Publié le 1 Mai 2015

Duncan Grant & John Maynard Keynes

Duncan Grant & John Maynard Keynes

Mustang "Le sens des affaires" (2014)

On revit enfin : Le personnel de Radio-France a cessé sa grève. Durant près d'un mois, on a bien essayé d'aller voir ailleurs, mais médiocrité et publicité règnent définitivement en maître partout ailleurs. De guerre lasse, on s'est arrêté sur un pis-aller, RFI, qui nous a rendu incollable sur les élections au Nigeria et l'actualité africaine en général, mais ça nous a rapidement fait suer.

Elisabeth nous a parlé d'Europe 1, de Canteloup qui la faisait bien marrer, de la revue de presse de Natacha Polony (qui me tapait sur les nerfs lorsque je la croisais sur le petit écran). «On n'arrive pas à capter Europe 1, ni RTL, ai-je gémi, nos vieux postes doivent être d'indécrottables gauchistes. »

La grève s'éternisant, je priais chaque jour pour que soit enfin décidé de creuser d'une goutte d'eau le déficit budgétaire et la dette publique : « La qualité, ça n'a pas de prix (pas vrai Mathieu?), le marché ne peut pas en faire ». Gabriel était prêt à tailler dans les effectifs de musiciens, deux orchestres symphoniques, il ne fallait pas exagérer. « Ça ne va pas non ?, lui ai-je dit chaque fois avec un peu de mauvaise foi, les musiciens font un si beau métier qu'ils méritent d'en vivre.»

Qui du danseur, du bretteur et du comédien a le plus beau cul ?

Qui du danseur, du bretteur et du comédien a le plus beau cul ?

Félix Beaupérin joue Michel Baron

Félix Beaupérin joue Michel Baron

Le banquet d'Auteuil de Jean-Marie Besset au théâtre 14 (Paris)

L'économie et la politique sont devenus assommantes à force d'être désespérantes. Chacun d'entre nous a une idée de ce qui serait le mieux pour son portefeuille, mais dès qu'il s'agit d'appréhender la complexité du global et du collectif, il n'y a plus personne ou des « y a qu'à » d'obédience simpliste. Dès lors, il est très tentant de s'en désintéresser mais c'est alors une manière de se retirer du monde, lequel ne manquera pas de se rappeler à nous.

Le nocturne de Frédéric Taddéi « Ce soir (ou jamais) » sur France 2, permet de se frotter à cette complexité, grâce aux questions, relances et reformulations de son animateur qui veille toujours à laisser à chacun le temps d'exposer sa pensée sans être coupé, et bien sûr à la qualité de ses invités. La dernière émission titrait « Le capitalisme mérite-t-il une bonne correction ? » Frédéric Lordon versus l'incontournable Thomas Piketty, avec l'essayiste Guy Sorman comme chantre du tout marché.

Leopardi de Mario Martone avec Elio Germano

Leopardi de Mario Martone avec Elio Germano

Leopardi de Mario Martone avec Elio Germano

L'économie et la politique barbent parce qu'on a l'impression que c'est toujours la même chose, que ça va de mal en pis et que les dés sont pipés. Depuis la crise bancaire et financière de 2008, qui a contraint les États à renflouer les banques, si ces dernières se portent bien, merci pour elles, déficits et dettes publiques ont flambé. L'injonction simultanée de les réduire par des hausses d'impôts, des coupes budgétaires et des privatisations d'actifs publics dans des économies atones n'a pas manqué de produire ce qui était prévisible : une activité encore plus en berne, du chômage qui ne baisse pas ou en hausse avec des déficits qui ne diminuent pas comme ils auraient dû, et des dettes publiques encore plus grosses qu'avant que ne soit administrée la purge, bref des États encore plus affaiblis.

Croyez-vous que ça infléchirait la ligne politique ? Pas du tout, on ne change pas une politique qui perd, TINA, there is no alternative, on n'a pas le choix, disait la fille de l'épicier, la « dame de fer ». En ce moment, on découvre pourtant dans notre pays que la réduction des dépenses de l’État n'a pas d'impact sur son train de vie forcément somptuaire mais sur les collectivités territoriales qui vont devoir réduire leurs interventions notamment dans « la culture, la voirie et l'environnement », trois domaines dont on peut finalement très bien se passer, n'est-ce pas, tout comme d'ailleurs des conservatoires de musique à qui l’État vient de couper les vivres.

Paris Porte de la Villette le tramway longe le canal Saint Denis

Paris Porte de la Villette le tramway longe le canal Saint Denis

En effet, après les augmentations d'impôts, sous la pression de nos partenaires de l'Euroland, même les socialistes ont dû se résoudre à réduire les dépenses publiques. Comme l'écrit si bien un lecteur désabusé de Télérama, « marché de dupes : dans le temps, il y avait un ministre de l'Économie et des Finances. Aujourd'hui, nous avons un ministre de LA finance et DES économies. »

Le ras le bol fiscal est d'autant plus grand que chacun sait désormais que les multinationales, en premier lieu les grandes firmes du numérique, les GAFA, et les riches ne payent pratiquement plus d'impôt grâce à des montages sophistiqués aboutissant dans des paradis fiscaux, fournissant, au passage, à chacun une justification morale délétère de tricher à son tour dès qu'il en a la possibilité.

