Publié le 15 Octobre 2015

https://www.reddit.com/r/colorizationrequests/comments/2sqw2c/free_today_was_my_late_grandfathers_memorial_i/

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Charles Aznavour "Hier encore" (1964)

— Vous allez pas nous déballer toutes vos cartes postales, non ? Le couplet sur Paris, voilà deux ans qu’on en croque. Ça revient comme du chou : Les petits bistros pas chers, les gambilles du samedi, la place du Tertre et le zouave du pont de l’Alma. Et dans cinq minutes, y en aura un qui va sortir un ticket de métro ou des photos de la Foire du Trône. Non, pour moi tout ça c’est râpé. Y’a plus de Paris. Y’a groß Paris. Un point, c’est marre !
— Seriez vous insensible à la nostalgie, brigadier Dudu ?
— Non ! Mais j’aime pas pas penser à reculons. Je laisse ça aux lopes et aux écrevisses.

Michel Audiard "Un taxi pour Tobrouk" 1961

« La France n'est pas une nostalgie mais une espérance. »

Vœux 2015 de François Hollande dans « Un temps de président » d'Yves Jeuland

Ce week-end là, seul à la maison - Gabriel était à Rome pour le boulot – en fouillant dans un carton de vieilles photos, je tombai sur une photographie de promotion sur laquelle je trônai assis l'air sage au milieu du 1er rang. Le grand front est encore couvert par des mèches châtain clair, traits fins sur visage lisse, mâchoires carrés, esquisse de sourire laissant apercevoir des dents blanches bien alignées, repousse de poils au menton de deux jours, chemise blanche déboutonnée sous pull bleu marine, mains croisées au creux d'un pantalon velours marron, des chaussettes bleues dans une paire de chaussures de cuir couleur châtaigne luisantes, j'ai 19 ans. Je me suis trouvé beau comme je ne dus jamais me percevoir. Pourtant j'échouai à faire remonter à ma mémoire quelques souvenirs du garçon que j'étais alors, et je réalisai ainsi toute la vérité de cette phrase de Roland Barthes : « La violence de la photographie se définit par le fait que la photo n'assouvit jamais la demande du souvenir. »

Chez ma mère, au contraire, le souvenir de la jeune fille qu'elle fut est encore vivace : « Quand je rêve, nous a-t-elle dit, je me vois toujours jeune fille, jamais celle que je suis aujourd'hui ». Dans ses rêves, l'esprit resté jeune de ma mère peut rejoindre son corps de jeune fille, plus aimable que celui de la septuagénaire qu'elle est devenue.

Tim Eitel "Rest" 2012

Tim Eitel "Rest" 2012

Déjà plusieurs mois que Gabriel a arrêté de fumer. Procrastinateur multirécidiviste, je ne me suis toujours pas résolu à faire le grand saut pour le rejoindre, même si l'emprise de la cigarette en déclinant rend cette décision radicale envisageable. La semaine dernière, mon compagnon est rentré catastrophé de chez son médecin : son poids flirtait désormais avec « le quintal ». Comme on ne voyait pas trop où il le mettait, je lui ai suggéré d'aller vérifier sur-le-champ que la balance de la Doc fonctionnait bien. Mireille les yeux toujours rivés sur la sienne ne répondait pas au téléphone, Mathieu si. Gabriel revint de chez lui avec seulement deux kilos de moins et une promesse d'envoi du régime Weight watcher.

Lorsqu'on s'est résolu, faute de mieux, à décider de supprimer en semaine nos deux verres de vin OMS du soir, je lui ai dit : « Comment ne pas être nostalgique de cette époque, tu te souviens, quand on s'est rencontré, où l'on buvait comme des trous en fumant des clopes, y compris au plumard, sans ressentir la moindre inquiétude ! » « Nostalgique », voilà que je lâchai à mon tour ce mot qui a envahi notre quotidien d'occidentaux.

Si le sentiment de nostalgie nous paraît pouvoir être aussi vieux que l'humanité, le mot en français est d'origine relativement récente :

Emprunté par les médecins (1759) au latin scientifique moderne, nostalgia créé en 1678 par le médecin suisse J.J. Harder avec les mots grecs nostos « retour » et algos « mal, souffrance ». […] Nostagia traduit le mot suisse alémanique Heimweh « mal du pays », appliqué aux Suisses à l'étranger, surtout aux mercenaires. […]
Il est passé au XIXe s. dans l'usage courant, se référant à un état de regret mélancolique du passé ou d'une chose idéale qu'on n'a pas eue. (1834, Balzac, La recherche de l'absolu).

Dictionnaire historique de la langue française d'Alain Rey

Nostalgie

Son sens premier demeure bien sûr utilisable pour désigner le mal du pays que ne manquent pas de ressentir tous les migrants contraints à l'exil. Toutefois, la nostalgie omniprésente dans le monde occidental est davantage celle du regret mélancolique d'un temps révolu, d'un passé plus ou moins fantasmé, le « laudator temporis acti » (C'était mieux avant) des esprits chagrins à l'incurable pessimisme, dont s'est amusé Lucien Jerphagnon dans son recueil éponyme d'aphorismes et de pensées. De nos jours, cet esprit d'époque « glorifiant les pratiques et les objets d'antan est omniprésent dans des domaines aussi divers que le nationalisme, les politiques patrimoniales, le consumérisme, l'industrie du tourisme, la culture populaire et les mouvements religieux ou écologiques. »

Avant de documenter un peu le sujet notamment en lisant le dernier numéro que lui consacre la revue d'ethnologie Terrain, pour moi la nostalgie était ainsi plutôt le sentiment de l'homme vieillissant qui « a mangé son pain blanc », n'a du futur que l'angoisse et qui déteste ce présent qu'il ne comprend plus, parce que forcément, avec le temps, le monde a changé depuis «le bon temps », celui de sa jeunesse passée. Que la société soit vieillissante et ce sentiment risque fort de devenir dominant.

