Les origines de l'amour

Publié le 31 Août 2006

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Ça manque de mecs !
8/10/01
 

C’est effarant le nombre de nanas qui sont sans mec et qui en cherche un ! Pas seulement des femmes de 50 ans larguées par leur mari pour convoler avec une petite jeune, à tout âge, nous connaissons des femmes seules qui galèrent pour trouver un mec.

Par son ampleur, le phénomène est devenu sociologique : les magazines féminins traitent régulièrement de cette rareté, « le journal de Bridget Jones » a fait un malheur planétaire et son adaptation cinématographique qui arrive sur nos écrans en fera probablement de même. Dans la mesure où statistiquement il n’y a pas de raison qu’il y ait dans ces âges beaucoup plus de nanas que de mecs (à vérifier), même si on importe « à tout va » des étrangères mais probablement tout autant d’étrangers célibataires), se pose la question des origines de la solitude des femmes.

Il a souvent été question des effets de la « libération des femmes » qui auraient rendu les rapports homme-femme beaucoup plus difficiles pour des hommes fonctionnant encore en majorité sur des schémas très machistes. A plusieurs reprises, je me suis étonné que personne ne fasse le rapprochement entre ce phénomène et le processus en cours de normalisation d’une vie homosexuelle masculine. Pour me demander dans la foulée si après tout, l’interdit de l’homosexualité depuis toujours, ne comportait pas une utilité sociale. De façon tout aussi réactionnaire et irresponsable, je me suis aussi demandé si le mariage social « arrangé » n’était pas préférable à un tel résultat.

Frédéric Monneyron, anthropologue et sociologue travaillant sur le rôle du vêtement et de la mode, fait allusion à ces questions dans Libération (1 et 2/9/01). Il y décrypte notamment la tendance à rendre apparent les sous-vêtements comme symptomatique d’une société qui a finalement peur du désir. 

« Le désir est devenu dangereux. Non seulement à cause du sida, mais aussi en raison de la méfiance qui s’est installée entre les sexes, très visible dans la classe d’âge allant de 20 à 35 ans. Aujourd’hui, 70% des étudiants sont des étudiantes ; ce sont donc les femmes qui, très majoritairement, ont les diplômes ; mais malgré tout, les représentations du couple sont restées assez traditionnelles : les jeunes femmes recherchent pour conjoint ou compagnon un homme qui a au moins le même niveau culturel qu’elles. Cela crée un écart impossible à combler et dans cette classe d’âge, il y a donc 4 femmes pour un homme. D’un autre côté, le féminisme a eu pour effet d’amener à percevoir le désir masculin comme agressif, si bien qu’aujourd’hui non seulement aucun homme ne se risquera plus à siffler une femme dans la rue mais tout simplement à manifester son désir. Ces phénomènes ont engendré cette méfiance réciproque entre les sexes qui évacue tout désir… Et le soutien-gorge apparent, c’est le désir qui n’existe plus… La seule sphère dans laquelle le désir existe encore, c’est sans doute celle de l’homosexualité ; l’érotisme contemporain est passé par là… »
 
Les origines de l’amour

Dans le « musical » « Hedwig and the angry inch », Hedwig n’est plus un homme mais n’est pas pour autant une femme : le chirurgien a raté à moitié l’opération que lui a demandé son amant GI noir pour l’épouser ; il lui reste entre les jambes un vestige de sa masculinité passé, ce « inch » qui l’a installé à la frontière floue des deux sexes, pas si loin des androgynes dont il est question dans une de ses chansons : « les origines de l’amour ».

hedwig.jpgCette chanson raconte une belle histoire joliment illustrée par une séquence d’animation ; je l’avais déjà entendue ou lue. J.C. Loiseau de Télérama m’a mis sur la piste de Platon, Gabriel sur celle du « Banquet », Google l’a confirmé en me signalant un site de médecins qui au sujet de l’homosexualité et « des possibilités de s’en défaire » (sic), évoquait « le mythe des androgynes » sans toutefois me donner le texte d’origine.

