Publié le 20 Février 2015

« Smell of us », parfum de la jeunesse, puanteur de l'âge 

"Smells like Teen Spirit" Nirvana (1991)

Gabriel est sorti énervé de la séance. Fâché comme on peut l'être après un mauvais film. Ce dernier plan sur une bagnole que viennent de cramer les « Kids » du 16e arrondissement de Paris, le suicide de l'un d'entre eux devant sa belle-mère serveuse au Palais de Chaillot... trop « cliché » que tout cela !

Que pensais-tu donc voir ? Lui ai-je dit, ce film, c'est du Larry Clark, « "youth, sex, drugs & rock’n’roll", des jeunes, du sexe, des drogues, et du gros son, sans oublier le skate ; c'est sa vie et son sujet depuis toujours

Des fils de bourges qui font le tapin pour « aller chercher leurs clopes en taxi », tu y crois moyen ? « Jeune et jolie » d'Ozon, ça passait mieux ?

L'idée pas vraiment originale du jeune scénariste Mathieu Landais de faire de quatre garçons de la bande des escorts présente l'intérêt d'introduire un sujet en creux dans tous les films de Larry Clark : la vieillesse, en premier lieu la sienne, qui inexorablement ravage et enlaidit des corps toujours désirants, ce qui fait dire à Romain Blondeau, dans les Inrockuptibles, que « The smell of us » est «un film-somme, du testament nu et fragile d’un cinéaste qui ravive les premières flammes de son œuvre punk tout en s’abandonnant à un horizon plus autobiographique et introspectif. »

« Seigneur Dieu ! Se plaignait déjà la grand-mère paternelle de mon enfance, à quoi bon nous laisser tous ces désirs, après nous avoir enlevé tout moyen de les satisfaire ! »

« Smell of us », parfum de la jeunesse, puanteur de l'âge 
« Smell of us », parfum de la jeunesse, puanteur de l'âge 

Le titre du film « The smell of us » évoque ainsi peut-être à la fois le « parfum » des aisselles de skateurs en pic de testostérone, fumant et buvant sans modération, et la « puanteur » de vieux se livrant depuis trop longtemps aux mêmes excès, que ce soit sous les traits du clochard alcoolique et mutique, traînant ses dernières forces au milieu de cette bande du Troca, ou celui du vieillard léchant et suçant les pieds de l'ange Math au cours d'une passe, en yoyotant la bave dégoulinante : «mon petit garçon, mon petit garçon ».

Mystère de la loi du désir, côté jeunes, le beau Math, est impuissant, toujours en train de se toucher l'entrejambe comme pour vérifier qu'il a bien une bite. Question "passes", il n'a que son cul à offrir, mais rien n'y fait, impossible pour lui de bander. Son pote JP, raide dingue de lui, tente bien à deux reprises de l'embrasser mais Math l'envoie balader. La clé de son atonie est livrée par l'irruption dans le film de Dominique Frot qui joue sa mère, façon Brigitte Fontaine. Une mère aux antipodes de « Mommy », la mère courage de Xavier Dolan, une mère incestueuse qui passe sexuellement à l'acte, le verre de rouge à la main, au motif « qu'on s'emmerde tellement ».

« Smell of us », parfum de la jeunesse, puanteur de l'âge 
« Smell of us », parfum de la jeunesse, puanteur de l'âge 

Il va sans dire que même les yeux cernés, cette jeunesse n'en est que plus belle et désirable. Quoi d'autre ? La fille de la bande, Marie, à propos de la relation entre Math et JP affirme qu' « en 2013, tous les garçons sont (un peu?) homosexuels ». Avec ce film, à 72 ans, même s'il ne le sait pas, Larry Clark fait son « coming out » : le désir homosexuel y tient une place centrale.

Pour Eva Ionesco, la mère de Lucas qui joue Math, Larry Clark est carrément « un artiste          pédophile ». On accordera à Eva Ionesco des excuses biographiques pour son qualificatif, mais je présume que c'est aussi l'époque qui porte à ce genre de brouillage : une amie d'amie ne me racontait-elle pas récemment que son fils était rentré à la maison en racontant avoir été approché par un « pédophile » dans le métro. Quel âge, le fils ? 17 ou 18 ans. La mère a rit, ouf !

Daft Punk "Veridis Quo" (2001), redécouvert dans "Eden" de Mia-Hansen Love

Car le jeune homme est beau, mais le vieillard est grand.

Victor Hugo

« Smell of us », parfum de la jeunesse, puanteur de l'âge 
« Smell of us », parfum de la jeunesse, puanteur de l'âge 

Le Valencien me prend pour un fou quand il entend l'ouverture de la cinquième et qu'il me voit grimper sur la table et crier : « Ta, ta, ta, ta tannn. Ta, ta, ta Tannnnn… Le destin sonne à ta porte ! » Par le destin, le jeune homme comprend la mort. Je lui saute au cou et d'un ton macabre : « Oui, je suis ta fin, la dernière personne que tu verras dans ta misérable vie... » Et il se met à pleurer et je fonds de tendresse. On finit sur le grand lit parental, on fait l'amour et on s'endort.
Le lendemain, vers onze heures, d'abord le son sourd de l'interphone. Je ne réponds pas. Ça doit être une erreur. Quelques minutes plus tard, la sonnette de la porte. Mais qui ça peut bien être ? Il n'y a personne à Madrid ! […]

Kiko Herrero !Sauve qui peut Madrid ! POL

« Smell of us », parfum de la jeunesse, puanteur de l'âge 

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Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #ciné-séries, #culture gay, #intergénérationnel, #vivre

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