Actuellement en salle, le documentaire canadien « le prix à payer » d'Harold Crooks, co-écrit avec la fiscaliste québecoise Brigitte Alepin, auteure de « la crise fiscale qui vient », se penche sur les pratiques fiscales "offshore" des géants mondiaux, sujet désormais largement traité sans que cela ne change quoi que ce soit, notamment à l'occasion du récent « Luxleaks » qui aurait dû dans un monde normal gêner un peu plus le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, longtemps premier ministre et aux finances du microscopique Grand Duché du Luxembourg accordant des « tax ruling » aux sociétés étrangères.

« Le prix à payer » d'Harold Crooks, co-écrit avec la fiscaliste québecoise Brigitte Alepin

L'intérêt spécifique du film est d'alerter sur le fait que cette nouvelle donne fiscale a ramené les inégalités de revenus au même niveau qu'au début du XXe siècle. Brigitte Alepin remonte encore plus loin dans le temps : «C’est comme si, 225 ans après la Révolution française, on était revenu au point de départ. A l’époque, le tiers état croulait sous le poids des impôts tandis que la noblesse n’en payait pas. Les classes moyennes et modestes sont le nouveau tiers état paupérisé du XXIe siècle, les multinationales sa nouvelle noblesse.» Cela a pour autre conséquence de priver de moyens l’État-providence déjà déliquescent, avec, comme ultime effet collatéral, le triomphe possible de partis d'extrême droite.

« Le prix à payer » s'annonce aussi comme la fin des démocraties, remplacées par une ploutocratie mondiale dans laquelle « les hommes politiques ne sont plus que des pantins de ce système plus grand qu’eux ».

Et alors on fait quoi maintenant mon Général ? On ne compte surtout pas sur les leçons de morale, la seule solution est d'instaurer de nouvelles règles d'imposition internationales, en premier lieu en Europe (On y croit, on y croit !) « Aux peuples de pousser leurs États à coopérer, écrit Louis Guichard dans Télérama. Le film pourrait faire office de tract, d'une efficacité imparable. »


On n'est pas à un moment où la planète est appauvrie. On est à un moment où le capitalisme a réussi à s'organiser pour ne plus verser sa part au bien public. Fraude et évasion fiscales se comptent en milliards d'euros. Alors, il n'y a plus d'argent dans les caisses. L’État social ne peut pas fonctionner. Si on ne résout pas ce problème-là, les partis nationalistes ne vont cesser de prospérer. C'est la seule façon de dégonfler le FN.

Paul Moreira, réalisateur de "Danse avec le FN" diffusé lundi 20 avril sur Canal+ (dans Télérama)

Petite promenade sur la "petite ceinture" au niveau de Balard (Paris XVe)

Petite promenade sur la "petite ceinture" au niveau de Balard (Paris XVe)

Oui, l'économie et la politique sont devenus exaspérantes à force de toujours en appeler aux « sacrifices nécessaires » sans qu'on ne puisse croire que ça ira mieux. C'est d'ailleurs pour ça, qu'étudiant, j'ai ressenti un immense soulagement après m'être coltiné les deux comiques Malthus et Marx, lorsqu'on m'a présenté John Maynard Keynes.

J'ai à peu près tout oublié depuis mais je me souviens au moins qu'avec lui, fini les remèdes qui tuent le malade des docteurs Diafoirus de l'orthodoxie économique classique ! (pour les plus jeunes, je signale qu'il se fait connaître surtout dans l'entre deux guerres avec la plus grosse crise du capitalisme au milieu)

Le mec voue aux gémonies l'épargne et les rentiers qu'il recommandait d'euthanasier, et fait de la dépense (consommation, investissement et dépenses publiques) le moteur de l'activité et de l'emploi, les revenus générés permettant de rembourser les crédits. Même si je n'en suis pas, les folles du shopping apprécieront.

Si le niveau d'activité et d'emploi résultant des investissements des capitalistes est insuffisant, aux pouvoirs publics d'intervenir par des dépenses publiques et une politique monétaire d'argent bon marché  !

Bref c'est cette pensée mas éjaculacion qué constipacion qui a séduit le jeune homme que j'étais. En plus, la vie de Keynes ressemblait à sa pensée : il savait vivre.

Duncan Grant - peinture sur le mur ouest de la chapelle St Blaise de la cathédrale de Lincoln en Angleterre (1958)

Duncan Grant - peinture sur le mur ouest de la chapelle St Blaise de la cathédrale de Lincoln en Angleterre (1958)

Bernard Maris , assassiné lors de l'attentat de Charlie hebdo, avait consacré un livre à l'homme derrière l'économiste : « un aristocrate amoureux de la vie, qui mettait le théâtre (et l'art en général) au-dessus de tout et dont l'un des rares regrets, à la fin de sa vie, était de ne pas avoir bu assez de champagne! Un homme féru de psychanalyse, dont l'auteur veut montrer qu'elle a joué un rôle déterminant dans sa conception de la monnaie, dans son analyse du comportement des rentiers ou dans sa notion clé de liquidité. (...) »

Quand bien plus tard, j'ai appris que dans son club de Bloomsbury, le truc de Keynes « c'était plus les vestons que les corsets », je succombai définitivement : « May-may, forever ! »

Photo Jean-Daniel Cadinot

Photo Jean-Daniel Cadinot

Mark Ronson - Uptown Funk ft. Bruno Mars

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Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #économie, #politique, #culture gay

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