Publié le 20 Décembre 2009


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On ne va pas si souvent que ça au théâtre. La plupart des fois, sur une invitation de Paulo pour une pièce « qui devrait nous plaire ». Lui qui est passionné par cet art (il y va, il en lit, il en fait pratiquer à des jeunes), ne manque toutefois jamais de dire qu’il y a beaucoup dormi.


Krzysztof Warlikowski, par contre, c’est Darek qui nous l’a fait connaître avec Kroum, d’Hanokh Levin, représentée à l’Odéon à 2007. Un choc. La découverte à la fois d’un texte, d’un auteur et d’un metteur en scène. Tellement fort qu’on en a oublié le surtitrage en polonais. Côté mise en scène, j’avais particulièrement trouvé bluffant l’effet produit par le recours ponctuel à la vidéo projetant en gros plan les acteurs.


Est-ce un trait d’humour ou un stratagème commercial de l’éditeur, le texte d’Hanokh Levin que j’ai acheté en sortant de la représentation, se trouve dans un recueil de pièces qualifiées de « comédies » ? Quand je considère cette pièce, ce n’est pas vraiment le mot qui me vient à l’esprit. De toute façon, si elle avait été une comédie, tu ne l’aurais pas montée cette pièce, n’est-ce pas Krzysztof ? N’as-tu d’ailleurs pas dit que « si on est heureux mieux vaut pique-niquer qu'aller au théâtre ».


Mais jugez-en vous-même sur cet extrait relevé en sortant du spectacle.


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Arrivent en trombe Schibeugen et l’infirmière. Le médecin se penche sur Tougati, se redresse, lui recouvre le visage du drap et se tourne vers Kroum.

 

Kroum.- (comme s’il se défendait) Ne me dites pas que... (Il tente de se dérober) Ne me dites pas que...

 

Schibeugen.- Il est mort. (Kroum s’arrête) Il est mort, il est passé du ressort de la médecine à celui du néant. Cet homme n’est plus rien. Les années où il a grandi, la nourriture qu’il a ingurgitée, les livres qu’il a lus, les médicaments qu’il a avalés, les rêves que son cerveau a tramés, la somme de travail et d’argent dépensée par ceux qui lui ont ouvert la voie, tout, tout cet investissement vient d’être réduit à néant. Et s’il a laissé quelque chose, ça aussi, c’est perdu.

 

Kroum. – Il nous a quand même fait un peu rire.

 

Schibeugen.- Rire ? C’est ça, riez, vous ne perdez rien pour attendre ! Vous aussi, vous sombrerez dans le néant.

 

Entre un infirmier, qui ressort avec le lit de Tougati. L’infirmière le suit. Schibeugen s’apprête à sortir.

 

Kroum.- Docteur. (Schibeugen s’arrête) Excusez-moi, mais vous parlez comme un croque-mort. Vous êtes médecin. Vous devez laisser un espoir, peut-être pas aux morts, mais au moins aux vivants.

 

Schibeugen.- C’est juste. Il vous reste un petit espoir.

 

Kroum.- Vous voyez.

 

Schibeugen.-  L’épuisement.

 

Kroum.- L’épuisement ?

 

Schibeugen.- Oui. C’est le petit espoir qui vous reste. L’épuisement. Ce qui vous guérira, en fin de compte, ce sera une incommensurable lassitude. Vous vieillirez, vous vous étiolerez, et avec la faiblesse viendra le repos. Certes, vous n’aurez pas la force de vous réjouir, mais pas celle non plus de crier, de protester ou de souffrir. Une douce sérénité vous enveloppera. Vous serez calme, calme, juste un petit moignon de vie déchue, repliée sur elle-même et bien ordonnée. Une épaisse couche de cendres recouvrira vos amours passées, présentes, inachevées, inaccessibles, et qui, de toute façon, vous auront renvoyés à votre solitude. Ensuite, doucement, très doucement, sans sursaut ni amertume, vous commencerez un jour à agoniser. Plus rien ne vous intéressera, ni l’agitation ambiante, ni Dieu, ni l’espoir, ni le sens à donner à votre vie. Il vous restera juste assez de force pour tourner vers l’avenir un regard perplexe, un regard qui lui aussi se brouillera peu à peu. Jusqu’à ce que vous mourriez. Oui, misez sur l’épuisement.

 

Théâtre choisi I comédies Hanokh Levin éditions théâtrales Maison Antoine Vitez



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Quand un an plus tard, Darek et Jorge nous proposèrent d’aller voir avec eux son Angels in America de Tony Kushner au Rond-Point, bien qu’on connût déjà bien cette pièce[1], on répondit immédiatement présents.


