Publié le 21 Août 2013

 

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Ron Muek sans titre (big man) 2000

 

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Ron Muek Boy 1999

 

D'autres sculptures de Ron Muek 

jusqu'au 27 octobre à la Fondation Cartier

 

 

 

  Benjamin Biolay Mélancolique

 

Cette semaine du mois d’août, le magazine le Point a privé de tribune ses déclinistes abonnés. C’est peut-être bien la première fois que je lis un gros titre positif sur la couverture de l’hebdomadaire. Et quel titre ! Le génie français - Pourquoi il ne faut jamais désespérer de la France ? Ça sonne un peu Droite Nationale, mais pourquoi pas, ça fera peut-être un peu de bien au BNB (Bonheur National Brut).

Dessous, une galerie sacrée de sept portraits, au centre et au premier plan un chef de cuisine, seule photo en couleur. Je m’approche de l’affiche placardée sur le kiosque à journaux : c’est Bocuse, et de part et d’autres YSL, Marie Curie sans son mari, Moreno, Dassault, Pasteur et Chanel  La gastronomie, la haute couture, avions et canons, vaccins et carte à puces. Bof, rien de nouveau ! En plus, ils sont tous morts, pour certain depuis belle lurette. Aucune envie d’en savoir plus. Mais qui achète encore cet hebdomadaire ?

 

 

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Sergio Larrain Valparaíso 1963

Sergio Larrain est à Arles

 

Avec l’émission Remède à la mélancolie, France Inter s’en tire mieux. Même si, trop heureuse de son tête à tête avec son invité, la jeune animatrice oublie parfois de rappeler son nom, Eva Bester a une jolie voix de radio. Hier soir, on a joué aux devinettes une bonne partie de l’émission. Gabriel qui a de l’oreille, lança la première piste : « il est belge » puis  « ce n’est pas lui qui chantait «Putain, putain, c’est vachement bien, nous sommes quand même tous des européens » ? », il a rajouté «son nom est un prénom». « Arno ! Ai-je finalement tenté ». Gab n’est pas sûr. Vérification sur Internet. Gagné ! A deux, on est des bêtes.

Grâce à son invité Vladimir Cosma,  on a renoué avec l’humour noir du «Tout va très bien Mme la marquise » de Ray Ventura et ses Collégiens, dont l’idée a été reprise dans la chanson « C’est normal » de Brigitte Fontaine et Areski. 

Du vrai service public, cette émission ! Il paraît que les Français sont champions du monde du pessimisme et de la déprime.

 

 

OK. Une bonne partie d’entre eux a de bonnes raisons objectives d’être morose. Mais toutes les études internationales sur le bonheur, et ce depuis les années 1970, mettent nos concitoyens en queue du peloton.

Un sondage Gallup mené en 2013 dans 51 pays les sacre ainsi « champions du monde du pessimisme, loin devant les Afghans ou même les Irakiens. Ils se disent inquiets pour leur avenir, mécontents de leurs élites, déçus par leur école : à les entendre, leur pays va à vau-l'eau, leurs élus sont des incapables, leur économie est en lambeaux. »

L’analyse des résultats de l’European social survey, baromètre européen mis en place en 2001, montre que les Français ont nettement moins confiance que leurs voisins, notamment scandinaves, envers leurs institutions (Parlement, système judiciaire, police, élus). « Ils sont également beaucoup plus sceptiques qu'eux à l'idée que l'on puisse "faire confiance à la plupart des gens", voire que l'on puisse "s'aider les uns les autres dans un quartier". La proportion de sondés convaincus que "pour la plupart des gens, la vie est de pire en pire" bat, en France, tous les records... »

 

 

tumblr selfportrait

 

Eu égard le niveau de vie moyen relativement élevé de la population, sociologues, historiens, politologues et économistes sont intrigués par le paradoxe de cette mélancolie persistante.

Pour l’économiste Claudia Senik, "Le malheur français n'est pas lié aux circonstances objectives, mais aux valeurs, aux croyances et à la perception de la réalité qu'ont les Français. Il est le résultat d'un phénomène culturel lié à des représentations ou à des manières d'être qui se sont transmises de génération en génération, même si leurs causes ont disparu."

