Publié le 8 Avril 2015

« Homo ou hétéro, un choix ? » / « Le cercle »

ANNIE feat. Bjarne Melgaard - "Russian Kiss"

 

 

"Homo ou hétéro, un choix ?" titrait le documentaire de Thierry Berrod diffusé mardi 24 mars sur France 2. Posée ainsi, la réponse à la question est évidemment négative : l'orientation sexuelle s'impose à chacun, a fortiori l'homosexualité minoritaire, car comme le disait si bien l'archevêque anglican sud africain Desmond Tutu à l'intention des religieux conservateurs qui croient que l'homosexualité est un choix : « […] Il faut être fou pour choisir un mode de vie qui vous expose à tant de haine. C'est comme dire que vous choisissez d'être noir dans une société infectée par le racisme. »

Du coup la vraie question du documentaire de Thierry Berrod n'est pas tant celle du choix que celle des origines de l'homosexualité d'une personne.

Si l'exemple de la Grèce antique montre que l'environnement culturel influence le montant du pourcentage de bisexuels dans la société, un argument plaide en faveur de la biologie : le nombre d’homosexuels. Dans chaque société, on retrouve environ 5% de gays et 2% de lesbiennes exclusifs. Et ce chiffre ne varie pas dans les sociétés très ouvertes comme le Danemark qui a autorisé l'union civile aux couples homosexuels en 1989, ce qui invalide au passage, l'argument homophobe de risque de contagion homosexuelle.

Mais ce n'est pas l'avis des homophobes de tous temps qui ont toujours considéré l'homosexualité comme une déviance sociale d'un individu choisissant « le mal » plutôt que « le bien », voire d'une maladie, que la majorité s'acharne à vouloir faire soigner par la peur, les hormones, les thérapies psy ou par la prière, avec les résultats que l'on connaît.

Takis "San Sebastian" 1974 - exposition 2015 Palais de Tokyo Paris

Takis "San Sebastian" 1974 - exposition 2015 Palais de Tokyo Paris

Alors, quel peut bien être l'enjeu de cette question récurrente ainsi posée en général dans les pays anglo-saxons, en particulier aux États-Unis ? Avant tout de prouver sur la base de travaux scientifiques aux homophobes l'absence de choix des homos en matière d'orientation sexuelle, permettant à la fois de réfuter l'accusation de perversion, de débarrasser les intéressés de la culpabilité produite par le puritanisme religieux de leur culture, et de justifier enfin leur revendication d'égalité de droits.

Le traitement de cette question impose en général de commencer par réfuter l’argument selon lequel le comportement homosexuel est un crime contre nature, ce qui suppose qu'il soit absent de la nature, et ce qui n'est pas du tout le cas, ne serait-ce que parce que dans le monde animal, mais dans une moindre mesure que chez l'homme, la sexualité n'a pas seulement pour but la reproduction mais aussi la recherche de plaisir et d'attachement.

John Giorno "A hurricane in a drop of cum" (tempête dans une goutte de sperme ?) Palais de Tokyo 2015 Paris

John Giorno "A hurricane in a drop of cum" (tempête dans une goutte de sperme ?) Palais de Tokyo 2015 Paris

Le principal organe sexuel de l'homme étant son cerveau, la recherche s'est orientée vers son étude. L'observation des différences de morphologie des cerveaux des béliers suivant leur appétence sexuelle, et ce dès le stade fœtal, a orienté des recherches vers l'observation de différences de structure du cerveau entre homosexuels et hétérosexuels, notamment dans la zone de l'hypothalamus qui gère le comportement sensuel et sexuel. Une étude contestable quant à son échantillon, a ainsi mis en évidence dans les années 90 que chez les homos et les femmes, cette zone avait un aspect identique et qu'elle était plus petite que celle des hétéros. Chez les rats, on a fait augmenter cette zone grâce à des hormones sexuelles au stade fœtal, ce qu'on n'est pas parvenu à faire après la naissance.

