trepalium

Publié le 26 Mai 2023

Deux jours sans élèves le plongeaient dans le désœuvrement. Par bonheur, on arrivait promptement au dimanche. Pour se désennuyer, il se promenait dans le parc de Procé ou au jardin des plantes. Pour la première fois de sa vie, il se mit à regarder avec envie les couples accompagnés par des enfants et des adolescents : ces derniers n'étaient-ils pas d'abord des élèves ? En grattant le vernis du sale môme qui jouait au football se trouvait, certainement un apprenant que ses parents, s'ils le souhaitaient, avait le droit d'interroger et de mettre en activité pédagogique.

Patrice Jean "Rééducation Nationale"

VALIE EXPORT, Aus der mappe der hundigkeit (document sur la chiennerie), performance, 1968
VALIE EXPORT, Aus der Mappe der Hundigkeit (document sur la chiennerie), performance, 1968 - vu au Belvédère à Wien

 

On vit vraiment une époque formidable. Une publication du ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse titrée « Filles et garçons sur le chemin de l'égalité. De l'école à l'enseignement supérieur » pour l’année 2022 constate que les filles réussissent toujours mieux à l’école que les garçons (une infographie éloquente atteste sans ambiguïté d’un problème d’égalité au détriment des garçons sur toute la scolarité), pour aussitôt se focaliser sur la place toujours insuffisante des filles dans les disciplines scientifiques en lycée et par voie de conséquence dans les métiers de l’ingénierie et du numérique, et dérouler ensuite le plan de bataille contre cette injustice qui leur serait faite.

L’esprit du temps fait que l’aberration des préoccupations de ce document censé parler d’égalité filles-garçons n’a manifestement gêné personne. L’institution aurait-elle renoncé à corriger cette inégalité parce que le problème ne date pas d’hier ?

En effet, il y a déjà trente ans, en 1992, à la suite de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, les sociologues de l’éducation Christian Baudelot et Roger Establet, pourfendeurs des inégalités à l’école, publiaient leur ouvrage « Allez les filles ! » qui analysait « un fait social irrésistible et un défi incontournable » : « la percée des filles ». Aujourd’hui, un livre «Tant pis pour vous, les garçons !» reste encore à écrire.

 

Affiche dans les rue de Wien - Mai 2023
Affiche dans les rue de Wien - Mai 2023

 

Inégalité d’accès à l’enseignement supérieur : partout en Occident, les filles sont plus nombreuses que les garçons

Il y a longtemps que je voulais faire un point sur le fait que les garçons réussissent moins bien à l’école que les filles. Une affiche aperçue à plusieurs reprises dans les rues de Vienne en Autriche a mis un terme à ma procrastination.

L’annonceur est l'Association des étudiants socialistes d'Autriche (VSStÖ). Cette dernière met en avant, par une photo qui couvre l’affiche, sa candidate pour Vienne, en tête de liste pour les élections des représentants des étudiants au sein de l’Union nationale autrichienne des étudiants (ÖH). Derrière la jeune fille, cinq étudiantes. En scrutant plus attentivement l’affiche, on distingue au 3e plan, un étudiant avec une barbiche. Autrement dit, les garçons ont carrément été effacés de cette représentation de la jeunesse étudiante viennoise.

Choix malheureux ou représentatif de garçons mis en minorité à l’université ?

« Les deux mon général ». Dans tous les pays occidentaux, on observe une inversion des inégalités entre les sexes dans l’enseignement supérieur. En effet, depuis le milieu des années 1990, les filles sont plus nombreuses que les garçons à suivre des études supérieures, notamment aux États-Unis où, d’après une enquête de Bloomberg publiée en mars 2018, elles composent 60% des étudiants inscrits en licence. En Europe, il en va de même, en France par exemple, le taux de scolarisation des filles dans le supérieur dépasse désormais celui des garçons à tous les âges. Ainsi, en 2020‑2021, à 18 ans, 55 % des femmes sont inscrites dans le supérieur, contre 44 % des hommes. Plus de la moitié (54 %) des jeunes femmes sont diplômées de l'enseignement supérieur contre à peine 43 % des jeunes hommes. 31% des femmes sortent diplômées d’un master et plus (doctorat, diplôme d’écoles d’ingénieur ou de commerce) contre 21% des hommes.

