en a eu trois, des pogroms, précisa Eichmann. Le premier en 1821, le deuxième entre 1881 et 1884, et un troisième qui a commencé en 1903. Le pogrom de Kichinev.

-          Ricardo[2] sait tout sur les Juifs, remarquai-je. Excepté comment être gentil avec eux. [...]

 

Une douce Flamme Philippe Kerr

 


[2] Ricardo Klement est le nom figurant sur le passeport fourni à Eichmann par la Croix-Rouge

 

 

 

nhow_berlin.jpg

 

Molecule Man sur la Spree,

en arrière plan à droite, le Nhow, "Music Lifestyle Hotel"

 

 

 

Dans Vert-de-gris,  Gunther est arrêté par la CIA alors qu’il tentait de quitter Cuba et enfermé à New York puis au Landsberg à Berlin. En pleine guerre froide, les américains s’intéressent aux informations qu’il donnera sur ses anciens « camarades », notamment Erich Mielke, devenu chef de la toute nouvelle Stasi, la police politique allemande de l'Allemagne communiste, organisée sur le modèle du KGB.

Erich Mielke en a été le patron de 1957 à 1989. On estime qu’1 à 2% de la population est-allemande a activement collaboré avec le régime.

Arrêté quelques jours après la chute du mur, Erich Mielke, a finalement écopé en 1993 de six ans en prison pour avoir tué en 1931 deux policiers lors d'une manifestation opposant nazis et communistes, les juristes n'ayant pu trouver d'autre chef d'inculpation pour satisfaire le besoin de justice des victimes de la STASI.

 

Depuis la chute du mur, l’ancien QG de la STASI, a été transformé en musée. Non loin, toujours dans l’arrondissement de Lichtenberg, la maison d’arrêt des Services de la Sécurité de l'Etat de la RDA (mémorial de Berlin-Hohenschönhausen).

 

 

Potsdam--Schloss-Sanssouci.jpg

 

 

Surtout par une belle journée de printemps, on ne fera pas reproche aux amateurs de belles choses de préférer, à ces plombantes visites, une excursion à Postdam, au parc de Sanssouci, dans lequel Frédéric II de Prusse fit construire une merveilleuse résidence d'été. Même si une partie des jardins est interdite aux pédales, le vélo permet de savourer la visite au moindre effort et avec l'habituelle sentiment enfantin de liberté. Ici, c'est très simple, on monte dans le S-Bahn 7 avec son vélo après avoir pris pour ce dernier un billet demi-tarif.

 

Frédéric la Grande

 

Comme pour la Grande Catherine (de Russie), on manque rarement d’associer le nom du roi de Prusse à celui du siècle des Lumières, à Voltaire, et à l’incroyable oxymore de « despote éclairé ». En revanche, jusqu’à peu, nulle part je n’avais entendu ou lu, que le roi fut un incorrigible homosexuel.

Pour ses 18 ans, son père fit tout de même décapiter sous ses yeux, son amant Hermann von Katte, après que leur projet commun de fuir en Angleterre eut été découvert.  Le roi feignit d’ignorer l’histoire d’amour et ne voulut voir dans cette fuite qu’une trahison.  La tête que le bourreau décolla, était celle d’un jeune homme de 26 ans.

 

 

alainwillaumelesvulnerablessete2011.jpg

 

Alain Willaume Les vulnérables - Sète 2011

 

 

 

En 1740, à la mort du roi, Frédéric monte sur le trône, à l’âge de 28 ans. Il ne verra plus sa femme que deux fois par an, à Berlin, pour les cérémonies officielles. Il s’installe au château de Sans-Souci, près de Potsdam, d’où les femmes sont bannies, et attire à lui une cour exclusivement masculine de philosophes, de poètes, d’historiens et de musiciens.  

Un gentilhomme français a cette boutade : « À sa table, il n’y a que le roi qui soit un étranger ! » Frédéric est complètement francisé. Il sait à peine quelques mots d’allemand pour s’adresser aux domestiques. Il est fou de littérature française, il correspond souvent avec Voltaire et le supplie de venir auprès de lui. Le philosophe se fait prier et finalement accepte en 1750 de venir s’installer au château de Sans-Souci. [...]

 

Michel Larivière On vous l'a caché à l'école extrait de Têtu 

 

 

 

Dans ses Mémoires pour servir à la vie de M. de Voltaire écrits par lui-même, au sujet des mœurs de Frédéric II, Voltaire écrit : « Quand Sa Majesté était habillée et bottée, le stoïque donnait quelques moments à la secte d'Épicure : il faisait venir deux ou trois favoris, soit lieutenants de son régiment, soit pages, soit heiduques, ou jeunes cadets. On prenait du café. Celui à qui on jetait le mouchoir restait un quart d'heure en tête-à-tête. Les choses n'allaient pas jusqu'aux dernières extrémités, attendu que le prince, du vivant de son père, avait été fort maltraité dans ses amours de passade, et non moins mal guéri. Il ne pouvait jouer le premier rôle : il fallait se contenter des seconds. [...] »

Quant au roi, se moquant de l’opinion publique, il aurait dit : « Certains font l’amour par devant, d’autres par derrière, qu’importe la manière, puisqu’ils ne persécutent personne. »

 

christianschadlovingboys1929.jpg

 

Christian Schad Jungen Lieben 1929

dont on peut voir deux tableaux à l'exposition De l'Allemagne au Louvre

 

 

 

 

Pluie, soleil, danse au Görli Park - 1er Mai 2012

 

 

 

 

Stell dir vor morgen aufzuwachen und die musik ist verschwunden

Imagine que tu te réveilles le lendemain et que la musique a disparu

 

Inscription sur un mur bordant la Spree du côté de Fridriechshain

 


 

 Mes années bavaroises d’Yves Jeuland,

court-métrage tourné au téléphone portable - Commande : « Mes années 80 »

 

 

NGT / Berlinade solitaire

NGT / Toqués de Berlin

  NGT / La vie des autres

 


 

Enfile-moi cette alliance

 

 

 

  Le mariage vraiment pour tous - Sophia Aram / Kasbahproductions

 

 

 

Ce clip me fait d’autant plus jubiler que c’est ma mère, 74 ans, qui nous l’a envoyé.

 

 

Voir les commentaires

Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #touriste, #Allemagne, #culture gay, #barbarie

Repost0