Ce matin, je me suis souvenu du « Petit traité des grandes vertus » de A. Comte-Sponville, chapitre « l’amour ». Ce mythe est raconté dans le discours d’Aristophane « qui est le seul que le grand public retienne, pour en célébrer presque toujours la profondeur, la poésie, la vérité… (…) Aristophane nous dit exactement, sur l’amour, ce que nous voudrions tous croire. 

« Jadis, explique-t-il, notre nature n’était pas ce qu’elle est à présent, elle était bien différente. » Nos ancêtres, en effet, étaient doubles, du moins si on les compare à ce que nous sommes et d’une unité pourtant parfaite, qui nous fait défaut : « chaque homme constituait un tout, de forme sphérique, avec un dos et des flancs arrondis ; ils avaient quatre mains, autant de jambes, deux visages tout à fait pareils sur un cou parfaitement rond, mais une tête unique pour l’ensemble de ces deux visages opposés l’un à l’autre ; ils avaient quatre oreilles, deux organes de la génération, et tout le reste à l’avenant. » 
Cette dualité génitale, spécialement, explique qu’il y eût alors non pas deux mais trois genres dans l’espèce humaine : les mâles, qui avaient deux sexes d’homme, les femelles, qui avaient deux sexes de femme, et les androgynes, qui portaient, comme leur nom l’indique, l’un et l’autre sexes. 
Le mâle explique Aristophane était né du Soleil, la femelle de la Terre, l’espèce mixte de la Lune, qui participe de l’un et de l’autre. Ils étaient tous d’une force et d’une vaillance exceptionnelles, au point qu’ils tentèrent d’escalader le ciel pour combattre les dieux. 
Zeus, pour les punir, décide alors de les couper en deux, de haut en bas, comme on coupe un œuf. C’en était fini de la complétude de l’unité, du bonheur ! 

Chacun depuis en est réduit à chercher sa moitié, comme on dit, et c’est une expression qu’il faut ici prendre à la lettre : jadis, « nous formions un tout complet (…), jadis nous étions un » ; mais nous voilà « séparés d’avec nous mêmes », n’ayant de cesse de retrouver ce tout que nous étions. Cette recherche, ce désir, c’est ce qu’on appelle l’amour, et la condition, quand il est satisfait, du bonheur. Seul l’amour en effet « recompose l’antique nature, s’efforçant de fondre deux êtres en un seul et de guérir la nature humaine ». On comprend que l’on sera homosexuel ou hétérosexuel selon que l’unité perdue était entièrement homme ou femme (homosexualité masculine ou féminine) ou bien, au contraire, androgyne (hétérosexualité). (…)

Le mythe d’Aristophane donne ainsi raison à l’idéal de l’Amour avec un grand A, le grand amour pour la vie, fusionnel, total, définitif, exclusif, absolu…
Sceptique, Platon laisse ensuite la parole à Socrate qui va dire « la vérité sur Eros » qu’il tient d’une femme, Diotime. L’amour est désir et le désir est manque. Or un manque satisfait disparaît avec sa satisfaction (…) ; le désir s’abolit dans sa satisfaction. (…) De là la grande souffrance de l’amour, tant que le manque domine. Et la grande tristesse des couples, quand il ne domine plus… 

Il semble qu’il y ait des issues à ce blème, vous trouverez des pistes dans l’ouvrage p. 308 et suivantes.
 
1-2-3 soleil

23/10/01


Au Monoprix, il y avait au rayon poissonnerie un jeune beur qui, chaque fois que nous nous croisions, me gratifiait d’un magnifique bonjour ensoleillé. Ces sourires m’étaient d’autant plus énigmatiques que je n’achetais jamais du poisson. « A-t-il repéré chez moi quelque chose qui peut lui faire penser que cette cordialité m’amènera à acheter tous les jours du poisson ? » me demandais-je. Après un temps d’étonnement, j’avais finalement reconnu le jeune garçon qui habitait avec sa famille en face de chez nous rue Vicq d’Azir. 