Corrélativement, depuis 2007, le chômage des jeunes actifs est plus élevé chez les hommes que chez les femmes.

 

Mária Švarbová Girl Power
Mária Švarbová Girl Power - découverte au Danubiana Meulensteen Art Museum

 

Échec scolaire : l’injustice faite aux garçons

En fait, l’inégalité d’accès à l’enseignement supérieur provient mécaniquement de l’injustice faite aux garçons en amont dans le système scolaire. En effet, depuis une trentaine d’année, l’écart se creuse entre les filles et les garçons. Ils sont plus nombreux à quitter précocement l’école (10 %, contre 6 % des filles), ils obtiennent moins le baccalauréat (75 %, contre 84 %), où leur taux de mention est moins élevé toutes filières confondues, ce qui signifie que leur part parmi les excellents élèves est plus faible.

La moindre réussite des garçons est précoce : les filles sont meilleures à tous les niveaux du cursus primaire et secondaire ; 53 % d'entre elles arrivent en seconde à 15 ans contre 47 % des garçons qui, d'une manière générale, redoublent davantage (elles sont 91 % à réussir le brevet à la sortie du collège, versus 85 % pour les garçons).

Dès le CP, les filles sont meilleures dans les compétences langagières (compréhension et expression orale et écrite) qui sont des compétences de bases pour tous les enseignements. Seul bémol, elles sont un peu à la traîne des garçons pour leurs notes en mathématiques, selon l'enquête internationale PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), ce qui explique en partie leur moindre présence dans les filières scientifiques (mathématiques, sciences et écoles d'ingénieurs).

Plutôt que d’essayer exclusivement de pousser les filles vers ces domaines scientifiques où elles sont toujours sous-représentées, ne pourrait-on pas également essayer d’agir sur l’inégalité subie par les garçons ?

Pour ce faire, de quelles hypothèses de causes dispose-t-on, si l’on considère, comme Catherine Vidal, neurobiologiste, que « les capacités biologiques cérébrales sont identiques pour les deux sexes, et que garçons et filles ont les mêmes aptitudes » ?

Si la littérature concernant les inégalités dont seraient victimes les filles abonde, même en utilisant Google Scholar et en multipliant les mots-clés de requête, je ne suis pas parvenu à trouver sur le web une méta-étude ou mieux, son compte-rendu sur les causes de cette moindre performance des garçons. Les sources les plus récentes remontent à 2016 voire 2017. L’article « le plus conséquent » trouvé a été publié dans un Science et Vie de 2016, titré « Échec scolaire : l’injustice faite aux garçons », et signé Elsa Abdoun se présentant aujourd’hui sur son Linkedin comme « Journaliste santé, science et alimentation », une émission sur France Inter de la même année, ainsi que ça et là en creux d’articles sur la réussite des filles, quelques considérations imprécises et rarement étayées par des études. A ce corpus, j’ai rajouté le court essai « les hommes sont-ils obsolètes ? » que Laetitia Strauch-Bonart a publié en 2018.

 

Infographie réussite scolaire et universitaire selon les sexes en 2022 -DEPP
Infographie réussite scolaire et universitaire selon les sexes en 2022 -DEPP

 

La variable sexe déterminante de la réussite scolaire ? Ou l’origine sociale ?

Si la France fait partie des pays affichant de hautes performances scolaires, c’est aussi un des pays les plus inégalitaires de l’OCDE. Les élèves peu performants viennent le plus souvent des familles modestes : 35% des élèves défavorisés ont de mauvais résultats, contre 7% des élèves favorisés. Aux tests PISA, les lycées professionnels, vers lesquels sont orientés les jeunes ayant éprouvé des difficultés dans leur scolarité antérieure et majoritairement issus de milieux plutôt défavorisés, affichent des résultats inférieurs de 100 points aux lycées généraux et technologiques.

Une première question m’est donc venue : observe-t-on la contreperformance des garçons dans toutes les classes sociales ? Autrement dit, la variable sexe est-elle vraiment la plus déterminante de la réussite scolaire ?

