Publié le 16 Avril 2012

 

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Berenice Abbott Boy fishing Daytona beach (Florida 1954) au Jeu de Paume 

 

 

 

Enlacés dans le canapé, on se rediffusait Black power mix tape, lorsque le téléphone sonna à l’autre bout de l’appartement.

22 heures 30 ? Qui pouvait appeler à cette heure-ci ? Gabriel décrocha.

Ouf ! Ce n’était que Max qui donnait un peu de ses nouvelles.

Et oui, ça fait bientôt deux mois que Maxime a quitté son lycée et Paris pour l’école de la vie. La chaine en usine la nuit puis maintenant, grâce à un piston du meilleur ami de mon frère Jonathan, « apprenti » serveur, plongeur ou même cuisinier pendant 10-12 heures par jour dans un restaurant non loin de « la grande bleue ».

 

Le premier trimestre avait scolairement terminé aussi mal qu’il avait commencé, avec le retour de retards et d’absences qui s’ajoutèrent à ceux occasionnées par l’IVG « compliqué » de sa copine, eux pleinement justifiés.  Sur ce dernier épisode, on l’avait même félicité pour son sens des responsabilités (outre le temps passé à ses côtés, il y avait laissé toutes les étrennes que lui avait glissé son père à Noël puisqu’il ne pouvait être question que les parents de la fille soient au courant).

 

 

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 Tim Eitel Reflection 2010

 

 

Je l’avais donc renvoyé chez sa mère deux jours avant la sortie des classes pour aller chercher du travail, en laissant une porte entrebâillée pour janvier s’il décidait enfin de préparer un bacho.

Revenu bredouille de sa quête de taf dans deux grandes villes, n’ayant rien de mieux à faire que de revenir à Paris où il avait ses copines et où il profitait tout de même d’un appartement indépendant avec une pension complète chez deux oncles pas vraiment chiants.

 

Il n’ouvrait toujours pas un manuel ou un cahier après les cours mais je m’enchantais de le voir déchiffrer au piano le thème d’ouverture des intouchables face à l’écran de son petit ordinateur portable partagé en deux, avec d’un côté une mauvaise transcription, de l’autre une vidéo filmant les mains d’un interprète l’exécutant lentement. De même, j’étais heureux de son volontarisme pour m’accompagner aux visites-conférences au Louvre - « j’aime l’art » disait-il -, même s’il m’interloqua lorsqu’à la sortie d’une présentation des tableaux du studiolo d’Isabelle d’Este, il me demanda avec toutefois une hésitation dans l’interrogation : « mais cette femme, elle était peintre ? »







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 Michael Borremans The painting 2006

 

 

Le contrat scolaire minimum était respecté : on croisait les doigts, il tenait bon, on allait peut-être avoir six semaines d’affilée sans incident d’absence ou de retard.

Reste que les mauvaises notes s’accumulaient sur l’extranet du lycée et que je me mis de nouveau un peu à le tanner pour qu’il s’y mette, si nécessaire avec mon aide : «tu vas faire partie des 20 % qui le loupent, si tu ne te décoinces pas ! » .

Un soir, je décidai même à m’intéresser de nouveau à ses cours. Ses réponses étaient toujours aussi désolantes. Et pour cause, je venais de l’interroger sur un cours auquel il n’avait pas assisté.

Quand l’école m’a appelé pour me dire qu’il était en train de récidiver, il nous fallut donc lui annoncer que l’école et Paris, c’était fini.

Atmosphère tendue. Gabriel lui demanda alors doucement « Et toi, qu’est-ce que t’en penses de tout ça ? »

« J’y pensais depuis un moment. » (...)

Et on parla pour assez vite retrouver la belle relation qui nous liait. «Tu pourras dire, moi, je n’ai pas loupé mon bac. » (...) Il paraissait immensément soulagé, cependant une chose le chiffonnait, il ne voulait surtout pas que ce temps passé à Paris soit considéré comme n’ayant servi à rien, parce que lui était convaincu du contraire. On le rassura avec vigueur.

 

 

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Tom Cullen (Week-end) par Bruce Weber

 

 

J’y allai aussi de mon couplet « 2e chance » : « la France n’est pas le meilleur pays pour cela, mais rappelle-toi l’article que je t’avais passé, ce sont les « motivations intrinsèques » qui sont les plus puissants leviers d’action, il suffit que tu le veuilles un jour fortement et, vu que tu es intelligent, sociable et demerdard, tu t’y mettras.

Il existe un examen d’entrée en fac pour ceux qui n’ont pas le bac ; si tu veux devenir avocat, pour raccrocher, tu peux préparer une capacité en droit qui ne requiert pas le bac ; pareil pour un BTS. Si tu exerces de fait un métier que tu auras appris sur le tas, tu pourras acquérir le diplôme par VAE. (...) »

 

Ça fait bientôt deux mois que Maxime est parti pour l’école de la vie, pourtant il est encore un petit peu là.

En haut du placard de la cuisine, un pot de Nutella abandonné, sur le secrétaire Empire de mon arrière grand-mère, une partition, et puis ces quelques trous blancs agaçants dans la peinture couleur « petite fille triste » du mur de la chambre qu’il a occupée.

 

 

NGT/ Fuck

 

 

 

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Peu de temps après son départ, il m’a envoyé un email qui m’a fait plaisir :

 


De : Maxime
Envoyé : jeudi 23 février 2012 03:56
À : Thomas
Objet :

 

salut Tom, je t'envoi cette mise en scène créée par deux artistes allemand, qui me fait assez rire, explique moi quel est le message et cette forme d'art?! 

  

 

 

 


 

Slt Max,

 

Où tu regrettes déjà de ne pas être plus « fluent in english », c’est indispensable en art contemporain (mais ce n’est jamais trop tard)...

 

Cette vidéo est l’un des résultats d’un « travail » réalisé lors d’une résidence d'artistes à Essen en Allemagne dans le cadre d'un festival, "PACT-zollverein" (si tu préfère la page en allemand => http://www.pact-zollverein.de/ , je rigole bien sûr) :

 

« 23 artistes de 15 pays différents ont travaillé pendant plusieurs semaines à développer des projets dans les domaines de la performance, des arts visuels, de la dance et des médias ».

 

Le duo auteur de cette video, Diego Agullo et  Dmitry Paranyushkin qui m’ont l’air passablement allumés et probablement homos, ont nommé leur travail « The Humping Pact », qu’on peut a priori traduire par « le pacte de baise » et que Dmitry qualifie sur son site de « suspended polysingular act of love towards the environment », littéralement de « geste suspendu et poly singulier d’amour vis-à-vis de l’environnement », définition qui colle à peu près à l’activité de tous ces mecs à poil qui érotisent tout et n’importe quoi des lieux où ils se trouvent.

 

Pour finir, la catégorie de cette forme d’art est la performance, réalisée le plus souvent devant un public dont on garde une trace vidéo et photographique. Les plus « trash » que je connaisse sont celles qu’ont réalisé les actionnistes viennois comme Gunther Brus ou l’américain Chris Burden devenu célèbre pour s’être volontairement tirer dessus => shoot .

 

Fin du cours d’anglais et d’art contemporain. Bizz

 

 

 
 
Norman Les bilingues

 

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Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #les années, #intergénérationnel, #famille

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