police

Publié le 6 Juillet 2023

Valenciennes nuit du 30 juin au 1 juillet 2023 Maxpp/Pierre Rouanet
Valenciennes nuit du 30 juin au 1 juillet 2023 Maxpp/Pierre Rouanet

 

Une émeute offre une bonne démonstration de la folie des foules à laquelle je me suis intéressé dans mon précédent billet. Après six jours et nuits d’émeutes, de vandalisme et de pillage dans plus de 220 communes du pays à la suite à de la mort d’un adolescent de 17 ans, conduisant sans permis, tué par un policier pour avoir refusé d’obtempérer, l’heure est au bilan, alors que la situation revient à la normalité.

Un très lourd bilan qui, à certains égards, dépasse celui des émeutes de 2005, qui avaient duré trois semaines. La puissance de la quantification pour appréhender la réalité, que j’essaie, en général en vain, de transmettre à mes élèves, est éloquente : plus de 800 véhicules incendiés, près de 1 100 bâtiments incendiés ou dégradés, dont 269 locaux de la police nationale comme municipale et de la gendarmerie, plus de 2000 établissements vandalisés ou pillés, notamment 250 débits de tabac, 250 agences bancaires, 200 magasins de grande distribution, d'Aldi à Monoprix, de restauration rapide, et nombre de petits commerces de mode, d'articles de sport, sans compter les feux de poubelles…

Plus de 40 000 policiers et gendarmes et plus de 60 000 sapeurs-pompiers ont dû être mobilisés sur ces territoires. Plus de 800 agents de forces de l’ordre ont été blessées, zéro du côté des émeutiers, sinon on l'aurait su, putain de violences policières ! Prés de 3500 jeunes ont été interpellés, dont  60 % inconnus de la police, 3.000 gardes à vue ont été prononcées, avec  570 déferrements devant la justice et 260 comparutions immédiates.

 

Nouvelle nuit d'émeutes partout en France - Reportage #cdanslair 30.06.2023

 

Avec les premières arrestations, on a appris qu’un tiers des émeutiers étaient mineurs, ce qui a conduit naturellement le Président de la république (PR), dès le vendredi 30 juin, à appeler « à la responsabilité des parents ». Selon une note des Renseignements territoriaux du 30/6, s’il n’est pas rare d’avoir affaire à des enfants de 12-13 ans, l’âge médian est de 17 ans, avec trois profils d’émeutiers : des "groupes de jeunes de cité, des éléments de l'ultra-gauche et des personnes en opportunité sur l'événement". Soit dit en passant, la prégnance des familles monoparentales (c’est-à -dire des enfants élevés par une mère), qui représentent près de 40 % des foyers dans les quartiers populaires contre 25 % pour l’ensemble de la France, me laisse penser qu’il aurait été plus efficace d’appeler à la responsabilité des familles et du voisinage. Sans surprise, on a vite appris que l’adolescent était élevé par sa mère. Puis on a découvert sa grand-mère qui, après 5 jours d’émeutes, a lancé un appel au calme. Merci à elle !

Comme j’étais sur le point de déplorer le problème de ces garçons élevés par des femmes seules, ma mère m’a opportunément rappelé leur impuissance avec mon père (avec deux parents donc), face à mon petit frère Pascal, qui à l’âge ingrat n’en faisait qu’à sa tête (à savoir n’importe quoi), défiant en permanence l’autorité, à commencer par celle de ses parents.

Les réactions à la situation confirment de nouveau la justesse des analyses de l’auteur de « l’Archipel français », car ce chaos aurait dû faire contre lui l’unanimité, susciter une « union sacrée » le condamnant fermement, mettre tout le pays derrière les forces de l’ordre et les pouvoirs publics. Même pas, vous êtes en France.

 

« D’un côté une police parfaite qui ne fait jamais d’erreur, de l’autre des victimes indignées qui ne sont que des anges. Entre deux, oubliée, la réalité.[...] »

 

Sacrifiant à l’émotion et à la facilité, les médias qui nous informent, ont répété à l’infini le prénom de l’adolescent tué, comme si tous les auditeurs devaient être « Nahel », tandis se multipliaient les commentaires dénonçant une police violente et raciste et l’abandon par les pouvoirs publics de ces populations, déresponsabilisant de fait les émeutiers, en faisant d’eux des victimes, alors que les forces de l’ordre étaient au même moment aux prises avec les meutes (l’émeute).

