Publié le 2 Octobre 2006

 

 

Le bulletin de santé d'Armande

20/8/4

 

Malgré les 1800 kcal par jour qu’on lui envoie par cathéter directement dans le sang et une nourriture meilleure dans sa chambre de « moyen séjour » au fin fond du 14e, elle peine à atteindre les 35 kg. Autrement dit, elle aurait pris un peu moins de 2 kg depuis que l’avion sanitaire l’a ramené d’Athènes.

 

Un bon point, son appareil auditif marche de nouveau, nous avons pu avoir un brin de conversation au téléphone (je n’ai toujours pas réussi à me décider à perdre prés de 2 h dans les transports pour la voir ¼ d’heure).

Un mauvais point : depuis hier, elle a de la fièvre et elle tousse de nouveau. Elle ne sait pas si le traitement qu’on lui donne a anéanti la micro bactérie qu’elle aurait attrapée dans un des hôpitaux où elle a séjourné.

 

D’après Gabriel on aurait commencé à lui administrer une trithérapie. Il lui a été dit qu’il fallait envisager au moins 3 mois de soins. « Tu te rends compte ! » s’est-elle exclamée.

Je peine à réaliser ce que ça représente mais j’essaie de penser à elle chaque fois que cette rentrée en STS me pèse et me déprime.

 

 

 

 

"J'ai la mémoire qui flanche, je m'souviens plus très bien"

J’ai beau creuser, j’ai toutes les peines du monde à faire resurgir dans ma mémoire des souvenirs d’enfance. Une énigme. J’envie Gabriel, qui se rappelle de manière très précise les nombreux épisodes qu’il a vécu au cours de la sienne qu’il dit très heureuse. Maman est comme lui, elle se souvient de son enfance « comme si c’était hier ».

 

Cet été, lorsque mon amnésie – au reste aussi celle de ma sœur – a resurgi dans la conversation, ma mère s’en est dite attristée. « Je crois que votre père et moi avons fait notre possible pour vous offrir une enfance heureuse, quand on voit ce qu’il en reste, c’est pour le moins frustrant. »

 

Je comprenais sa peine et j’en ressentis un peu de culpabilité. Mais je ne pouvais décemment pas lui raconter la plupart de ceux qui me reviennent en mémoire à l’instant où j’écris ces lignes.

 

Vaguement certes, je me rappelle avoir été très intéressé par la morphologie d’un voisin. Je me vois en train de mater en douce ce qui se trouvait sous son short et il me semble même me rappeler l’odeur particulière de mon camarade, un peu douçâtre, légèrement écoeurante mais qui me plaisait (du beurre de son goûter ?). J’avais dû le connaître à l’école, il faisait partie des quelques autres qui venaient à la maison sauter en parachute depuis nos balançoires ou jouer sous ma tente de cheik du désert plantée au milieu de la pelouse que nous avions transformé en paillasson –  une toile de  tissu marron, je crois.

 

J’aperçois aussi une cabane aménagée sous la terrasse de la maison où déjà je faisais un peu de cuisine : dentifrice rose sur fraises du jardin.

 

De manière très nette cette fois-ci, je me vois encore déculotter Rose une copine de ma sœur pour renifler son minou qui sentait un peu le pipi et m’attarder plus longuement sur son trou du cul, beaucoup plus riche en sensations fortes. Je crois même l’avoir léché. Ma soeur était de l’opération et je crois d’ailleurs, une autre fois, m’être levé dévoré de culpabilité après que nous nous soyons tripotés toute la nuit durant.