Qu’allait en faire le metteur en scène polonais et homosexuel ? Ce qui nous avait emballé dans Krum, mais durant 5 heures[2].

Comme on sortait à peine, un brin éprouvé, des 6 heures de  Par dessus bord de Michel Vinaver, mis en scène par Christian Schiaretti, à la Colline, et sans doute aussi parce qu’il ne pouvait y avoir la surprise d’un texte inconnu, la longueur de la pièce modéra notre enthousiasme.

 

Pourtant, quand Darek annonça à sa « liste de diffusion » que Warlikowski proposait une création, (A)pollonia, montage de plusieurs textes à Chaillot, on s’énerva de ne pouvoir obtenir deux places... Jusqu’à ce que Mireille nous propose de nous en fournir deux à un tarif dérisoire. Youpee !

 

[1] NGT/ Angels in America : la pièce, la série TV et l'opéra

[2] On avait vu cette pièce montée par Brigitte Jacques en deux parties en deux fois.




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La pièce sur laquelle je n’avais rien lu auparavant, explore le thème du sacrifice dans plusieurs oeuvres en posant en particulier la question très chrétienne : êtes-vous prêt à mourir pour sauver autrui ? Encore du super léger donc...

 

Décor, lumières, habillage sonore et musique servent à la perfection le sujet, le texte et le jeu d’acteurs excellents. Le travail du cameraman, cette fois-ci en permanence sur scène, et celui de la régie qui renvoie ou non des images en noir et blanc ou en couleur sur la scène, créent un espace scénique extraordinaire, jamais vu, envoutant.

 

Le montage de textes recèle quelques efficaces provocations : le parallèle fait dans un interminable discours entre le massacre des animaux et la Shoah (Elizabeth Costello de Coetzee), ou la comparaison de l’orgasme féminin à celui de l’homme sodomisé (un couple âgé devant nous se leva avant la fin de la tirade pour quitter la salle).

 


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L’extrait traitant d’anatomie-physiologie est tiré des Bienveillantes de Jonathan Littell, m’apprendra Gabriel à l’entracte.

Le corps solide de Partenau recelait peu de surprises ; il jouissait la bouche ouverte en rond, un trou noir ; et sa peau avait une odeur douceâtre, vaguement écœurante, qui m’excitait à la folie. Comment décrire ces sensations à qui ne les a pas connues ? Au début, lorsque ça entre, c’est parfois difficile, surtout si c’est un peu sec. Mais une fois dedans, ah, c’est bon, vous ne pouvez pas imaginer. Le dos se creuse et c’est comme une coulée bleue et lumineuse de plomb fondu qui vous emplit le bassin et remonte lentement la moelle pour vous saisir la tête et l’effacer. Cette effet remarquable serait dû, paraît-il au contact de l’organe pénétrant avec la prostate, ce clitoris du pauvre, qui, chez le pénétré, se trouve tout contre le grand côlon, alors que chez la femme, si mes notions d’anatomie sont exactes, elle s’en trouve séparée par une partie de l’appareil reproducteur, ce qui peut expliquer pourquoi les femmes, en général, semblent si peu goûter la sodomie, ou alors seulement comme un plaisir de tête. Pour les hommes, c’est autre chose ; et je me suis souvent dit que la prostate et la guerre sont les deux dons de Dieu à l’homme pour le dédommager de ne pas être femme.

Pourtant je n’avais pas toujours aimé les garçons. [...]
 



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Et puis, deux heures et demi plus tard au terme desquelles vous vous plaignez déjà des longueurs qui gâchent des instants sublimes, vous découvrez que ce n’est pas la fin de la pièce, mais seulement l’entracte, et qu’il reste encore une heure trente à tirer.

 

Dans la magnifique salle art déco de restauration faisant face à la tour Eiffel illuminée, notre trio avale une nourriture sous plastique aussi insipide que chère, tandis que notre voisin, un vieux monsieur, se plaint auprès de sa compagne de cette manie contemporaine de monter des pièces interminables.



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Qui osera dire à Krzysztof Warlikowski qu’il s’interdit le chef d’œuvre en oubliant le public ? Et puisqu’il a déclaré : "Je n'aime pas beaucoup le théâtre. Je n'y vais jamais en spectateur", le plus grand bien qu’on lui souhaite est d’y retourner un peu.

 

 

Arte.tv/ vidéo entrevue avec KW à propos d'(A)ppolonia
Lefigaro.fr/ Entrevue avec Jonathan Littell à propos des Bienveillantes

 

NGT / Notes polonaises

NGT / Notes polonaises (II)




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Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #spectacle, #vivre, #livres, #culture gay, #sex, #Paris

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