Mais bon sang ! Il y a un temps pour commenter les faits et les dénoncer, et un deuxième temps, quand cette folie est finie, pour les analyser et en tirer des leçons.

 

émeutiers à Marseille, le 30 juin 2023. Sipa press
émeutiers à Marseille, le 30 juin 2023. Sipa press

 

Énervé par le traitement médiatique de la situation, je suis allé lire dans une revue de presse du Monde, si la presse étrangère faisait mieux. Sans surprise, les pays à régime politique illibéral et fermement opposés à l’immigration en provenance de pays du Sud, comme la Russie ou la Hongrie, buvaient du petit lait et voyaient dans la situation chaotique que connaissait la France, la justesse de leurs choix et de leurs vues. Côté journaux de nos voisins démocratiques, c’était du même acabit que dans les journaux français (pour la presse américaine la France vivait « un moment Georges Floyd »), seul un éditorial de la Tribune de Genève nous est apparu pertinent : « D’un côté une police parfaite qui ne fait jamais d’erreur, de l’autre des victimes indignées qui ne sont que des anges. Entre deux, oubliée, la réalité. » […] « Dans le débat politique français, ces deux vérités ne sont jamais confrontées, elles s’affrontent stérilement, on est dans un camp ou dans l’autre, il faut choisir. Pauvre débat, triste débat, qui ne fait qu’entretenir la violence, car chacun ne veut voir que celle de l’autre. » Las, le lendemain, l’article avait disparu de la mise à jour de la revue de presse étrangère du site du monde.fr, allez savoir pourquoi ?

 

Comme d’habitude LFI a jeté de l’huile sur le feu : le 2 juillet Mélenchon, le chef des pyromanes, refusait toujours de « condamner fermement les violences et les pillages » et « d’appeler au calme », au motif que « ce sont les pauvres qui s’insurgent »

 

ATHENA de Romain Gavras (2022), avec Dali Benssalah...

 

Tentant bien inutilement de désamorcer ce qui montait, le PR a qualifié, à chaud, la mort de l’adolescent de « crime inexcusable » et « inexplicable », tandis qu’une minute de silence était observée à l’Assemblée en sa mémoire. Nul n’est besoin de dire que ce jeune n’aurait pas dû mourir et qu’il a été victime d’une faute lourde du policier. Un policier ne  dispose-t-il pas d’autres moyens que de tirer à balles réelles à bout portant pour arrêter quelqu’un qui refuse d’obtempérer ? Aérosol incapacitant ? Tazer ? Que sais-je encore ? Reste que le jeune ne méritait pas non plus la minute de silence à l’Assemblée Nationale, comme s’il était « mort pour la France » (Je cite ma mère).

Dans le même temps, Mbappé et un autre joueur de l’équipe de France de foot a regretté « ce petit ange (sic) parti beaucoup trop tôt » à cause du tir fatal d’un policier et le capitaine des Bleus a rajouté avoir « mal à sa France ». Dieu merci, peu de temps après, retour à la raison : « le temps de la violence doit cesser », ont exhortés Mbappé et les Bleus. Merci à eux !

 

« Ce qui me frappe, c’est le décalage entre les analyses que j’entends sur la politique et la réalité du terrain où je vois de la violence et une forme d’opportunisme quand il s’agit d’aller piller un centre commercial. On sous-estime la connerie d’une partie de ces gens ».

 

Il n’en va pas de même à l’extrême gauche, où comme d’habitude LFI a jeté de l’huile sur le feu : le 2 juillet Mélenchon, le chef des pyromanes, refusait toujours de « condamner fermement les violences et les pillages » et « d’appeler au calme », au motif que « ce sont les pauvres qui s’insurgent », et que les policiers et le gouvernement sont responsables de cette situation. On croit rêver… Quand je pense que j’ai hésité un court instant à voter pour le candidat de LFI ! Pour comprendre cette position irresponsable, n’oublions pas que Mélenchon pendant la dernière campagne présidentielle a asséné que la police tuait, ensuite que nombreux sont ceux à LFI, comme dans les groupuscules de « l’ultra gauche », qui rêvent d’une « convergence des luttes (ou des soulèvements) ».