Nostalgie - c'etait mieux avant ? La question en chanson @LGQFrance 5

Après, comment expliquer qu'il puisse se diffuser aussi chez des personnes qui n'ont pas l'âge de la nostalgie ? En dehors du fait ce regret mélancolique est transmissible à des plus jeunes (j'essaie toujours de faire très attention à ce que je dis devant les enfants et les jeunes gens), dans des sociétés sans Dieu, on peut aussi penser que la fin de la foi dans le progrès inexorable de l'humanité (ce que la sociologie historique nomme post-modernité), remplacée par la perspective de mondes dystopiques, puisse avoir une influence sur la manière collective de concevoir le temps (le futur comme repoussoir, toujours pire, toujours plus catastrophique, et le passé par réaction mythifié).

Tout cela n'est pas forcément faux mais doit être complété.

Je lis aussi que pour le philosophe Jankélévitch, la nostalgie, comme sentiment individuel résulte de notre prise de conscience de l'irréversibilité du temps, elle est moins le « mal du retour » (on peut toujours revenir, d’un point de vue spatial, au point de départ) que l'impossibilité de redevenir celui qu’on était au moment du départ.

Dans le numéro spécial « Nostalgie » de la revue Terrain, il est également souligné que les sociétés sont marquées par la nostalgie, en réactions à des changements sociaux importants et brutaux, générateurs de pertes d'identité et de repères, ce qui est actuellement le cas avec l’accélération produite par les effets du progrès technique et de la mondialisation. Loin de l’idée que les aspirations rétrospectives seraient « politiquement régressives et émotionnellement perturbées », des chercheurs ont ainsi mis en évidence que la nostalgie joue un rôle crucial pour (re)construire nos identités collectives sociales, ethniques ou nationales qu’elle prenne la forme d’affect, de rhétorique ou de pratique.

Mike Kelley et Rich Thomson (1962) Photographe Mel Roberts

Mike Kelley et Rich Thomson (1962) Photographe Mel Roberts

Plus étonnant, il est enfin rapporté des travaux faisant état de nostalgie ne portant « pas toujours sur le passé » et pouvant avoir « une portée rétroactive ou prospective » « se déployant dans des horizons d’attentes et d’inquiétudes à l’égard de l’avenir, si bien qu’espoir et utopies apparaissent dans son sillage. »

Mais tout ça serait beaucoup trop long à expliquer, alors terminons avec un cas simple de nostalgie : la sotte nostalgie.

Au juré qui lui demandait à quelle époque elle aurait voulu vivre, et qui elle aurait voulu être (question sans équivoque nostalgique), la nouvelle Miss Italie a répondu : « En 42.» « En 1942 ? La Seconde Guerre mondiale ? » s'est étonné le responsable de cette curieuse question à une jeune fille de 19 ans qui a la vie devant elle. « Pour voir, vraiment, la Seconde Guerre mondiale. Puisque les livres en racontent des pages et des pages, j’aimerais… la vivre. De toute façon, je suis une femme, donc je n’aurais pas été militaire, j’aurais eu peur et je serais restée à la maison. »

Final inattendu du clip "Battez Vous" (Brigitte)

Nostalgie

La maîtresse de Lacan s'affaisse de plus en plus sur sa chaise pour masser les bourses de BHL du bout du pied.
BHL, imperturbable : « C'est très bien d'avoir un maître. Encore faut-il savoir s'en détacher. Moi, par exemple, à l'École normale... » Kristeva le coupe, en riant d'un rire sec : « Pourquoi les Français sont-ils si attachés à leur scolarité ? On dirait qu'il ne peuvent pas rester deux heures sans l'évoquer. Ça fait anciens combattants, je trouve. » L'éditeur confirme : « c'est vrai, en France, nous avons tous la nostalgie de l'école. » Sollers, taquin : D'ailleurs, certains y restent toute leur vie. »

"La septième fonction du langage" de Laurent Binet

Après "les grandes ondes (à l'ouest)", "la vanité" de Lionel Baier, de nouveau coécrit avec Julien Bouissoux, n'a pas obtenu l'accueil qu'il méritait. Peut-être parce qu'il y est principalement question de mort assistée, de prostitution masculine (toutes deux légales en Suisse), et de désir «qui ne se contrôle pas ». Est-ce seulement la présence de Carmen Maura, la thématique de la mort et du désir et un tournage principalement en studio qui me laissent penser que Pedro Almodovar aurait pu signer ce film ? Souhaitons lui plus de chance à la télévision et en vidéo !

"Blowing Boogie Bugle Man From Company G"

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Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #vivre, #les années, #spectacle

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