frederic worms

Publié le 19 Avril 2022

La peste ou le choléra. Vraiment ?

 

"Le moine au bord de la mer" Caspar David Friedrich (1808-1810) - Alte Nationalgalerie, Berlin
"Le moine au bord de la mer" Caspar David Friedrich (1808-1810) - Alte Nationalgalerie, Berlin

 

« Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils n'ont pas fait naître celles-ci, ils ne le détruisent pas, ils peuvent leur infliger les plus constants démentis sans les affaiblir. »

« Du côté de chez Swan » Marcel Proust, cité dans l’ouvrage collectif « Des économistes répondent aux populistes »

 

Il a un air de déjà vu ce deuxième tour Macron contre Le Pen. Sauf que tout a changé : Macron 28 %, Le Pen 23 %, Mélenchon à 22 %, et loin derrière Zemmour à 7 %. En 2017, Macron était à 24 %, Le Pen à 21 %, Fillon à 20 %, Mélenchon juste derrière et Hamon à 6 %.

Au premier tour, cette année, l’extrême droite totalise 32 % si l’on rajoute les 2 % de Dupont-Aignan, l’extrême gauche 22 %, 25 % si l’on rajoute Roussel, Poutou et Arthaud, tandis que les deux partis traditionnels LR et le PS disparaissent du champ politique.

Si l’on résume, 54 % des votes vont aux candidats populistes, et ce sont avant tout les électeurs de Mélenchon au premier tour et d’éventuels abstentionnistes repentis qui décideront qui, de Le Pen ou Macron, emportera la présidence. Autant dire que ce n’est pas gagné d’avance pour Macron, même si les sondages lui donnent encore une longueur d’avance !

En effet, en 2017, Macron avait récupéré la totalité du vote Hamon et une grande partie du vote Mélenchon. Il y a peu de chance qu’il puisse compter sur le même niveau de soutien, car il a eu depuis l’occasion de se mettre à dos - c’est un euphémisme - les électeurs de gauche.

 

 « Le front républicain », ce barrage qui recule

 

Vingt ans après le 21 avril 2002, le réflexe citoyen de voter pour Emmanuel Macron contre Marine Le Pen et l’extrême droite est de moins en moins fort, à droite comme à gauche.

Si Mélenchon a répété 3 fois « Il ne faut pas donner une seule voix à Marine Le Pen », il s’est bien gardé de dire qu’il était indispensable de la donner à Macron. Si c'est une évidence pour Clémentine Autain, ce n’est pas le cas pour Manuel Bompard, ni pour Alexis Corbière qui « comprend » et « ne blâme pas » les électeurs du candidat de LFI qui s’abstiendront.

La consultation réalisée par Mélenchon à laquelle plus de 215 000 sympathisants ont répondu, n’est pas vraiment rassurante : seuls 33 % voteraient Macron, 37 % choisiraient le vote blanc et 29 % s’abstiendraient. Aussi consternant que cela soit, entre 15 et 30 % des électeurs de Mélenchon pourraient voter Le Pen au second tour.

On pourrait espérer que les musulmans français qui ont voté massivement Mélenchon, votent Macron pour empêcher le RN d’accéder à la magistrature suprême, pourtant rien n’est moins sûr. Qu’en sera-t-il aussi pour les jeunes qui ont aussi majoritairement voté pour le candidat de LFI  ? Comme toujours, ce sont les plus agités, qui sont exprimés en occupant pour peu de temps la Sorbonne afin de protester contre le choix qui leur restait au second tour. Dans les couloirs, avant leur évacuation suite à « des violences inacceptables et à des dégradations importantes », on pouvait lire ces slogans badigeonnés sur les murs : «Ni Macron ni Le Pen», «Le fascisme tue, combattons-le», «Pierre par pierre, nous détruirons Emmanuel Macron» ou encore « Contre les élections ».

De même, s’il y a bien un sujet qui distingue la gauche (extrême) de l’extrême droite, c’est la manière de considérer les étrangers. Bien que la politique migratoire d’Emmanuel Macron puisse être plutôt considérée comme un échec, comment les défenseurs des migrants notamment réfugiés, peuvent-ils penser que choisir entre Macron ou Le Pen, revient à choisir entre « la peste ou le choléra » ?

 

L’abstention, premier parti de France chez les jeunes

 

Reste l’abstention, particulièrement importante chez les jeunes, qui s’est élevée à 26 % pour le premier tour, Macron peut-il compter sur une réserve de voix ? Pour Dominique Reynié, le Directeur général de la Fondation pour l'innovation politique et professeur à Sciences-Po, par rapport au duel de 2017, cela pourrait être "plus difficile" pour Macron car il est cette fois "le représentant du système" face à Marine Le Pen qui a "une sorte de monopole de l'opposition au système". Petite consolation, il pourrait en aller de même pour Le Pen. Sans compter que cette abstention pourrait augmenter : en 2017, elle passe de 22 % à 25 % au 2e tour.


 

M Le magazine du Monde 8 avril 2022- photo Karim Sadli
M Le magazine du Monde 8 avril 2022- photo Karim Sadli

 

« Tout sauf Macron », pourquoi tant de haine ?


 

Ainsi, à gauche, la formule « la peste ou le choléra » de 2017 fait hélas de nouveau florès. La première fois où je l’ai vu revenir, c’est dans un message de mon frère Melvil, qui ne m’avait jamais paru particulièrement à gauche, même si avoir travaillé dans deux laboratoires pharmaceutiques avant de rejoindre la finance, dans un État grand comme un mouchoir de poche, l’avait peut-être convaincu que ces deux secteurs exerçaient sur les affaires publiques un pouvoir excessif. La manière dont la plupart des pays ont géré la crise du Covid durant près de deux années, en particulier en France transformée en « Absurdistan autoritaire », et cette apothéose de passe sanitaire puis vaccinal pour « emmerder les non vaccinés  », avec l’appui constant des médias de référence, ne pouvait que le conforter dans cette opinion, au point qu’il me paraît avoir fait sienne l’idée de « corruption systémique » de J. D. Michel, conduisant inévitablement dans les eaux troubles d’une vision complotiste du monde.

