Publié le 23 Février 2023

Au stade vélodrome

Au stade vélodrome

Nous avions domestiqué les grands singes qui nous rendaient les services les plus utiles et délicats, et nous avions des machines qui produisaient des biens nécessaires. Mais, au fil du temps, nous avons été pris d'une paresse intellectuelle et physique et, pendant ce temps, ils nous observaient.

La planète des singes de Pierre Boulle (1963), cité par le paléoanthropologue Pascal Picq

 

La première fois que j’ai entendu parler de vasectomie, c’était, sauf erreur de ma part, au lycée, en cours de géographie sur l’Inde où j’avais été choqué d’apprendre la campagne de stérilisation plus ou moins forcée ordonnée par Indira Gandhi en 1975, et orchestrée par son fils, qui a permis de stériliser en deux ans 7 à 8 millions d’hommes.

Récemment, quelle ne fut pas ma stupeur d’entendre sur France Info un sujet faisant l’éloge de la stérilisation des hommes, méthode présentée comme l’avenir de la contraception !

Quelques requêtes sur le web m’ont permis de trouver de nombreux articles du même tonneau, signés principalement par des femmes journalistes, et qui m’ont fait l’effet d’une véritable offensive de propagande (je vous recommande par exemple «La vasectomie : Pas touche à mes bourses ! » signé par Josephine Christiaens, pigiste pour parismatch.be).

La rhétorique est en général la même. Pour commencer, il est annoncé que de plus en plus d’hommes recourent en France à la vasectomie comme moyen de contraception : en fait une vingtaine de mille en 2021 mais avec un taux d’évolution sur les 10 dernières années de nature à frapper les esprits, ce qui ne reste toutefois pas grand-chose, en comparaison avec certains pays, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni ou Canada où au maximum un homme sur 5 ferait désormais ce choix.

 

Un garçon fait de la gymnastique en Inde en 2010. Reuters - Danish Siddiqui
Un garçon fait de la gymnastique en Inde en 2010. Reuters - Danish Siddiqui

 

L’auteure enchaîne ensuite avec un nombre variable d’hommes qui témoignent de leur choix, pris seul ou en couple, parce qu’ils ne voulaient plus d’enfants et qu’ils voulaient prendre leur part de la « charge » de la contraception supportée jusqu’alors par leur épouse (la pilule qui a libéré les femmes semblent de nos jours surtout discutée pour ses risques). Souvent, il est également souligné que depuis quelques années les urologues sont sollicités par des hommes de plus en plus jeunes que leur éco-anxiété conduit à refuser la procréation (rien à foutre de la réforme des retraites et de l’impact de cette décision sur leur financement futur, puisque le monde va s’effondrer). Mais plus l’homme est jeune, plus le risque de regret augmente, c’est pourquoi les praticiens leur conseillent alors de mettre leur sperme au congélateur plutôt qu’essayer de retrouver (avec peu de chances d’y parvenir) leur fertilité perdue par une vasovasostomie.

S’ensuivent ensuite les arguments massues en faveur de ce «moyen contraceptif » : une opération rapide, et même désormais sans bistouri, sans effet aucun sur l’érection et l’éjaculation, rendant possible une contraception pleinement efficace une fois que les bourses se sont débarrassées des derniers spermatozoïdes stockés en amont du canal sectionné, et pour couronner le tout la meilleure marché.

 

Micro trottoir dans le métro de Montréal à propos de la vasectomie (archive radio Canada 1975)

 

Si je comprends parfaitement qu’un homme dans la cinquantaine ayant déjà 4 enfants de deux femmes différentes et une pension de divorce, vive comme un soulagement cet acte chirurgical, je dois aussi reconnaître que je n’ai aucune appétence pour toutes ces atteintes irréversibles à l’intégrité physique que ce soient la circoncision, le tatouage ou la chirurgie esthétique, et dont les raisons ne sont pas purement médicales.