Selon elle, l’école pourrait jouer un rôle décisif dans la diffusion de la morosité. Un système très sélectif et élitiste, n’offrant pas de seconde chance, sanctionnant les erreurs comme des fautes, exclusivement tourné vers la transmission académique de savoirs au détriment de celles de compétences sociales, n’incite pas le plus grand nombre à la confiance en soi et dans les autres, ni à la coopération, ni à l’optimisme. A cet égard, les immigrés en France qui dans l’ensemble ne sont pas atteints par le spleen national, y succombent s’ils sont scolarisés dans l’Hexagone avant l'âge de 10 ans (Si ce n’est pas de l’intégration, ça !)

 


 

Groland intégration

 

Par ailleurs, toujours selon Mme Senik, l’école française est « peu ouverte sur le monde et les langues étrangères, elle nourrit l’hostilité à la globalisation [...] Comment alors, être heureux dans un monde mondialisé, se demande-t-elle, si l’on ne maîtrise pas l’outil de la mondialisation qu’est la connaissance de langues étrangères ? »

 

L’Éducation nationale et ses diplômes ont beau relever d’une véritable névrose nationale - de manière symptomatique, on est sans doute le seul pays à avoir une telle couverture médiatique de la rentrée scolaire et de l’examen du baccalauréat -, l’école n’est pas tout. La vie politique et l’efficacité de l’État semblent tenir un rôle important. Pour François Dubet, directeur d'études à l’École des hautes études en sciences sociales,cette corrélation entre l’efficacité de l’État et le moral des Français et un legs de l’histoire.

 

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Mehdi Dehbi dans  Je ne suis pas mort de Mehdi Ben Attia

 

"Notre modèle jacobin est construit autour du face-à-face entre le citoyen et l'Etat : l'individu acquiert son autonomie grâce aux grandes institutions, poursuit-il. Ce n'est pas le cas dans les modèles protestants ou libéraux, où l'autonomie du citoyen passe par la communauté et les corps intermédiaires. Pour les Français, le volontarisme et le colbertisme doivent protéger le pays des tragédies de l'histoire. Quand ils n'y parviennent pas, les citoyens ont le blues. L'échec de l’État est vécu comme une blessure personnelle."  

Or en seulement une trentaine d’années, l’État est largement devenu impuissant et les gouvernements connaissent une grave crise d’efficacité, notamment sur la préoccupation n° 1 des Français : le chômage.

De plus, l’État providence hérité du passé, en créant autant d’avantages sociaux que de statuts et de métiers causerait, selon certains, de la défiance et susciterait des rivalités et du ressentiment entre les citoyens, ce qu’on n’observe pas dans les pays européens du nord qui ont choisi eux des prestations universelles et égalitaires.

La thèse est contestée par de nombreux intellectuels, dont certains pensent que les Français pourraient bien plutôt être en deuil de la grandeur passée de leur pays, « incarnation triomphante des Lumières, la patrie de la Révolution et la mère de l'universalisme républicain », doté d’un empire colonial. Le deuil serait d’autant plus difficile que « le monde qui a émergé à la fin du XXe siècle ne plaît guère aux Français. Dans toutes les enquêtes internationales, ils disent leur rejet viscéral des valeurs de la mondialisation : aucun pays ne déteste autant le libéralisme, la globalisation et le marché que la France, aucun pays ne craint autant pour la survie de sa langue et de sa culture. »

 

 

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Magnifica presenza de Ferzan Ozpetek

 

 

Tout ça est très intéressant, n’est-ce pas ? Mais tout de même, se retrouver champions du monde du pessimisme loin derrière les Afghans ou même les Irakiens ! C’est quoi leur truc ? Les désastres de la guerre ? L’Islam ? Leur jeunesse ? ... Désolé ! Ça ne va pas le faire.

 

En attendant le prochain billet où l’on parlera peut-être de drogues, « Leave it on the floor ! »[1]

 

 

 

    Voguing : Leave it on the floor de Sheldon Larry

actuellement en salle

 

 

 

Sources

 

Liberté, égalité, morosité

La France ne fait pas le bonheur (suite)

 

 

 

NGT / B attitude

NGT / Mélancolivernale

 

[1] Oublie tout ça sur la piste de danse

 

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Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #vivre, #les français

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