Publié le 19 Novembre 2009

 

Diego Ruiz découvert dans Navidad

 

Eurythmics - Sex Crime (1984)

 

Le copain roumain a conclu ainsi notre conversation : « Si Ceaucescu avait disposé des moyens technologiques existants aujourd’hui pour fliquer les gens, les communistes seraient toujours au pouvoir».


Notre tablée venait de s’effrayer de l’empressement avec lequel l’immense majorité de nos concitoyens adoptaient avec enthousiasme des technologies et des services laissant des traces partout et pour longtemps de leur activité, et qui, lorsque vous évoquiez les risques que cela faisait peser sur leurs libertés individuelles, à tous les coups vous disaient :

«Quelle importance si vous n’avez rien à vous reprocher ? »

C’est d’ailleurs exactement ce qu’a fini par dire la vendeuse de Pass Navigo à Gabriel qui insistait pour qu’on lui mette en place
le Pass découverte qui ne permet pas la géolocalisation. Ça suffisait déjà assez de la carte Vélib et de la carte bancaire ! C’était une question de principe.

 


Gael Garcia Bernal dans Amours chiennes (Amores perros)
 


Il fut aussi question des fichiers de police, en particulier du fichier génétique d’abord autorisé pour les crimes et délits sexuels sur des mineurs de moins de 15 ans, et très vite élargi à la majorité des crimes et délits. Pour 2009, le service concerné s’est vu fixer comme objectif le relevé d’un million d’empreintes, objectif a priori déjà dépassé (merveille de la « culture de résultat » !).

Refuser le prélèvement qu’on vous demande pour une vétille est possible mais ça ne peut qu’aggraver votre cas (amende prohibitive et peine de prison).

 

On apprend aussi que deux nouvelles bases de données à l’usage de la police viennent d’être autorisées par décret en remplacement de l’ancien fichier des renseignements généraux  et du fichier Edwige qui a suscité un tollé. En effet, il était prévu d’y collecter des données sur les opinions, l’origine ethnique, la santé ou l'orientation sexuelle des personnes fichées.

Ces deux nouveaux fichiers viennent compléter un dispositif existant de 45 fichiers informatisés pour assurer la « sécurité intérieure » et l’identification des auteurs d’infractions.

 




Brassaï - Bal de la montagne Ste Geneviève 1932
 


Y sont fichées toutes les personnes ayant été mis en cause dans une procédure mais aussi des personnes susceptibles de l’être un jour.

 

Le gouvernement par la peur et l’émotion fonctionne tellement bien que s’inquiéter des risques de ce fichage généralisé, notamment de la présomption de culpabilité et de la fin du droit à l’oubli qu’il implique, fait derechef de vous un suspect en puissance :

« Bah ! Où est le problème ? Si t’as rien à te reprocher ? »
Toujours le même argument plein de « bon sens », difficile à réfuter, ce qui le rend très efficace.

 

Même si je comprends parfaitement l’intérêt des services de police pour le renseignement et le fichage, ça me fout les jetons, toutes ces fiches.

Illico, je pense aux juifs de France envoyés dans les camps de la mort grâce à l’efficace collaboration de l’administration française et de son fichier dit « de la Préfecture de police, celui du recensement des juifs ordonné par l’occupant en septembre-octobre 1940 »[1].

 
Bah ! Où était le problème ? S’ils n’avaient rien à se reprocher. 

 

[1] Dans l’ouvrage cité ci-après

 


Joseph Gordon-Levitt


Immédiatement après, le pédé ne peut s’empêcher de se souvenir que les fichiers d’homosexuels du Ministère de l’Intérieur n’ont été détruits en France qu’en 1982, après l'arrivée de la gauche au pouvoir qui a dépénalisé l'homosexualité.

Bah ! Où était le problème ? S’ils n’avaient rien à se reprocher. 

 

 

Brassaï Bal de la montagne Ste Geneviève 1932

 


Brassaï Bal des invertis 1931



Rapport du commissaire Priolet, 16 décembre 1928

 

J’ai l’honneur de vous faire connaître qu’au cours de la nuit du 15 au 16 décembre, j’ai procédé à des descentes en divers cafés et hôtels des environs de la place Pigalle.

Le but essentiel de ces opérations était d’appréhender les invertis qui abondent aux alentours de cette place, racolant sur la voie publique ou dans des débits, puis allant « en passe » en certains hôtels qui font l’objet, de la part de mon Service, d’une surveillance constante.

En particulier, il s’agissait de mettre fin aux agissements scandaleux de certains soldats et marins qui, en uniforme, racolent ouvertement ou se font racoler par des invertis pour lesquels le costume de marin a un attrait indéniable.

Les débits dénommés « Les noctambules » et « Au Roi du café » situés place Pigalle et boulevard de Clichy, ainsi que le débit-tabacs sis place Pigalle, ont successivement été visités.

Les hôtels de « passe » (fréquentés par la clientèle homosexuelle), qui se trouvent aux adresses ci-dessous, ont reçu également ma visite :

1° - Hôtel, 2, impasse Guelma ;

2° - Hôtel, 6, impasse Guelma ;

3° - Hôtel, 1, rue Germain-Pilon ;

4° - Hôtel, 2, passage Elysée-des-Beaux-Arts.


 

J’ai terminé en « raflant sur la voie publique les militaires suspects qui, entre minuit et deux heures du matin, font le va-et-vient place Pigalle, telles de véritables péripatéticiennes dont ils empruntent les allures nonchalamment équivoques et le langage conventionnel.

La fâcheuse notoriété dont jouit cette place est si répandue que nul n’ignore, en les dépôts des Equipages de la Flotte à Toulon et à Cherbourg particulièrement, l’aisance avec laquelle un jeune matelot peut s’y constituer rapidement un joli pécule pour peu qu’il veuille faire abstraction, un court laps de temps, de ses scrupules sexuels.

 

J’ai ainsi appréhendé trois marins, les quartiers maîtres SARDAIN, Paul et RICHARD, Marcel ainsi que le matelot Jégo, Léandre et les soldats MONTANES et SORIANO du 19e escadron du Train des Equipages.

Soriano et Montanes ont été surpris en flagrant délit de racolage, alors qu’ils s’offraient à « monter en passe », moyennant rétribution de cinquante francs à chacun d’eux.

En l’hôtel sis 2, impasse Guelma, j’ai découvert dans une chambre deux homosexuels, les nommés Garau, Henri et Villars, Antonin.

En l’hôtel si 1, rue Germain-Pilon, j’ai trouvé deux homosexuels également couchés dans une chambre. Il s’agissait des nommés Weckering, Marcel et Dartus Francis. Ce dernier âgé de seize ans seulement.



par Cocteau


L’enquête à laquelle j’ai procédé m’ayant permis d’établir qu’il venait habituellement « en passe » à l’hôtel précité, sans qu’aucune explication lui soit demandée, le tenancier a été inculpé par mes soins d’excitation habituelle de mineurs à la débauche et sera déféré aux Tribunaux correctionnels. [...]

 

En ce qui concerne les pédérastes appréhendés, ils ont été relaxés après avoir été photographiés au Service de l’Identité judiciaire.

 

Dans les archives secrètes de la Police - quatre siècles d'Histoire de crimes et de faits divers (2009)


 

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Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #technoscience, #libertés, #culture gay, #homophobie, #Paris

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