les francais

Publié le 29 Janvier 2023

 

Photo Martin Parr Collection Croisière 2019 de Gucci
Martin Parr Collection Croisière 2019 de Gucci

 

Monsieur le Président,

Je vous fais une lettre que vous lirez peut-être si vous avez le temps.

J’ai 60 ans et j’ai voté en votre faveur à deux reprises, la première plus facilement que la seconde.

Avec votre remise sur le tapis d’une nouvelle réforme des retraites, vous ne nous prenez pas en traître puisque c’était écrit dans votre programme : « élever progressivement l'âge légal de départ à la retraite à 65 ans ».

En effet, un manque de préparation de la réforme, l’agitation sociale, puis la crise du Covid, ayant eu raison de la grande réforme systémique que je souhaitais, elle nous revient dans une version paramétrique, la pire : un âge légal progressivement repoussé de 62 ans à 64 ans et l’accélération de l’allongement de la durée des cotisations voté sous la présidence de François Hollande (43 ans de cotisations en 2035 avancé à 2027 ?).

 

photo Alair gomes Beach triptych 8 - 1980
Alair Gomes Beach triptych 8 - 1980

 

Je ne suis pas à convaincre sur la nécessité de corriger la répartition de revenus entre actifs et inactifs, au regard du rapport inactifs/actifs (actuellement d’un retraité pour 1,7 actifs cotisants), et celle du niveau de vie respectif des retraités et des actifs (aujourd'hui supérieur de 2 % pour les retraités, alors que ces derniers n’ont en général plus les charges des actifs), et de leur évolution. C’est une question essentielle d’efficacité économique et d’équité.

Si l’on veut maintenir le niveau de pension, cette correction passe forcément par un allongement de la période d’activité et de cotisation, et donc par un raccourcissement de la retraite : les retraites actuelles de nos parents et grands-parents qui ont beaucoup moins cotisé que la génération suivante, pour une pension généreuse durant 25 ans en moyenne, resteront une exception historique.

On doit sans doute le déni massif et obstiné de cette réalité par la très grande majorité des Français, les syndicats, et les représentants politique de la Nupes et du RN, à « la profonde inculture économique qui règne dans notre pays », « l’ignorance crasse des principes fondamentaux et des mécanismes de base d’une science scolairement aussi peu valorisée qu’elle est pauvrement enseignée et qui n’inspire à ce titre que mépris et défiance » (Pierre Delhommais dans le Point du 26 janvier 2023, mais voir aussi ce billet).

Même si les partisans de votre réforme ont beau jeu de rappeler que l'âge légal de départ à la retraite est aux alentours de 65 ans chez nos voisins européens, confrontés eux aussi au vieillissement de leur population (mais plus ancien et plus important que nous), je peine à comprendre, après le bordel provoqué par votre première réforme et la haine à votre encontre régnant dans ce pays, que vous n’ayez pas écarté l’idée d’allonger encore le symbolique âge légal (la loi Woerth portée par la droite, et votée en 2010, a porté l’âge légal de 60 ans à 62 ans d’ici 2018). Est-ce une grosse concession aux républicains en contrepartie de leur support ? L’envie d’en découdre après le rejet de votre grande réforme ?

 

Photo de plateau du film "Paradis : amour" réalisé par Ulrich Seidl
"Paradis : amour" réalisé par Ulrich Seidl (2012)

 

Jouer uniquement sur la durée de cotisation permet d’obtenir le même résultat en terme d’âge de départ à la retraite réel, sans la brutalité et l’injustice faite à ceux qui ont travaillé tôt et qui font les métiers très pénibles de notre économie ; en outre ça règle automatiquement la question de ces « carrières longues », et facilite l’aménagement de la durée en fonction de la pénibilité, enfin ça devrait permettre d’augmenter le taux d’activité des seniors : le taux d’emploi n’est que de 75 % dans la classe d’âge 55-59 ans et de 29 % dans celle de 60-64 ans - en hausse notamment suite aux dernières réformes.