Pour Jean-Louis Auduc, agrégé d’histoire, ancien directeur de l’IUFM de Créteil, « les différences de réussite filles/garçons touchent tous les milieux sociaux, à toutes les étapes de la scolarité. » Au contraire, la sociologue de l’éducation Johanna Dagorn, qui cite sa consœur l’incontournable Marie Duru-Bellat : « l’ampleur des écarts de réussite entre les sexes est nettement moindre que celui qui oppose les enfants en fonction de leur niveau social. » Dans ses travaux de recherche, elle a observé que les garçons sont massivement exclus et punis, mais ce sont tous des garçons issus de milieux modestes qui sont très éloignés de la culture légitimée par l’école, et « particulièrement soumis à des stéréotypes liés au genre influant leur comportement et jouant en leur défaveur à l’école. »

A cet égard, Jean-Louis Auduc dans son dernier ouvrage Ecole : la fracture sexuée - Le sexe faible à l'école : les garçons ! Comment éviter qu'ils échouent… (édition Fabert 2016), ne nie pas la dimension sociale et ethnique de l’échec des garçons. On peut y lire qu’il y a deux garçons en décrochage scolaire pour une fille, mais trois garçons pour une fille chez les élèves issus de l’immigration maghrébine. Toutefois, « les enfants des classes sociales supérieures qui échouent à l’école ne sont quasiment que des garçons, alors que les élèves des classes défavorisées qui réussissent sont surtout des filles. Parmi les élèves issus de la première génération d’immigrés, 28 % des garçons sortent du cursus scolaire sans diplôme, contre 9 % des filles. Chez les élèves n’ayant aucun parent immigré, ces chiffres sont de 9 % pour les garçons, et 5 % pour les filles » (Le Monde du 18 mars 2018). Un autre article de janvier 2016, qui s’appuyait sur les résultats de l’enquête "Trajectoires et origine" (TeO) de l’INED, faisait déjà ce constat en précisant que les parents de ces élèves de la cohorte étaient originaires d’Afrique subsaharienne, du Maghreb ou de Turquie.

 

Le paradis réalisé par Zeno Graton, coécrit avec Clara Bourreau, avec Khalil Gharbia, Julien De Saint-Jean

 

Conséquence de la féminisation massive des professions intervenant autour de l’enfance et de l’adolescence ?

Bien que controversée, il est permis de se demander si la féminisation des enseignants ne serait pas une cause de la sous-performance des garçons. En effet, en France par exemple, les femmes constituent 70 % du personnel enseignant rémunéré par l’éducation nationale, public et privé confondus. 82 % des enseignants dans le primaire sont des femmes, et environ 60 % au collège et au lycée.

Pour Jean-Louis Auduc, cela pourrait être gérable si on n’était pas en présence d’une féminisation massive des professions qui interviennent autour de l’enfance et de l’adolescence, comme celle qui sont en prise avec le quotidien de la population : « aujourd’hui l’enseignante est une femme, la Principale est une femme, l’infirmière est une femme, la conseillère d’éducation est une femme, le juge est une femme…. ça veut dire que les garçons n’ont plus comme identificateurs positifs pour se construire que des footballeurs, des chanteurs ou des comédiens qui n’ont pas réussi à l’école. » A cela je me permets de rajouter le nombre croissant des garçons élevés principalement ou exclusivement par leur mère (un enfant sur quatre en 2020 vit dans une famille monoparentale le plus souvent avec sa mère, 21 % en 2018).

Déjà en 2011, le pédopsychiatre Stéphane Clerget affirmait que l'école n'était plus adaptée aux garçons principalement pour cette raison : « les garçons ont du mal à s'identifier à des «sujets supposés savoir» féminins (expression lacanienne désignant qui sait et qui transmet le savoir). D'autant qu'à la maison, ce sont les mères qui s'occupent des devoirs la plupart du temps. »

Selon Sulema, enseignante en CP, « pour les enfants, la maîtresse est une mère bis. Les garçons élevés dans des cultures machistes ont du mal à respecter son autorité. Et comme l'école, c'est "un truc de femmes" [...] on comprend que certains petits mâles pensent ne rien avoir à y faire.»

Dans son essai « les hommes sont-ils obsolètes ? », Laetitia Strauss-Bonart signale que d’autres experts aux États-Unis comme en Europe (qu’elle ne nomme pas), concluent que la féminisation du personnel enseignant, en croissance dans les dernières décennies, est inadaptée aux besoins masculins. Un article de l’Actualité en 2015, cite par exemple une vaste étude de Thomas S. Dee publiée en 2007, qui mettait en évidence que les garçons comme les filles réussissaient moins dans les matières qui leur étaient enseignées par un professeur du sexe opposé.