Cependant, un point me gêne énormément dans tous ces articles pro vasectomie : si le risque de « regret » est toujours évoqué, il est remarquable de noter que le mot stérilisation y est soigneusement évité, ce qui permet ainsi de mettre sur un plan d’égalité la stérilisation qu’implique la vasectomie et toutes les autres méthodes de contraception, elles réversibles puisqu’on peut toujours les arrêter et en changer (seule la ligature des trompes qui rend stérile la femme est en fait comparable dans ses conséquences). Cela autorise aussi les rédactrices(eurs) à mettre en avant l’argument d’égalité entre les sexes que permet la vasectomie : l’homme peut ainsi prendre sa part du « fardeau de la contraception ».

 

Martine Franck Piscine conçue par Alain Capeillères Le Busc été 1976
Martine Franck Piscine conçue par Alain Capeillères Le Busc été 1976

 

Puisqu’on a beaucoup parlé ces temps-ci de l’agent conversationnel utilisant « l’intelligence artificielle », ChatGPT, je l’ai testé sur ce sujet. La rapidité et la qualité de ses réponses à mes questions toujours plus précises m’ont épaté (au point que je me demande si je vais montrer l’outil à mes étudiants)… et forcément déçu. Entre autres questions, je lui ai demandé « peut-on dire que la vasectomie est un moyen d'apporter plus d'égalité dans un couple ? » Sa réponse fut la suivante :

La vasectomie peut être considérée comme un moyen d'apporter plus d'égalité dans un couple dans la mesure où elle donne à l'homme la possibilité de partager la responsabilité de la contraception avec sa partenaire. En effet, la plupart des méthodes de contraception sont principalement utilisées par les femmes, et il peut y avoir des pressions sociales et culturelles qui pèsent sur les femmes pour qu'elles assument la responsabilité de la contraception.
En optant pour la vasectomie, l'homme peut prendre une part active dans la planification familiale et partager la responsabilité de la contraception avec sa partenaire. Cela peut aider à réduire les inégalités de genre et à renforcer l'égalité au sein du couple.

Cependant, il est important de souligner que la décision de subir une vasectomie doit être prise de manière éclairée et réfléchie, en prenant en compte les implications à long terme pour la vie de l'homme et de son partenaire. La vasectomie est une décision qui a des conséquences permanentes et doit être considérée comme une option de planification familiale à long terme. Il est important que les partenaires discutent ensemble de la décision de subir une vasectomie et s'assurent que cela correspond à leurs objectifs et à leurs besoins à long terme.
En résumé, la vasectomie peut être considérée comme un moyen d'apporter plus d'égalité dans un couple en partageant la responsabilité de la contraception, mais cela doit être une décision réfléchie et prise en concertation avec le partenaire.

ChatGPT

 

non crédité sur tumblr.com

 

Comme il en faisait une décision de couple, je lui ai ensuite demandé : « La décision de choisir une vasectomie est-elle vraiment une décision à prendre à deux si l'on considère que seul l'homme devient stérile par ce choix ? »

ChatGPT est formel : « Bien que la décision de choisir une vasectomie implique que seul l'homme devienne stérile, il est important que la décision soit prise de manière éclairée et en concertation avec le ou les partenaires concernés. [...] »

J’insiste : « vous argumentez sur le présupposé de la pérennité du couple, mais aujourd'hui un couple sur deux divorce, alors la vasectomie n'est-elle pas une décision qui n'engage que l'homme ? »

ChatGPT semble se rallier à mon point de vue : « En fin de compte, la décision de subir une vasectomie est une décision personnelle qui doit être prise de manière éclairée et réfléchie. Bien que la pérennité du couple ne soit pas garantie, il est important que l'homme prenne en compte les implications à long terme de cette décision, même en cas de séparation ou de divorce, et qu'il soit en mesure de communiquer de manière honnête et transparente avec ses partenaires potentiels. »