 

1990: Chaos, Carnage & Bloodshed in Poll Tax Riots

 

De leur côté, la droite et l’extrême droite, toutes à leur fonds de commerce d’intransigeance sur les questions d'autorité et d'ordre, ont rivalisé d’appels à la fermeté, réclamant après une nuit d’émeute l’instauration d’un couvre-feu et l’état d’urgence, moyens judicieusement écartées par le PR et le gouvernement. Quant à l’autre pyromane de l’extrême droite, Eric Zemmour, il voit dans les émeutes l’expression de la « guerre ethnique » et « raciale» qu’il ne cesse de prédire.

Ce qui fait dire à un médecin urgentiste, ancien de l’hôpital Avicenne à Bobigny, très critique sur les tentatives de récupération, dans des directions différentes, de l’extrême droite et de l’extrême gauche  : « Ce qui me frappe, c’est le décalage entre les analyses que j’entends sur la politique et la réalité du terrain où je vois de la violence et une forme d’opportunisme quand il s’agit d’aller piller un centre commercial. On sous-estime la connerie d’une partie de ces gens ».

 

"Les cons ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnait" Les tontons flingueurs réalisé par Georges Lautner, dialogues de Michel Audiard

 

Ces convulsions de foules dont la France est coutumière, rappellent aussi combien nous sommes atomisés, combien font défaut des corps intermédiaires représentants de la société. A cet égard, face à ce chaos, j’aurais souhaité que les représentants de l’Islam de France (mais aussi des autres religions pour ne pas ostraciser les musulmans), fassent eux aussi un appel au calme, comme les Bleus puis la grand-mère de l’adolescent tué l’ont fait. Depuis, un article du Monde du 4 juillet indique que quelques imams ont tenté d’intervenir, que d’autres ont préféré rester en retrait, pour ne « pas entrer dans le champ politique » (sic) et, aussi, parce que leur pouvoir serait faible.

Ces émeutes nous rappellent également combien nos démocraties sont fragiles, avec d’un côté la foule qui ose tout, sans risques excessifs surtout s’il s’agit de mineurs, et de l’autre des forces de l’ordre sous l’épée de Damoclès de la bavure policière. Ça m’a d’ailleurs donné l’idée défoulante d’un dessin de presse où Macron appelait Prigojine à Minsk pour lui proposer une « opération militaire spéciale » de maintien de l’ordre par sa milice Wagner (apparemment, aucun dessinateur du web n’a osé). A cet égard, on peut souligner au moins une bonne chose, les émeutiers n’ont pas utilisé les armes à feu qui pulluleraient dans nos banlieues.

 

« Se contenter d’une grille de lecture uniquement générationnelle ("les jeunes") ou sociale ("les pauvres"), c'est passer à côté d’un aspect important du phénomène : les difficultés propres, qui peuvent s'accompagner d'un recours à la violence, d'une partie des jeunes hommes issus des classes populaires et de l'immigration. »

 

Cela pour dire que cette semaine de folie destructrice et de pillage, que se sont offerts les jeunes de cité avec l’appui des petits cons de l’ultra gauche et des « compréhensifs », va faire supporter à l’économie d’un pays dont l’État est surendetté, un coût extravagant, et un effet déplorable sur l’image de ces quartiers et du pays qui n’arrangeront rien à l’affaire. Pour couronner le tout, elle rend plus probable l’accession au pouvoir de l’extrême droite du Rassemblement National, qui a défaut de régler les problèmes, donnera le « La » en matière de discours, dût-il finir par provoquer une situation plus ou moins proche d’une « guerre civile ».

 

émeutes à Bordeaux, le 29 juin 2023 - Philippe Lopez AFP
émeutes à Bordeaux, le 29 juin 2023 - Philippe Lopez AFP

 

En attendant, le temps est maintenant venu de tirer les leçons de cette semaine d’émeutes. Vu le rôle joué par certains réseaux sociaux Telegram, Tik Tok, Snapchat, Twitter, dans l’ampleur qu’ont pu prendre ces exactions, nul doute qu’une réflexion s’engagera pour, en de telles circonstances, essayer de réduire les capacités d’organisation et de communication des émeutiers par ces moyens, en dépit de réels obstacles techniques et juridiques.