 

En cherchant bien, il me vient finalement quelques autres traces de souvenir : mon bonheur d’avoir reçu à Noël une tente d’indien dans laquelle je demandais de pouvoir manger, je me revois aussi seul dans le noir du garage de la maison de Challes, suivant des yeux  les lueurs du taxi Mercedes offert par ma marraine…

 

Pour pouvoir rassurer ma mère, peut-être me faut-il encore vieillir. Mireille  qui a 14 ans de plus que moi, nous a récemment entretenu de ses problèmes de sommeil : « chaque fois que je ferme les yeux, remontent en moi des souvenirs de Corse quand j’étais enfant. Douloureux, bien sûr. C’est terrible de traîner encore ces souvenirs à mon âge. (…)»

 

A la réflexion, l’expérience de Mireille  pourrait aussi nous dire que ma sœur et moi avons eu une enfance normale, sans traumatisme, tellement sans inquiétude qu’elle n’a laissé que peu de traces.

 

 

 

Journées interminables pour Armande qui s'ennuie

 

Armande a réintégré une chambre dans le bâtiment des maladies infectieuses à St Antoine. On devait l’opérer de nouveau pour lui poser une autre « prise » sur une veine au-dessus de la clavicule pour la nourrir mais cette fois-ci à gauche car celle qu’on lui a installée ne fonctionne pas. Finalement, la nouvelle opération est repoussée, le chirurgien attend que l’hématome créé par la première opération se résorbe. Si la tête va plutôt bien, Armande a désormais des couches au cul pour faire face aux diarrhées que lui provoque la trithérapie. Comme elle se lasse vite de regarder les photos des magazines qu’on lui apporte et qu’elle n’a pas la tête à suivre les programmes télé, elle s’emmerde à cent sous de l’heure et attend donc comme le Messie qu’on vienne lui rendre visite. Pour arriver à cette fin,  elle tyrannise son entourage qui s’est restreint avec la durée d’hospitalisation, à savoir principalement sa sœur et Pierre Emmanuel. Symptomatique également de son ennui mais aussi sans doute de tentatives de garder prise sur la vie réelle, elle nous a appelé à deux reprises pour voir si on pouvait garder Valentin.

 

 

 

Sous le charme de Jan

 

Gabriel s’est vu proposer d’animer une formation à la transposition de directives européennes à Varsovie, en binôme avec une autre personne qui avait déjà assuré une telle formation. La préparation lui a demandé un énorme travail d’autant que la formation devait être assurée en anglais. Son partenaire qu’il avait rencontré avant de partir s’annonçait charmant et très efficace.

 

« Il a quel âge ? – A peine la trentaine. - Il est mignon ? – Oui très. » Moi, un tantinet inquiet : « D’après toi, il est pédé ? – Non, il parle de sa copine. » Tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes.

 

Gab a appelé le premier soir de formation, manifestement déçu de ne pas me trouver à la maison – je dînais avec Mireille  - et rappelé le jour suivant : Parfaite harmonie au travail avec Jan qui est « vraiment très sympa », stagiaires emballés par leur prestation, temps magnifique et beau décor.

 

Il ne rappellera pas ni le mercredi (c’était plus ou moins prévu), ni le jeudi (j’espérais qu’il le fît ne serait-ce que pour transmettre la commande de clopes de Darek).

 

Le vendredi soir à son retour à Paris, Gabriel rayonnait de la joie de ces cinq journées qu’il venait de passer avec son jeune partenaire. Il était manifeste qu’il revenait sous le charme de ce jeune tchèque élevé en Allemagne qui ne manquait pas de lui manifester lui aussi son plaisir de l’avoir connu. Ayant vécu deux ans en Pologne, le vendredi avant de prendre son avion, Jan P. s’est naturellement fait un plaisir de guider mon homme dans Varsovie. Comme je l’avais supputé, Jan est homosexuel mais Dieu merci a un copain polonais, chanteur lyrique.

 

Tous deux sont venus dîner hier soir. Rien à dire. Impossible de ne pas succomber sous le charme du sourire de ce garçon en particulier, de sa fraîcheur en général. Rétrospectivement, je regrette de ne pas en avoir profité davantage, pris que j’étais par mes obligations de « cuisinière » faisant le service et d’interlocuteur obligé de conversation de son amant puisque Gabriel et Jan avaient tellement de choses à se dire.

 

 

 

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Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #tragique, #les années, #avec un grand A, #les amis

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