Lætitia Strauch-Bonart préfère s’intéresser au fait que l’ancien journaliste de l’éducation Richard Whitmire, dit ne pas être convaincu par le caractère explicatif de ce facteur dans son ouvrage devenu célèbre sur l’échec scolaire des garçons « Why boys fail » (2011). En revanche, Richard Whitmire cible une féminisation manifeste, celle des livres donnés à lire aux enfants à l’école, qui seraient plus adaptés aux filles qu’aux garçons.

 

Gotthard Schuh mineur Winterslag  Belgique 1937 - Collection Marin Karmitz à la Maison Rouge - Paris
Gotthard Schuh mineur Winterslag Belgique 1937 - Collection Marin Karmitz à la Maison Rouge - Paris

 

Le paradigme explicatif du poids des stéréotypes liés au genre l’emporterait sur les différences biologiques

Demandez à professeur ou à un élève pourquoi les filles sont en général meilleures, il vous sera répondu sans hésitation : « parce qu’elles travaillent et qu’elles sont plus disciplinées». En termes académiques, les chercheurs diront que «les filles sont plus adaptées aux normes scolaires », mais aussi plus motivées : elles aiment l’école et veulent faire des études. Ainsi, en France, 38% des garçons disaient s'ennuyer à l'école (laquelle?), contre 29% des filles (chiffre donné dans un Nouvel Obs de 2013, et déjà cité dans un article de Sciences Humaines de 2003 ?!).

Dans l’article de Science et Vie de 2016, « Échec scolaire : l’injustice faite aux garçons », son autrice mentionne que de très nombreuses études montrent que les différences biologiques innées (génétiques, hormonales, anatomiques) pourraient expliquer en partie les différences d’attitudes et de comportements entre filles et garçons, et par là, la moindre réussite scolaire des garçons. Ainsi, certains travaux « ont par exemple mis en évidence un comportement plus agité chez les filles qui ont été exposées à un excès de testostérone durant leur développement fœtal. Des chercheurs de l’Institut national américain de la santé mentale ont quant à eux démontré en 2010, sur la base d’IRM passées par 284 individus âgés de 9 à 22 ans, que certaines zones du cerveau des adolescents ne « mûrissent » pas à la même vitesse chez les filles et les garçons. En particulier, des zones cérébrales impliquées dans le contrôle de soi, la planification et la prise de décision, comme le cortex cingulaire antérieur, sont chez les garçons les dernières, durant le développement, à atteindre une épaisseur proche de celles des filles. Une étude slovaque, enfin, a récemment montré que la testostérone pouvait être impliquée dans certaines formes d’hyperactivité qui touchent quatre fois plus les garçons. »

Sans surprise, les sociologues de l’éducation réfutent l’idée d’une influence biologique sur les écarts de réussite scolaire entre les sexes, ou alors la prédisent minime, avec un argument de poids qui est la variabilité des écarts de réussite observés, même si la tendance reste en faveur des filles. Comme nous l’avons déjà dit, selon eux, rien ne serait plus faux que de parler des garçons comme d’un groupe homogène, les écarts de performances seraient bien plus marqués par l’origine sociale que par le sexe.

Ces garçons issus de milieux modestes, seraient davantage soumis que les autres aux stéréotypes liés au genre qui pèsent notamment sur leurs résultats, leur orientation scolaire, et leur choix de vie, ce que l’historienne Lucile Peytavin appelle "le coût de la virilité".

Ainsi, de par leur éducation, mais aussi les stéréotypes véhiculés dans les jeux vidéos, les films, la musique qu’ils écoutent, les garçons seraient davantage incités à l’exploration, à l’indépendance, à la transgression et à l’affirmation de soi, tandis que les filles seraient éduquées à la docilité. Autrement dit, comme l’écrivent les sociologues Baudelot et Establet (1992), "La culture offerte aux garçons met l'accent sur l'héroïsme, la violence et la démonstration de force : toutes valeurs qui les dotent d'un arsenal antiscolaire".

