Publié le 1 Juillet 2020

photo James Acai
Vie de confiné, vie de retraité...

 

Le confinement m’est apparu comme la préfiguration de ce que pourrait être ma vie de retraité au "minimum vieillesse" : des journées qui se succèdent monotones, où la nouveauté rare est millimétrique, une sociabilité très réduite, un peu de travail pour sortir de soi, pas de villégiature, pas de voyages, pas de sport, pas de sorties, seulement la frousse que la maladie et la mort finissent par me mettre la main dessus.

 

… dans une atmosphère très « 1984 »

 

Dans l’album « Aller-Retour » de Bon entendeur que nous a offert ma nièce Nausicaa lors de son passage à Paris, Frédéric Beigbeider fait une « entrevue » sur fond musical qu’on aime bien dans laquelle il narre sa bascule avec ses potes « destroy des années 80 » dans le camp des vieux, celui de la peur pour sa santé et sa vie : «notre génération est passé en un clin d’œil de  l’inconséquence à la paranoïa .»« Si on m’avait dit qu’un jour que j’attacherai ma ceinture à l’arrière des taxis » s’étonne-t-il. Si on m’avait dit qu’un jour nous remplirions durant deux mois une « attestation dérogatoire de sortie liée à l’activité physique individuelle » limitée à une heure dans un rayon de moins d’un km du domicile, avec la peur du contrôle des flics quand on sortait des zones où ils ne vont jamais (plus de 900 000 PV à 135 euros tout de même !), j’aurais dit : « N’importe quoi !».

Dieu merci, nous avons échappé à l’expérience flippante du drone qui a survolé notre copine Nathalie en l’intimant d’une voix métallique de rentrer chez elle.

Body Balance 75 Les Mills - Fitness Sports Valle las Cañas (Madrid)

Retour à la vie d’avant

 

Après les pique-niques au Bois de Vincennes dans la forêt de Montmorency puis au parc des Buttes Chaumont dès sa réouverture, la possibilité du retour en salles de sport et de cinéma à partir du 22 Juin, même avec une jauge réduite, mais sans le protocole sanitaire de bloc opératoire, a marqué notre retour à la vie d’avant.
La première séance de Body Balance depuis trois mois m’a délicieusement éreinté. L’épaule droite en écarté arrière continue à me faire mal mais, à la 2e séance, déjà la douleur était moins vive.

"La bonne épouse" de Martin Provost

« La bonne épouse » de Martin Provost

 

Du côté ciné, le dernier film vu avant le confinement était « Dark waters » de Todd Haynes, j’ai proposé des retrouvailles cette fois-ci joyeuses. Il n’y avait pas l’embarras du choix : on est allé voir "La bonne épouse". Juliette Binoche se débrouille pas mal dans un registre qui n’est pas habituellement le sien, Yolande Moreau met son grain de bizarre habituel, Noémie Lvovsky, toujours épatante dans un rôle de femme couillue, en l’occurrence une nonne fan de De Gaulle vivant dans la hantise « des rouges ».

Le film n’est pas déplaisant mais on sourit  plus qu’on ne rit. Dans le genre anti-sexiste, je crois que j’avais préféré "Potiche" de François Ozon qui intégrait en plus, dix ans plus tôt, un décor « luttes sociales », peut-être aussi parce que le sujet n'avait pas été aussi labouré qu'il l'est aujourd'hui.

"Potiche" de François Ozon

« Le Capital au XXIe siècle »  de Justin Pemberton et Thomas Piketty

 

Les 976 pages pour l’édition au Seuil nous avaient fait repousser sine die la lecture de l’essai de Thomas Piketty en 2013. Son succès éditorial (traduit en 40 langues et vendu à 2,5 millions d’exemplaires) et les débats qu’il a suscités notamment aux États-Unis, deux ans après le mouvement de contestation Occupy Wall Street, suffit pour le considérer comme un livre majeur traitant d’une question essentielle, celle de l’accroissement des inégalités que les politiques fiscales actuelles ne parviennent plus à corriger.
Piketty met en perspective historique et géographique cette question en parcourant trois siècles et plus de vingt pays. Gaëlle Macke du magazine Challenges a eu la gentillesse de nous le résumer et même de nous donner à la fin de l’article « le résumé du résumé ».

Pour notre part, après projection du film documentaire co-réalisé par Justin Pemberton et Thomas Piketty, nous dirions que le film dénonce, avec la mondialisation et la révolution numérique, un retour aux inégalités du niveau de celles du début du siècle dernier, voire de celles de l’Ancien Régime (une ploutocratie remplaçant l’aristocratie qui ne payait pas l’impôt), tandis que les États et les classes moyennes s’appauvrissent, mettant ainsi en péril les démocraties. Ce constat est établi depuis un moment, entre autres par la fiscaliste canadienne Brigitte Alepin.dans son livre "La Crise fiscale qui vient", paru en 2010, et qui a inspiré le documentaire  « Le prix à payer » sorti en 2014 (« The price we pay »).

Le documentaire reprend ce fil historique en alternant paroles d’experts, dont bien sûr celle de l’auteur du livre, et des extraits d’archives fictionnelles et documentaires. A la différence de Jacques Mandelbaum, nous avons trouvé ce montage dans l’ensemble aussi plaisant qu’efficace.