Un nième réexamen de la doctrine policière et de l’équipement de la police paraît également s’imposer, sachant que la bavure est un risque inhérent de cette fonction indispensable, tout comme une nième réforme de la « politique de la ville » à laquelle l’État consacre déjà des moyens énormes, même si les marges de manœuvre supplémentaires, au moins budgétaires, apparaissent aujourd’hui limitées. En effet, malgré la baisse du chômage qui profite aussi aux quartiers populaires, le taux de chômage dans les «quartiers prioritaires de la ville » (QPV) demeure plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale.

 

29 juin, à Nanterre afp.com - Alain JOCARD
29 juin, à Nanterre afp.com - Alain JOCARD

 

"Deux claques et au lit" : les Insoumis méritent-ils la fessée ? Vincent Trémolet de Villers sur Europe 1

La chronique de Gaspard Proust sur les émeutes

 

Vu l’âge des émeutiers, on pense bien sûr également à l’éducation de ces jeunes, parentale et nationale. En ce qui concerne l’éducation parentale, on peut craindre que l’injonction d’un préfet « deux claques et au lit », soit un peu courte, ne serait-ce que pour des raisons légales (je parie que la formule va devenir virale sur le Web sous la forme d’un mème Internet) ; concernant l’école, je ne sais si vous avez remarqué que les émeutiers étaient exclusivement des garçons (quelques rares filles ont profité de l’aubaine de pillages), or ces garçons, connaissent un échec scolaire massif : c’était (en toute modestie) le sujet de mon avant-dernier article.

A ce propos, il n’y a pas que les députés de la France Insoumise qui sont avérés définitivement « hors du champ républicain », pour reprendre les termes de la cheffe du gouvernement Élisabeth Borne, chez les écologistes, Sandrine Rousseau ne vaut pas mieux. Thomas Mahler de l’Express n’a pas manqué de lui rentrer dedans sur son terrain de prédilection, en citant largement le récent ouvrage de Richard V. Reeves, Of Boys and Men, dans un article titré « Émeutes : cette "masculinité toxique" que Sandrine Rousseau ne veut pas voir ».

D’ordinaire si prompte à traquer la "masculinité toxique" dans le barbecue ou un "cul-sec" présidentiel, Sandrine Rousseau se montre bien plus indulgente au sujet des émeutes dans les quartiers. La députée écologiste a, sans surprise, préféré fustiger les violences policières. Elle a aussi déclenché une de ces polémiques dont elle a le secret, en suggérant la "pauvreté" comme cause des pillages de magasins. Difficile pourtant de ne pas remarquer la forte disparité de genre dans les violences urbaines qui secouent la France depuis la mort de Nahel : les émeutiers sont, en quasi-totalité, des jeunes hommes. […]

Pour Richard V. Reeves, la gauche se trompe en ne voulant pas voir ces problématiques spécifiques des hommes, notamment ceux des classes populaires ou des minorités ethniques, par crainte de remettre en cause ses discours féministes sur le "patriarcat" comme par peur de stigmatiser des minorités et des pauvres. C'est d'ailleurs là une des grandes limites de l'intersectionnalité : en supposant par exemple qu’une femme noire issue des classes populaires soit triplement discriminée, on rate d’autres inégalités qui concernent les hommes issus des minorités dans des quartiers défavorisés.

Le traitement médiatique de ces émeutes confirme qu’on est encore loin du compte. Se contenter d’une grille de lecture uniquement générationnelle ("les jeunes") ou sociale ("les pauvres"), c'est passer à côté d’un aspect important du phénomène : les difficultés propres, qui peuvent s'accompagner d'un recours à la violence, d'une partie des jeunes hommes issus des classes populaires et de l'immigration.

 

Sayyid El Alami dans le court-métrage "Idiot fish" de Hakim Mao (2021)
Sayyid El Alami dans le court-métrage "Idiot fish" de Hakim Mao (2021)

 

Acid Arab - "Leila Feat" Sofiane Saidi - clip réalisé par Jordan I. Cardoso, coécrit avec Sayyid El Alami qui joue dans le clip

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