Publié le 1 Septembre 2015

Sujet de rentrée : la fin de la lecture 

Crier que je ne prie pas, que je ne fais pas mes ablutions, que je ne jeûne pas, que je n'irai jamais en pèlerinage et que je bois du vin – et tant qu'à faire, l'air qui le rend meilleur. Hurler que je suis libre et que Dieu est une question, pas une réponse, et que je veux le rencontrer seul comme à ma naissance ou à ma mort. […]

"Meursault, contre-enquête" de Kamel Daoud

"L'oranais" de Lyes Salem

 

Tous les parents connaissent cette corvée que leur gosse ne cesse de remettre à plus tard : lire le livre choisi par leur professeur avant qu'il ne soit « étudié » en classe. La copine invitée par l'une de mes nièces cette été, avait touché le gros lot avec un Jules Verne qu'elle n'avait jamais avec elle, à la différence de son téléphone portable et de sa tablette. Pour Chloé, 14 ans, ce livre, c'était avant tout le nombre de pages qu'elle devait lire par jour (30) pour en venir à bout (606 pages) avant la rentrée. J'ai admiré la rigueur que la jeune fille s'était imposée pour ce « devoir de vacances », pour ensuite tout de même me demander devant elle si cette méthode, quoique efficace pour faire lire, était la voie la plus sûre pour faire aimer la lecture et la littérature. Mais Chloé, qui semble une bonne élève dans un système scolaire élitiste, ne s'en plaignait pas et s'est aussi dite intéressée par l'ouvrage, alors je n'ai pas insisté.

Scoop ou marronnier de presse ? Un article dans Télérama tirait cette été de nouveau la sonnette d'alarme : «Le lecteur, une espèce menacée ? »

 

Sujet de rentrée : la fin de la lecture 

 

Qu'on s'entende bien : on n'a jamais autant lu grâce aux écrans, mais ce dont il est question dans cet article, c'est du lecteur de littérature ou pour faire simple du lecteur de romans, même si les chiffres qui suivent concernent les livres en général. Pour l'écrivain Américain Philip Roth, il ne fait aucun doute que «dans trente ans, sinon avant, il y aura en Amérique autant de lecteurs de vraie littérature qu'il y a aujourd'hui de lecteurs de poésie en latin.» Quand on sait qu'un Américain sur deux n'a pas ouvert un seul livre en 2014, son pronostic apparaît plus que vraisemblable. Côté français, on n'est pas encore tombé aussi bas puisqu'en 2014, 30 % des Français confiaient n'avoir lu aucun livre dans l'année (selon une enquête Ipsos/Livres Hebdo de mars 2014, le nombre de lecteurs avait encore baissé de 5 % en trois ans) et 40 % déclaraient lire moins qu'avant.

Contrairement à une idée répandue, Internet n'a fait qu'accélérer une tendance à la baisse continue de la lecture régulière de livres depuis 35 ans. Quand on sait en plus que c'est chez les jeunes que le phénomène est le plus marqué, il est difficile de ne pas donner raison au sociologue Olivier Donnat, qui l'interprète comme «un basculement de civilisation, du même ordre que celui qui avait été induit par l'invention de l'imprimerie. Notre rapport au livre est en train de changer, il n'occupe plus la place centrale que nous lui accordions, la littérature se désacralise, les élites s'en éloignent. C'est une histoire qui s'achève ».

 

 

On peut regretter la quasi disparition de cet étrange loisir consistant à s'abstraire du monde par une « lecture solitaire, prolongée, patiente des textes qui exigent de l'attention » et « la faculté de faire fonctionner son imaginaire à partir d'un simple texte », néanmoins force est de reconnaître une supériorité au cinéma (séries « télé » incluses) et au 7e art en général, pour satisfaire le besoin humain de récits, notamment parce qu'il mobilise de bien plus nombreux talents et qu'il procure ainsi au plus grand nombre beaucoup plus d'émotions, en sollicitant non seulement le cerveau mais aussi l'ouïe et davantage la vue.

« Le roman est une forme dépassée » avais-je lancé dans un dîner, suivi d'un tollé aussi prévisible qu'unanime. Depuis les auteurs de l'article de Télérama ne disent-ils pas la même chose avec un jugement péjoratif ?