A cette époque, jamais nos regards ne s’étaient croisés. La discrétion probablement qui sied aux gens qui n’ont pas choisi de vivre aux yeux de leurs voisins. 
Dans cette petite pièce à peine voilée par les rideaux, il vivait avec son père, un homme âgé, musulman que j’ai pu apercevoir faire sa prière à plusieurs reprises, sa mère semblable à toute les femmes d’un certain âge du Magreb, sa sœur aînée enfin, plutôt masculine et ayant tendance à s’arrondir des hanches, avec laquelle il lui arrivait de chahuter. 
Souvent son torse nu se dessinait derrière les voilages, le torse d’un adolescent, long, mince, sec. Dans la rue, il marchait d’un pas énergique toujours habillé de noir. Il ne paraissait pas commode et je ne me souviens pas de lui avoir vu une seule fois le beau sourire qu’il arbore désormais. 
Un autre garçon pas mal faisait parfois une apparition. Un grand frère ?

Il y a un an, je me décidai que le poisson serait sur la table ce week-end. Je me fais confirmer Vicq d’Azir mais il me demanda aussitôt si je retournais en Tunisie. ? ? ? « Nous étions dans le même avion que vous et votre groupe de jeunes».  C’était en mars 1999. Il a de la famille à Tunis et à Djerba.

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Lui aussi m’avait donc regardé vivre, NOUS avait donc regardé vivre. Depuis combien de temps ? 
En février 1994, il a peut-être entendu Amina Fahret que j’avais rapporté de Djerba pour mes retrouvailles avec François avec qui j’avais fait l’amour pour la 1ère fois le jour de mon 1er voyage pour la Tunisie. Nous avions écouté cette chanteuse à fond avec pour seule lumière des bougies. Ça n’avait pas l’air de le gêner, ces deux hommes qui vivaient ensemble. Au contraire ?

Enigmatique… Il est vraiment d’un abord charmant. Pas cet accent de rue, une très bonne expression, enjoué.

Bref, en janvier 2001, le Monoprix Secrétan avait perdu son seul attrait : Ali avait disparu (je l’ai probablement appelé Ali par erreur après avoir entendu des caissières parler d’Ali ; depuis je suis sûr que le caissier au type tamoul porte ce prénom).
 
Aujourd’hui, il faisait beau, même sous la station Jaurès. Je m’avançais vers la volée d’escalier conduisant aux quais du métro. Mon regard est attiré vers le haut, j’ai crû reconnaître une tête connue. C’est Ali qui tourne son regard vers moi. Nous nous gratifions mutuellement d’un salut de tête accompagné d’un sourire. Une rame s’approche, j’escalade 4 par 4 les marches, je me précipite derrière lui dans la 1ère rame, il me laisse le passage. Il avance sa main que je serre.

« Alors, Monoprix, c’est fini ? Vous avez repris une formation (montrant le cartable)
-         Ah oui, bien fini. Je suis en topographie….
-         En Alternance, en contrat de qualification ?
-         Oui sur 2 ans
-         Vous êtes tombé sur un bon tuteur ?
-         C’est pas ça, c’est une petite boite, je fais pas souvent ce que je devrais.
-         C’est hélas fréquent.
-         Quel rythme d’alternance ? Combien de jours l’école ?
-         2 semaines l’entreprise, une semaine d’école. Vous êtes toujours là-bas ?
-         Oui et vous ? Rue Vicq d’Azir ?
-         Non on a bougé on est dans le 19e maintenant. Je dois descendre. (Colonel Fabien)

Un temps d'arrêt.

Lui : « - ça m’a fait plaisir de vous rencontrer.
Moi : - moi aussi… »
Hors de la rame : « vous êtes retournés en Tunisie ? 
-         Heu, oui à Pâques dernier. Au revoir ?
-         Au revoir. »
Charmant. Qu’est-ce qui l’amène à l’être avec moi ? Enigme.

Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #culture gay, #ciné-séries, #avec un grand A, #mâlitude,, #XX, #livres, #vivre ensemble

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