Par la suite, l'IRM fonctionnelle qui permet d'observer le cerveau en fonctionnement, révèle des ressemblances chez les hommes homosexuels et les femmes hétérosexuelles d'une part, et des femmes homosexuelles masculines (lesbiennes butch) et les hommes hétérosexuels d'autre part, notamment dans leur réactions aux phéromones femelles présentes dans l'urine et phéromones masculines présente dans la sueur, sans que les chercheurs puissent dire si ça vient de l'inné (la naissance) ou l'acquis (l'apprentissage et l'expérience).

Mais puisqu'on n'est pas parvenu à modifier ces réactions, on suppose qu'elles se sont plutôt mises en place durant la grossesse. Ainsi, le constat d'un "pic" d'homosexuels conçus durant les bombardements de la seconde guerre mondiale en Allemagne, a nourri l'hypothèse que le stress de la mère durant la grossesse pouvait avoir une incidence sur l'orientation sexuelle de l'enfant. En effet, son stress fait produire à l'embryon qu'elle porte des hormones mâles, la testostérone, qui pourrait intervenir non seulement sur la différenciation sexuelle des organes mais aussi sur l'orientation sexuelle future de l'enfant via une différenciation sexuelle du cerveau. Cela a pu été vérifié chez des oiseaux monogames hétérosexuels qui, lorsqu'on leur injecte des hormones mâles au stade embryonnaire, deviennent des oiseaux monogames homosexuels.

En revanche, les expérimentations d'injections d'hormones pratiquées sur des homosexuels durant les années 60 ont bien modifié leur physique mais pas leur orientation sexuelle, puisqu'elles n'agissent pas sur le cerveau. Seules les hormones embryonnaires seraient donc susceptibles d'avoir une incidence sur notre orientation sexuelle.

 

"L'art de la fugue" de Brice Cauvin librement adapté du roman éponyme de Stephen Mccauley

 

A partir de 1993, des recherches ont été conduites sur l'éventuelle origine génétique de l'homosexualité. L'observation répétée de similitudes d'ADN exceptionnelles notamment dans la région XQ28 du chromosome X sur des sujets homosexuels pourrait conforter l'idée que l'homosexualité est une variante inscrite dans les gênes.

De même, de nombreux scientifiques ont constaté que chez les vrais jumeaux, la probabilité d’avoir un frère gay lorsque l’on est soi-même gay est de 50% tandis que chez les faux jumeaux, elle descend à 20%.

Raul et Haydem Guerra

Raul et Haydem Guerra

 

Néanmoins, le développement d'une nouvelle discipline scientifique, l'épigénétique, pourrait réconcilier les approches par l'inné et par l'acquis, en ce qu'elle montre que les aléas de la vie modifient chimiquement l'expression de nos gênes.

Une étude épigénétique canadienne révèle ainsi que plus un homme a des frères plus âgés que lui plus il a des chances d'être gay, mais que ça ne fonctionne pas avec des frères non biologiques, ce qui induit que ça ne proviendrait pas que de l'environnement éducatif. D'autres études au Danemark, dont aucune conclusion ne nous est pas plus applicable, confirme que le plus jeune enfant a plus de chance d'être gay, une autre atteste que des parents âgés fournissent davantage d'enfants homosexuels, que les hommes vivants en couple homosexuel stable ont été élevés dans un contexte instable. De même, les filles ayant perdu leur mère durant la puberté ont deux fois plus de chance de faire un mariage lesbien, tout comme celles qui ont grandi en ville par rapport à celles qui l'ont été à la campagne.

Enfin, chez les femmes, on constate que l'homosexualité exclusive est moindre que chez les hommes et la bisexualité beaucoup plus fréquente, même si les femmes n'en font pas une composante d'identité. Corrélativement, l’origine biologique de l’homosexualité est beaucoup plus frappante chez les hommes et aucune origine génétique n'a pu être mise en évidence côté femmes.