«L'appétit pour le récit, la fiction est toujours là, lui, qui se déplace, évolue, s'entiche de nouvelles formes d'expression plus spectaculaires ou faciles d'accès», comme la série télé, « devenue « le roman populaire d'aujourd'hui » (Mariette Darrigrand), la forme « qui s'adresse le mieux à l'époque » (Xabi Molia), parlant de front à toutes les générations, à tous les milieux sociaux ou culturels, avec parfois d'heureuses conséquences (inattendues) sur la lecture (voir le succès des tomes originels de Game of thrones, de George R.R. Martin, après la diffusion de leur adaptation sur HBO). »

 

 

A l'inverse, en France, trois films sur dix sont des adaptations littéraires, témoignant par là qu'il peut encore y avoir des échanges féconds entre les deux formes créatives. Quoi qu'il en soit, la lecture est bel et bien sur la pente de devenir le loisir d'une minorité.

Faut-il s'en inquiéter ? Non, tant que cette situation ne nuit pas à la la création et que les livres demeurent accessibles pour ceux qui le désirent, ce qui est toutefois improbable dans une économie de marché sauf intervention publique.

Oui, au moins dans la perspective où « la lecture n'est plus considérée comme la porte d'accès privilégiée au savoir et n'est plus synonyme de plaisir. » Car enfin, on trouve certes de tout sur Internet mais pas tout, surtout pas quand il s'agit de creuser un sujet.

 

Jesus Castro découvert dans "la isla minima" de Alberto Rodriguez

Jesus Castro découvert dans "la isla minima" de Alberto Rodriguez

 

Selon Sylvie Octobre, chargée de recherche au ministère de la culture, « ce désamour pour les livres vient (…) du glissement de notre société de ce qu'on appelait les humanités vers le technico-commercial. Auparavant, les filières les plus prestigieuses nécessitaient une pratique assidue de la lecture. Or la lecture, en tant que loisir tout du moins, n'est plus vraiment obligatoire pour devenir ingénieur. Le français laisse peu à peu la place aux mathématiques. »

Le phénomène est si profond que Jorge, prof de fac dans un département de littérature, s'est plaint à plusieurs reprises de ne pas parvenir à faire lire ses étudiants, fussent de simples nouvelles de quelques dizaines de pages, lesquels étudiants essaient en vain de masquer leur forfait par de lamentables resucées de commentaires trouvés sur Internet.

Patrick Neu "cristal et noir de fumée - détail de la bataille de San Romano de Paolo Uccello 1456"

Patrick Neu "cristal et noir de fumée - détail de la bataille de San Romano de Paolo Uccello 1456"

 

« Et toi, tu en es où côté lecture ? » me demanderez vous.

Moi ? Ça ne va pas fort, mais ça y est, c'est décidé, je vais remplacer le « Putain de catastrophe » sur lequel avait déjà calé Gabriel par le nouveau Laurent Binet. Avec un titre pareil, j'aurais dû me méfier : ce bouquin est ennuyeux comme la pluie. Parvenu à la page 242, je réalise que je ne me suis toujours pas marré une seule fois (« hilarant » selon le journaliste de Télérama !?). J'aurais mieux fait de m'arrêter à la première page où se trouve le meilleur paragraphe du livre, du moins en considération de ce sujet de rentrée :

[…] Cook vivait une période de transition. Et franchement, il détestait ça. Il aimait que les choses restent telles quelles. Il aurait voulu que demain soit comme hier et que l'endroit où il se rendait ressemble à celui d'où il venait. […]

Dieter Schaad dans "Heimat" d'Edgar Reitz, actuellement diffusé sur Arte TV

Dieter Schaad dans "Heimat" d'Edgar Reitz, actuellement diffusé sur Arte TV

Ravi Shankar w/ Philip Glass - Passages 1990

"In the closet - baptism blues" de Sarp Kerem Yavuz

C'est très difficile d'être un génie dans une époque médiocre. […] Moi franchement, j'ai l'impression qu'à la fin des années 50, n'importe quel baltringue écrivait deux lignes et le soir même il dînait au Deux Magots entre Sartre et Beauvoir. […] Hemingway ! Le gars était censé être écrivain, mais enfin si on en croit les Guides du Routard du monde entier, le type a passé sa vie à inventer des cocktails en fait. […]
François, j'adorerais continuer à y croire, mais un homme qui a lâché ses deux femmes et son régime, comment voulez-vous qu'il ne lâche pas la France, quoi ? Ah non ça François, il est encore très loin d'être Barack. […]

"Née sous Giscard", spectacle de Camille Chamoux

Sujet de rentrée : la fin de la lecture 

Christophe - Basta cazzate (Extrait de la BO "Les Bétises")

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Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #lecture

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