Des réserves ? Sur le plan historique, Gabriel a trouvé quelques raccourcis de récit parfois gênants, en particulier ceux consistant à généraliser un propos qui était juste pour la Grande-Bretagne mais faux pour la France, ou vice-versa. De notre côté, nous déplorons que le documentaire élude l’importance du déplacement du centre de gravité du capitalisme productif vers les nouveaux pays industrialisés notamment en Asie, qui a enrichi leurs populations et rendu le monde moins inégalitaire. Également, nous ne partageons pas l’idée sous-jacente du déterminisme d’une évolution technologique inexorable qui va continuer à détruire les derniers gisements importants d’emplois dit peu qualifiés (les voitures rouleront sans conducteur et les chauffeurs seront au chômage…). Du coup, on a l’impression qu’il y a un non dit, l’hypothèse de la fin du travail et l’utopie non exprimée, d’une société solvabilisée par un revenu d’existence (financé par l’impôt sur le capital ?). Ce qui nous amène au manque principal du documentaire, ce qui nous aurait le plus intéressé : que faire ? Car après tout, s’il est une science humaine qui fut politique dès sa création, c’est bien l’économie.

 

"Le Capital au XXIe siècle" réalisé par Justin Pemberton et Thomas Piketty

Dans son ouvrage, Piketty préconise d'instaurer un impôt sur la fortune au niveau mondial ou au moins européen pour réduire les inégalités tout en évitant la concurrence fiscale. On est bien d’accord, mais alors pourquoi diantre n’est-on toujours pas parvenu à faire cesser l’activité des paradis fiscaux au sein même de l’Europe, qui ne donne d’autre choix que la concurrence fiscale, et qui organise l’évasion fiscale des grandes entreprises et des riches contribuables ? Pourquoi aussi une fiscalité sur les revenus des GAFAM digne de ce nom, n’existe-t-elle toujours pas ?
J’attends avec impatience le documentaire qui ferait la rétrospective de toutes les initiatives nationales, supranationales et internationales en la matière (car il y en a eu) et qui analyserait pourquoi elles ont échoué, et comment, si cela est faisable, faire en sorte qu’à l’avenir la montagne n’accouche pas d’une souris.
Tant que cette étude n’aura pas été faite, la population sera fondée de continuer à penser intuitivement que la démocratie, comme système politique, est une foutaise car les riches, les banques et les autres grandes entreprises dirigent le monde.

Pour analyser ces questions, il ne suffit pas, comme le fait le documentaire, d’affirmer que la « théorie » du ruissellement (trickle down) est une fable, à laquelle croiraient nos dirigeants, il conviendrait plutôt de se demander pourquoi le président Macron, qui n’y croit pas, a supprimé l’ISF pour le remplacer par l’IFI, avec une échéance d’évaluation de ce choix. .

De même, le documentaire nous donne à voir un jeu organisé par des psychologues dont les conclusions, pour être intéressantes, sont pour le moins courtes pour expliquer l’impopularité toutes classes confondues de l’impôt sur les successions (dans ce cas, ce ne sont plus les dirigeants qui ne veulent pas une plus forte imposition du capital, mais toute la société).

Ceci dit, dans l’exemplaire de Mathieu que j’ai emprunté à Colette, je constate que Piketty consacre tout de même 200 pages à une dernière partie s’intitulant "Réguler le capital au XXIe siècle" avec une sous-partie "L’impôt mondial sur le capital : une utopie utile". Comme l’indique ce titre, il ne se fait pas d’illusions sur la faisabilité à brève échéance de sa mise en place, en l’absence de guerres ou de catastrophes économiques qui au XXe siècle ont permis une forte réduction des inégalités, mais il dessine les lignes d’une coopération fiscale se mettant en place « de façon graduelle et progressive pour les pays qui le souhaitent », notamment par l’approfondissement des projets de transmissions automatiques d’informations bancaires, et l’établissement de déclarations fiscales de patrimoine préremplies incluant les actifs détenus dans les banques étrangères, pouvant s’inspirer du FATCA américain (Foreign Account Tax Compliance Act), qui impose à toutes les banques étrangères de transmettre au fisc américain les informations sur les comptes, placements et revenus détenus et perçus par les contribuables américains ailleurs dans le monde.

Avec le dernier documentaire de Rodolphe Marconi « Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettes », retour à une économie moins insaisissable : l’agriculture qui nous évite de crever de faim et nous permet d’avoir de beaux paysages...

 

Struggle for life - Namibie - Photo Vincent Citot

 

"Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches…" un film documentaire de Rodolphe Marconi

« Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettes » de Rodophe Marconi


Si je n’avais pas aimé deux documentaires de Rodolphe Marconi, peut-être aurais-je manqué celui-ci. C’eût été dommage, car la triste histoire de Cyrille mérite d’être largement connue. Je la trouve tout aussi révoltante que l’objet d’étude du « Capital au XXIe siècle ».

Le mal paysan est bien documenté, leur solitude aussi, celle de Cyrille est d’être homosexuel contraint par manque de moyens de passer par la chambre de son père pour rejoindre la sienne.

Dans un pays où l’opinion est soucieuse de mieux s'alimenter, autant que possible localement, et qui vient de voter aux municipales pour des candidats écologistes, comment ne pas être scandalisé qu’un garçon qui bossait comme un malade et qui sait faire autant de choses, ait dû connaître les huissiers puis la liquidation de l’exploitation familiale, avec pour unique perspective d’activité de se reconvertir en chauffeur de poids lourds.

Mais à quoi donc servent donc le ministère de l’agriculture  et ses effectifs pléthoriques ?

La ville ressuscite : retour en salles

Polo & Pan "Feel Good"

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