Je reviens tout de même à la charge : « Je peux me séparer de la femme pour qui je décide de me faire stériliser par une vasectomie, je peux recommencer ma vie avec une femme plus jeune qui n'a pas d'enfant et qui en veut un, je peux encore perdre l'enfant unique qui me suffisait et qui m'a fait stériliser. Dans ces conditions, choisir la vasectomie n'est-elle pas une décision inconséquente ? »

Après m’avoir donné raison sur ces éventualités, il m’écrit : « cela ne signifie pas nécessairement que la vasectomie est une décision inconséquente. Il est important que l'homme prenne en compte ces possibilités lorsqu'il prend sa décision, mais il est également important qu'il réfléchisse à ses propres priorités et à ce qui est le mieux pour lui à long terme. Si l'homme est sûr qu'il ne veut pas avoir d'enfants biologiques à l'avenir, la vasectomie peut être une option raisonnable pour lui. Cependant, il est important qu'il soit informé des autres options de planification familiale qui peuvent être disponibles pour lui, telles que la congélation de sperme ou l'adoption. »

Enfin, je lui ai aussi demandé : « remplacer une méthode contraceptive qui peut être changée du jour au lendemain par la vasectomie, qui est une méthode contraceptive irréversible, est-ce juste ? » Il m’a fait la réponse suivante  qui, comme pour d’autres, reprenait des phrases déjà utilisées en réponse aux questions précédentes :

Le choix de la méthode contraceptive dépend des préférences et des circonstances de chaque individu et couple. Certaines personnes préfèrent les méthodes contraceptives réversibles, tandis que d'autres préfèrent les méthodes contraceptives permanentes comme la vasectomie. Il n'y a pas de méthode contraceptive "juste" ou "injuste" en soi, car cela dépend de chaque situation individuelle.
Cependant, il est important que toute décision concernant la contraception soit prise de manière éclairée et réfléchie, en prenant en compte les implications à long terme. La vasectomie est une méthode contraceptive permanente qui rend l'homme stérile de manière permanente, et il est important que les hommes qui envisagent cette option soient conscients de cela.

Si l'homme est sûr qu'il ne veut pas avoir d'enfants biologiques à l'avenir, la vasectomie peut être une option raisonnable pour lui. Cependant, il est important que l'homme soit informé des autres options de planification familiale qui peuvent être disponibles pour lui, telles que la congélation de sperme ou l'adoption.
En fin de compte, il appartient à chaque individu ou couple de décider quelle méthode contraceptive est la plus appropriée pour eux. L'important est de prendre une décision éclairée et de prendre en compte les implications à long terme de la méthode contraceptive choisie.

Léonie Pernet - Mon Amour Tu Bois Trop (proposé par Léo)

 

Bref, ChatGPT m’avait prévenu en début de première conversation : « En tant que modèle de langage IA, je n'ai pas de croyances ou d'opinions personnelles. Cependant, je peux vous fournir quelques informations qui pourraient vous aider à prendre une décision éclairée. » En conséquence de quoi, je ne suis pas parvenu à lui faire écrire qu’il n’y a pas équivalence entre une contraception réversible et une stérilisation, seulement, en insistant, à lui faire écrire que c’est davantage une décision de l’homme qu’une décision devant être prise en couple. Enfin, pour lui, sans hésitation, la stérilisation de l’homme est « un moyen d'apporter plus d'égalité dans un couple », ne faisant ainsi que reprendre l’argument contemporain des promoteurs de la vasectomie dont il s’est nourri.

Pourtant, dans un document vidéo québecois de 1970, une urologue qui évoquait la stérilisation par vasectomie, ne disait-elle pas que, conformément à la loi de l’époque, il devait y avoir une raison médicale pour « mutiler quelqu’un », et qu’à la différence des femmes, « il est très difficile de trouver une raison médicale pour stériliser un homme ». O tempora, o mores !

 

Post-scriptum : Ukraine : le “plaidoyer pour des négociations” du philosophe Jürgen Habermas

 

"the tears of another day III", photo de Troy Schooneman
"the tears of another day III", photo de Troy Schooneman

 

 

La contraception masculine, vous connaissez ? - Broute - CANAL+

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