Publié le 1 Octobre 2016

« Je suis Music »

"Time" de Pachanga Boys, playlist de l'exposition « Electrosound, du lab au dancefloor » à la fondation EDF (Paris)

_ Elle a les cheveux trop noirs et la bouche trop rouge, elle ressemble à un barbecue.
_ La collection était géniale mais elle est devenue vieille en deux jours.
_ Ce sont mes chaussures préférées mais je ne peux pas marcher avec, c'est leur seul défaut.

les tweets de Loïc Prigent

Et une rentrée des classes de plus ! Cette année mes chères têtes brunes ont l’air presque toutes étrangement gentilles, bien élevées et pleines de bonne volonté. Même si c’est seulement pour « 100 jours », je savoure après l’«annus horribilis » que j’ai vécu l’an dernier avec l’une de mes classes, qui, dans un moment d’extrême découragement, me fit renier l’ensemble de ma race après avoir observé l’avenir de celle-ci dans cette foutue promotion (que l’odieux connard me pardonne pour cet emprunt, il témoigne juste de mon admiration pour sa cruelle lucidité qui l’a fait quitter ce boulot de dingue dès qu’il a pu se le permettre).

« Je suis Music »

Ce moment de sérénité relève du miracle car avec des classes à 35-40 étudiants élèves dans des espaces étriqués (le m², faut-il le rappeler, est hors de prix à Paris), il n’est même plus besoin de récupérer un lot de caractériels pour perdre plus ou moins le contrôle de la situation : pas loin de l’unanimité des élèves n’ayant aucune appétence pour la lecture, l’analyse, l’argumentation, la synthèse, l’écriture et le calcul suffit. Je n’évoque même pas les ravages du smartphone sur leur attention et leur fonctions cognitives de haut niveau (comprendre, mémoriser, planifier...). Ni le travail personnel demandé par le professeur, sans lequel aucun apprentissage solide n’est possible, qui n’est qu’exceptionnellement fait, y compris par les rares élèves qui l’ont noté quelque part.

C’est à se demander ce que le bac évalue encore. Il est vrai que tout le monde a le bac désormais, ce qui selon une bonne vieille loi économique a fait chuter sa cote dont témoigne l’inflation de « mentions » concomitante.

Enfin, je dis LE bac, disons plutôt UN bac, histoire de ne pas souligner une hiérarchie de qualité du même ordre que celles que constaterait le premier imbécile à qui l’on demanderait de comparer un dîner au Bristol et au Mac Do.

La folie «Pokemon GO»

Elektro Kif de Bianca Li, musique de Tao Gutierrez

Quoi qu’il en soit, s’il y a une chose qui n’a pas changé, c’est que le bac donne toujours le DROIT d’entamer des études. Je dis entamer car la plupart de ces jeunes sont bien évidemment incapables de réussir un examen à l’université. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils viennent chez nous.

Avec la quasi disparition du redoublement, tous les droits et aucune obligation, ils sont assurés d’être au chaud pendant deux ans et même, pour un nombre croissant d’entre eux, de toucher une bourse. Attention toutefois au très répandu absentéisme « excessif », le lycée risque de leur notifier une menace de suspension de leur subside. Si les absentéistes ont un sou de bon sens, ils se feront oublier quelques temps par leur présentéisme, générateur néanmoins d’autres comportements inappropriés comme s’endormir, consulter son portable, bavarder, etc, qui leur vaudront probablement d’être dérangés par un prof qui voudrait tellement lui, les renvoyer à la case « absents ».

De toute façon, la réussite au diplôme est quasi assurée avec la multiplication des CCF dans les matières professionnelles. Par la suite, ils pourront toujours essayer de trouver une licence professionnelle en alternance, et ensuite, pourquoi pas un Master.

Nul n’est dupe de cette prolifération de diplômes et d’étudiants qui ne doit son existence qu’à la pénurie d’emplois. L’ensemble du système sert avant tout à gérer des flux dans une file d’attente toujours plus longue et avec un rendement toujours plus faible.

 

L’aménagement de la ligne de tram le long des boulevards des maréchaux augmente de manière significative les km de pistes cyclables sécurisées à Paris. Dimanche, avec Gabriel, on a emprunté la section entre la porte de Pantin et l’avenue de France dans le 13e. On s’est délecté de cette ballade presque dépaysante.