Jean Boullet 1964 pour la revue "der Kreis"

Jean Boullet 1964 pour la revue "der Kreis"

Le cercle de Stephan Haupt

 

En Suisse dans les années 50-60, l’homosexualité n'était plus un délit depuis 1942, ce n'est pas le cas en Allemagne de l'Ouest où s'applique toujours le paragraphe 175 (il sera définitivement abrogé en 1994), ou en France où elle sera dépénalisée en 1982. Pour autant, la question "Homo ou hétéro, un choix ?" n'aurait pu être posée : l'homosexualité se vivait honteuse dans la clandestinité tant y était prégnante l'homophobie et la répression des homosexuels sous la forme de harcèlement policier ou de menace de divulgation publique de la sexualité des individus. Ainsi, dans le film de Stephan Haupt, Le Cercle, Ernst, le jeune professeur de français dans un collège de jeunes filles pouvait dire adieu à son diplôme et à son poste si cela s'était su.

"Le cercle" de Stefan Haupt

"Le cercle" de Stefan Haupt

Le Cercle est un mélange réussi de documentaire et fiction qui évoque la vie des homosexuels à Zurich dans ces années, au travers de l'histoire du cercle (der Kreis), à la fois revue et club homosexuel, et l'histoire d'amour d'Ernst et Röbi qui s'y sont rencontrés et sont depuis devenus un couple marié de vieux messieurs, témoins aussi touchants que « les invisibles » de Sébastien Lifshitz.

 

"Le cercle" de Stefan Haupt

Je comprenais aisément qu'on soit attiré par la vie monastique – même si, j'en étais conscient, mon point de vue était très différent de celui de Huysmans. Je ne parvenais pas du tout à ressentir son dégoût affiché pour les passions charnelles, ni même à me le représenter. Mon corps en général était le siège de différentes affections douloureuses – migraines, maladies de peau, maux de dents, hémorroïdes – qui se succédaient sans interruption, ne me laissant pratiquement jamais en paix – et je n'avais que quarante-quatre ans ! Que serait-ce quand j'aurais cinquante, soixante, davantage !… Je ne serais plus alors qu'une juxtaposition d'organes en décomposition lente, et ma vie deviendrait une torture incessante, morne et sans joie, mesquine. Ma bite était au fond le seul de mes organes qui ne se soit jamais manifesté à ma conscience par le biais de la douleur, mais par celui de la jouissance. Modeste mais robuste, elle m'avait toujours fidèlement servi – enfin c'était peut-être moi, au contraire, qui étais à son service, l'idée pouvait se soutenir, mais alors sa férule était bien douce : elle ne me donnait jamais d'ordres, elle m'incitait parfois, humblement, sans acrimonie et sans colère, à me mêler davantage à la vie sociale. Je savais que ce soir elle intercéderait en faveur de Myriam, elle avait toujours eu de bonnes relations avec Myriam, Myriam l'avait toujours traitée avec affection et respect, et cela m'avait donné énormément de plaisir. Et des sources de plaisir, en général, je n'en avais guère ; au fond, je n'avais même plus que celle-là. Mon intérêt pour la vie intellectuelle avait beaucoup décru ; mon existence sociale n'était guère plus satisfaisante que mon existence corporelle, elle aussi se présentait comme une succession de petits ennuis – lavabo bouché, Internet en panne, perte de points de permis, femme de ménage malhonnête, erreur de déclaration d'impôts – qui là aussi se succédaient sans interruption, ne me laissant pratiquement jamais en paix. Au monastère, on échappait j'imagine à la plupart de ces soucis ; on déposait le fardeau de l'existence individuelle. [...]

Michel Houellebecq "Soumission"

Jérome Zonder "les fruits du cinéma" à la Maison Rouge (Paris)

Jérome Zonder "les fruits du cinéma" à la Maison Rouge (Paris)

Jérome Zonder "Pierre-François et le chat qui rit" à la Maison Rouge (Paris)

Jérome Zonder "Pierre-François et le chat qui rit" à la Maison Rouge (Paris)

« Homo ou hétéro, un choix ? » / « Le cercle »

Gloria Gaynor "I am what I am", reprise de la chanson de la comédie musicale à Broadway "La Cage aux folles" (1983–1987)

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Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #culture gay, #technoscience

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