 

Close (extrait) : film de Lukas Dhont, avec Eden Dambrine, Gustav De Waele, Léa Drucker, Emilie Dequenne

 

A l’âge de « l’explosion » hormonale de la puberté des garçons et de la quête d’identité de l’adolescence, on peut observer chez eux une image très dévalorisée du travail scolaire : « leur virilité est, en quelque sorte, incompatible avec la « soumission » aux exigences de l’école. Prendre le travail scolaire au sérieux, c’est passer pour une « mauviette », aller parler au professeur à la fin du cours, c’est être un « bouffon » et aimer la poésie, c’est s’exposer à un harcèlement aux conséquences parfois dramatiques. » (Meirieu Philippe, 2013)

C’est ainsi qu’au collège, les garçons représentent entre 75,7% et 84,2% des enfants ayant reçu une punition ou une sanction disciplinaire. Ils sont aussi 97,6% des élèves sanctionnés pour “violence sur autrui” (Lucile Peytavin, 2021).

En 2011, Sylvie Ayral, auteure de « la fabrique des garçons » affirmait elle aussi que les punitions étaient pour ces garçons les trophées d’un rite initiatique, dont l’effet pervers serait de renforcer une virilité cliché et de perpétuer les stéréotypes.

Peut-être, mais ne convient-il pas de vérifier qu’avec cette interprétation, on ne confond pas le symptôme avec la maladie, sans se préoccuper de sa cause : la turbulence de ces garçons n’est-elle pas une réaction, pour le coup plutôt saine, à l’humiliation subie en raison de leurs difficultés scolaires, parce qu’ils n’ont pas acquis en école primaire les compétences de base de littératie, indispensables pour réussir  à l’école ?

Car enfin, aujourd’hui, il est permis de penser que les attentes parentales de réussite scolaire sont désormais identiques pour les fils et les filles, et que pour ces garçons être un cancre constitue pour eux une honte et une grande souffrance.

 

 

 

Des pistes de lutte contre l’inégalité des chances des garçons ?

Le pétard mouillé des ABCD de l’égalité

La piste de remédiation consistant à rééduquer les garçons par la "déconstruction" à l’école des stéréotypes filles-garçons et les préjugés qu’ils véhiculent, a été mise en œuvre en France de manière expérimentale à la rentrée 2013 dans l’enseignement primaire sous le nom des « ABCD de l’égalité », mais abandonnés en 2015 après la violente polémique autour du genre qu’elle a provoquée. Pour sa part, Jean-Louis Auduc, de nouveau lui, décidément bien seul, a regretté un dispositif ABCD militant conçu exclusivement à l’avantage des filles, sans aucune considération pour l’échec scolaire précoce et massif des garçons et leur avenir professionnel.

Déféminiser la profession d’enseignant ?

Selon Richard Reeves, auteur d’un ouvrage publié en 2022 "Of Boys and Men" (« Des garçons et des hommes »), dans lequel il s'alarme des difficultés croissantes d'une fraction des jeunes hommes en matière d'éducation, de travail ou de vie familiale, en ce qui concerne l’éducation, il préconise d’inciter les hommes à devenir enseignant. N’ayant pas lu son livre, je ne sais s’il fait des propositions pour y parvenir, car avec la pénurie de candidats aux concours de recrutement dans l’éducation nationale qu’on connaît dans notre pays, et le fait que la féminisation d’une profession tend à faire fuir les hommes, je ne vois pas trop comment faire revenir ces derniers à l’école. Afficher un objectif de parité volontariste avec une augmentation significative des traitements, (forcément pour les deux sexes), suffira-t-il à les faire revenir ? Il est permis d’en douter. Les payer durant leurs études contre un engagement minimum décennal, à l’instar de ce que bénéficient les normaliens ? Là encore, ne le faire que pour les jeunes hommes serait discriminatoire ? Proposer une voie d’accès plus rapide à des hommes voulant se reconvertir ? Discriminatoire. D’un autre côté, ces mesures en faveur des hommes ne pourraient-elles pas relever de la « discrimination positive » (« affirmative action »)  ?

Même si des études solides confirmaient que les élèves en difficulté réussissent mieux avec un professeur de leur sexe, remasculiniser le corps enseignant s’annonce coton.