Bref ! A mon grand désarroi, la gestion du Covid par Macron a presque autant fait perdre la raison à mon frère, avec qui j’aimais bien discuter des affaires du monde, qu’à ce prof de lettres qui a basculé depuis longtemps « du côté obscur de la force », et qui appelle à voter Le Pen pour éradiquer « la peste Macron ». Mon frère, au moins, a voté au premier tour Mélenchon en faisant le pari de virer Le Pen au deuxième ; pour autant, pas question pour lui de voter pour « le tyran » (quel mot utiliser alors pour Poutine, lui ai-je demandé ?).

Notre nièce Justine est sur la même longueur d’onde : elle veut faire payer à Macron les souffrances qu’il lui a infligées durant cette pandémie, sauf qu’ayant voté Zemmour (elle est une indécrottable islamophobe que la conversion à l'Islam de sa sœur Rose n'a pas arrangée), je me demande ce qui l’empêcherait de voter Le Pen au 2e tour.

« Que vaut notre rancœur pour un épisode révolu, au regard de la certitude du pire pour notre futur ? » Lui ai-je tout de même dit, sans grand espoir que ça la convainque.

 

 

A l’heure de ces élections capitales, une question me taraude : pourquoi tant de haine ? Pourquoi Emmanuel Macron est-il autant détesté par une bonne partie de la population ?

Dans un quinquennat bousculé par les crises politiques (affaire Benalla), sociales (« gilets jaunes », réforme des retraites), sanitaire (Covid-19) et désormais la guerre en Ukraine, on comprend aisément que le chef de l'Etat sortant ait pu réaliser certaines promesses mais en laisser d’autres sur le bord du chemin, pour autant son bilan ne m’apparaît pas déshonorant.

En faire un « démon néolibéral » est malhonnête intellectuellement, dans un pays où l’on a distribué 17 milliards pour en finir avec l’insurrection des gilets jaunes, puis la somme exorbitante de 140 milliards pour la crise du Covid, mais aussi, pour ne prendre qu’un autre exemple, un pays où un site gouvernemental mesdroitssociaux.gouv permet à chacun de connaître la palanquée de ses droits sociaux actuels et potentiels (l’existence de ce site et le fait que les pouvoirs publics recherchent les personnes qui ne les font pas valoir, furent d’ailleurs un sujet d’étonnement pour les confrères européens de Gabriel).

A cet égard, l’usage du terme néolibéralisme toujours associé à quelque chose de négatif, est, selon Guillaume Bazot, maître de conférence à l'université Paris 8, « un mal très français ». Pour lui, le néolibéralisme n'est pas parfait mais, il est accusé à tort de tous les maux dans notre pays, fournissant le bouc-émissaire bien commode de beaucoup de discours antisystème extrémistes mais aussi écologistes.

Au delà du fait que le prix à payer de la personnalisation du pouvoir qu’implique la Ve République, concentre sur la personne du Président tous les mécontentements du pays, plus que sa politique ou ses idées, c’est davantage ce qu’est Emmanuel Macron, son image, et ses petites phrases qui nourrissent la « détestation ». Je me rappelle d’ailleurs en 2017, avoir dit à ma mère : « pas sûr qu’il gagne, tout lui réussit, il est jeune, d’une intelligence et d’une énergie hors du commun, la majorité des français ne vont pas aimer ça. » 

 

Le RN, on n'a jamais essayé - Dessin Rodolphe Urbs
Le RN, on n'a jamais essayé - Dessin Rodolphe Urbs

 

« Le RN, on n’a jamais essayé »

 

Si vous lisez ou écoutez encore autre chose que des posts sur les réseaux sociaux enfermés dans vos bulles de filtres, vous savez parfaitement pourquoi l’accession de Le Pen à la présidence de notre pays, serait une catastrophe. Alors, est-ce qu’il est raisonnable d’essayer le RN ? Bien sûr vous pouvez essayer, « vous pouvez aussi essayer la sodomie avec un pied de biche, du gravier et de l’harissa. Seulement, pensez bien que ça dure cinq ans ! » Voire bien plus, si l’on considère que Viktor Orban, europhobe et "poutinophile" notoire, qui est le modèle de Le Pen, et qui, en mettant à sa botte médias et justice, est au pouvoir depuis 15 ans.

Plus sérieusement, le philosophe Frédéric Worms, propose à la gauche une raison positive d’essayer d’éviter le pire : "Dans le fait d’éviter le pire, il y a toujours et par principe une affirmation, explique le philosophe. Et même la condition de toute résistance." Éviter le pire, c’est garder un critère positif : le bien, le mal, et le pire. C’est préserver un critère du meilleur. Une boussole. "C’est le choix, conclut Frédéric Worms, qui rend tous les autres possibles".

Pour ceux qui voudraient questionner l’idée que Macron vs Le Pen, c’est « la peste ou le choléra », le magazine Quotidien de Yann Barthez sur TMC, que j’ai découvert grâce à ma belle famille, fait dire de manière très claire et concise ce qu’est le « Lepenisme » puis le « Macronisme ». Enfin, je ne résiste pas à rajouter un sujet sur la politique étrangère que nous conduirait Le Pen. Les Ukrainiens apprécieront.

Diodato - "Che vita meravigliosa", entendue dans "Pour toujours" ("La dea fortuna") de Ferzan Özpetek

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