L’aménagement de la ligne de tram le long des boulevards des maréchaux augmente de manière significative les km de pistes cyclables sécurisées à Paris. Dimanche, avec Gabriel, on a emprunté la section entre la porte de Pantin et l’avenue de France dans le 13e. On s’est délecté de cette ballade presque dépaysante.

Les Magasins Généraux de Pantin (93)

Dans ma boutique, la majorité d’entre eux arrivent avec un baccalauréat qui porte le mot « gestion » dans son intitulé, et bien tenez-vous bien : la quasi unanimité abhorre les chiffres. Ces pauvres jeunes gens n’y sont pour rien : L’institution à laquelle j’appartiens, déporte consciencieusement vers cette filière tous ceux qui ne maîtrisent pas l’utilisation des quatre opérateurs. Dans un pays où le premier ministre a cru nécessaire de faire une déclaration d’amour aux entreprises et à leurs créateurs, n’est-ce pas un curieux symbole que de continuer à orienter vers la gestion, tous les jeunes qui ne savent pas compter ?

Reste pour couronner le tout, le problème de l’effectif pléthorique des classes. Ce qu’il y a de fou, c’est que nous consentons à ce bourrage de classes afin d’éviter absolument de tomber sous le seuil fatidique des 30 élèves que nous imposent les services financiers du ministère, qui nous ferait perdre l’année suivante les heures de travail en demi-classe, lequel constitue l’unique format adapté pour déployer les fameuses pédagogies innovantes dont on nous rabat les oreilles... et susceptibles de mettre en mouvement les boulets qui nous échoient.

Pour la journée du Patrimoine, BETC ouvrait au public son nouveau siège réalisé sous la conduite de l'architecte Frédéric Jung

Par chance, je continue à avoir pour ces étudiants élèves une certaine tendresse qui me protège de l’aigreur. Il y a tout de même pire comme job que de passer son temps entouré de jeunes gens, surtout quand vous sentez que vous avez gagné leur estime voire leur admiration.

Pour les jours de déprime, je garde ainsi précieusement consignés les messages que certains osent m’envoyer après avoir terminé leur formation. Un de mes préférés est celui que m’a adressé T. dont je pris connaissance dans un motel pourri durant un « road trip » aux États-Unis, et qui terminait ainsi : « je garde un bon souvenir de ses heures de cours interminables que vous arriviez toujours a faire passer avec votre coté barjo incroyable, voila j'ai quasi tout dis surtout ne changez pas et inch'alla on ce re-croisera ! »

Cette année, c’est un petit gars métis originaire d’une grande île détachée du continent africain, tout sourire, arborant une ahurissante « coupe » afro des années 1970, qui m’a fait fondre lorsqu’il m’a demandé comment il pouvait m’envoyer trois reprises de standards de soul music qu’il avait enregistrées : Il voulait partager avec moi quelque chose pour lui très important, de l’ordre de l’intime.

La Touche Française, une websérie en 12 morceaux écrite par Guillaume Fédou et Jean-François Tatin sur Arte creative

J’ai trouvé ses liens d’accès aux fichiers sur ma messagerie en rentrant d’une exposition musicale, à la fondation EDF : « Electrosound, du lab au dancefloor ».

Au rez de chaussée de l’exposition face à un mur d’enceintes, dans une pénombre de lumière noire et de spots de couleurs clignotants, d’un mouvement de doigt sur une platine, j’ai passé en revue un échantillon de l’impressionnante playlist constituée pour cette exposition. À mes côtés, un jeune de moins de trente ans m’avait rejoint. Régulièrement il me demandait de revenir sur un morceau dont il photographiait la pochette vidéo-projetée avec son portable. C’était toujours mes préférés que je connaissais bien, car.... « Je suis Music...»

Cerrone - Je Suis Music (L'Impératrice Remix)

Messe pour le temps présent de Pierre Henri - Grand Remix - CNDC - reprise du ballet de Maurice Béjart (1967)

« Je suis Music »

"Guibord s'en va-t-en guerre" de Philippe Falardeau

"Victoria" de Justine Triet

Snap vs Punjabi MC - The Power

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Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #trépalium, #musique, #intergénérationnel

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