 

Alfred Courmes Escadron d’amazones au repos (détail) 1976
Alfred Courmes Escadron d’amazones au repos (détail) 1976

 

Priorité aux savoirs fondamentaux avant le collège

En revanche, on peut considérer que toutes les initiatives dans l’enseignement primaire visant à aider les élèves en difficulté le plus tôt possible, sont de nature à lutter contre l’injustice faite aux garçons puisqu’ils sont majoritairement concernés. Politiquement, l’approche asexuée des élèves obtient l’unanimité, c’est pourquoi suite aux enquêtes nationales et internationales faisant état des faiblesses des résultats scolaires des jeunes Français, depuis vingt ans, les ministres de l’éducation ont lancé les uns après les autres des plans axés sur les savoirs fondamentaux devant être acquis avant le collège, notamment les compétences langagières (compréhension et expression orale et écrite) mais aussi les compétences de calcul et de résolution de problèmes, qui sont indispensables pour suivre les cours de l’enseignement secondaire. Il n’en demeure pas moins que les résultats de l'étude internationale PIRLS continue de placer le niveau des élèves français en dessous de la moyenne européenne, tant pour la compréhension de l’écrit que pour la lecture.

Le dédoublement des classes de CP et de CE1 en zone d’éducation prioritaire (ZEP), dans la limite de 12 élèves par classe, voulu par Emmanuel Macron va aussi dans le bon sens, même si les résultats se révèlent au bout de 5 ans en demi-teinte, en raison de l’indigence des moyens en professeurs et en salles de classe.

Concernant la lecture, de nombreux experts conseillent aux enseignants de donner aux garçons des livres susceptibles de leur plaire : histoires mettant en scène des garçons et célébrant des « valeurs masculines positives », bandes dessinées, ouvrages illustrés, aux dépens des romans habituellement étudiés.

 

Mario Cattaneo Napoli vicolo - années 1950
Mario Cattaneo Napoli vicolo - années 1950

 

Des mesures spécifiques pour les garçons ?

En outre, d’après Richard Whitmire, certains d’entre eux s’appuyant sur les différences biologiques et de développement des garçons, recommandent pour eux un enseignement différent, de retarder l’apprentissage de la lecture au CP, de préférer la méthode d’apprentissage syllabique plus adaptée pour les garçons, de rallonger la journée d’école pour y inclure des sports d’équipes non mixtes, où les garçons peuvent dépenser leur énergie et canaliser leur penchant compétitif. « Certains recommandent même un enseignement plus actif et concret pour les garçons, où ceux-ci sont incités à bouger et à marcher dans la classe et à y faire des travaux manuels.

Enfin, certains préconisent même de séparer les sexes pour certains cours, afin de répondre aux besoins de différenciation (par exemple, ralentir l’enseignement de la lecture avec les garçons).

 

Affiche coréenne du film Les misérables de Ladj Ly
Affiche coréenne du film Les misérables de Ladj Ly

 

capture d'écran Bac Nord réalisé par Cédric Jimenez
capture d'écran Bac Nord réalisé par Cédric Jimenez

 

Tant pis pour les garçons ?

Restaurer l’égalité des chances de réussite à l’école pour les garçons requiert un préalable essentiel, que cela devienne un sujet de préoccupation des chercheurs, des médias, des politiques et de l’opinion. Or, comme nous l’avons souligné au début de cet article, l’injustice faite aux garçons n’est de nos jours pas un sujet, tant est forte « l’hégémonie culturelle » acquise par les néoféministes seulement soucieuses de promouvoir les filles et les femmes « contre le patriarcat », et ce faisant indifférentes aux garçons et aux hommes. C’est patent dans la recherche, où les chercheurs en sciences humaines (qui sont de plus en plus des femmes) ne peuvent répondre qu’aux questions qu’ils se posent, et celles des causes du plus grand échec des garçons, pas plus que la validation (ou non) à grande échelle des quelques pistes de remédiation qu’elles impliqueraient, ne font l’objet d'aucun questionnement.

Craint-on qu’en s’intéressant au sort des garçons, on néglige celui des filles ? Ce serait à tort car l’enjeu n’est pas à somme nulle, l’échec scolaire des garçons impacte leur relation avec les femmes : pour Stéphane Clergert, « l’échec scolaire touche à l’estime de soi et favorise donc les conduites dépressives et agressives. [...] Les garçons qui se sentent en échec s’accrochent à des stéréotypes archaïques ; ils compensent avec une domination par la force. Cela accentue le machisme », et le risque qu’ils plongent dans la criminalité (96 % des détenus sont des hommes).

 

Inverso Mundus AES+F 2015
Inverso Mundus AES+F 2015

 

AES+F, INVERSO MUNDUS (2015, 1ch Trailer, 16:9, 6'06")

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