Sauf qu’en y regardant de plus près, c’est déjà ce qu’a édicté la réforme Touraine portée par la gauche en 2014, sans laisser beaucoup de nouvelles marges d’allongement, d’où le projet d’accélération. Ainsi, mon frère cadet Jonathan, études supérieures à rallonge et insertion professionnelle difficile au début des années 1990, m’a dit qu’en l’état de la loi actuelle, pour partir à taux plein, pour lui c’est déjà 66 ans. Avec le projet du gouvernement, il aura la liberté de pouvoir partir avant à 64 ans,... mais pas à taux plein. Il se trouve déjà plus que dans les clous de la moyenne européenne, n’est-ce pas ?

 

Comment tu t'es fait ça sur un tapis de course joli coeur ? Non crédité sur Tumblr

 

D’ailleurs, y-a-t-il vraiment le feu au lac ? C’est selon. Le rapport du COR publié en septembre, prévoit avec le scénario le plus optimiste de taux de chômage et de gains de productivité, après deux ans de petits excédents, que le solde creuse son déficit.

 

Prévisions du solde du système de retraite d'ici 2050 avant réforme (rapport du COR sept. 2022)
Prévisions du solde du système de retraite d'ici 2050 avant réforme (rapport du COR sept. 2022)

 

Et si on élargit la focale des finances publiques, la Cour des comptes relève que « avec un déficit public de 6,4 points de PIB en 2021, soit plus du double de celui de 2017, et une dette publique supérieure à 110 points de PIB, la France sort de la crise sanitaire avec une situation des finances publiques parmi les plus dégradées de la zone euro. »  Au moment même, où l’État doit « investir dans l’éducation, la santé, la transition écologique, la réindustrialisation et la défense, pour ne citer que les grandes priorités ».

Or, comme le souligne l’économiste Jean Pisani-Ferry, « si elles ne sont pas nulles, nos marges de manœuvre pour un financement par l’endettement, l’impôt ou le redéploiement des dépenses sont trop étroites pour répondre aux besoins. »

Dans une telle situation, puisque « gouverner c’est prévoir », une réforme des retraites semble s’imposer, mais la vôtre est-elle acceptable sans « bordéliser le pays » ? Il est permis d’en douter, de nouveau la réflexion et la concertation font défaut. Que la CFDT, le syndicat réformiste conduit par le très raisonnable Laurent Berger, qui a longtemps soutenu votre première réforme systémique, ait rejoint les autres forcenés du syndicalisme français, devrait vous interroger. Pour lui, la mesure d’âge doit tomber et « la vraie clé de l’équilibre du système de retraites, c’est l’emploi des seniors. Si on améliore le taux d’emploi de cette catégorie d’âge de dix points, le système cesse d’être déficitaire. »

 

Photo de plateau du film "Youth" réalisé par Paolo Sorrentino (2015)
"Youth" réalisé par Paolo Sorrentino (2015)

 

Quand vous invoquez avec votre gouvernement le sauvetage de notre système de retraite, j’entends désormais que vous cherchez à regagner les marges de manœuvre budgétaires perdues avec le grand n’importe quoi de votre politique sanitaire liberticide et du « quoi qu’il en coûte » qu’elle a requis durant la pandémie de Covid, « la politique la plus généreuse d’Europe », selon votre ministre de l’économie Bruno Lemaire. Et ça, ça ne passe pas, pas plus que vos suppressions d’impôts dont la seule rationalité semble d’avoir été électoraliste (taxe d’habitation, redevance audiovisuelle). En ce qui concerne la suppression de l’impôt sur la fortune pour lui substituer l’impôt sur la fortune immobilière, mesure symbolique qui vous vaut l’étiquette de « président des riches », la logique sous-jacente fait sens, mais puisque l’état des finances publiques est si préoccupant et que les pouvoirs publics doivent investir, comment justifier de ne pas mettre à contribution les riches de ce pays.

 

Minuto MAM | Alair Gomes

 

Enfin, impossible de ne pas aborder ici ce qui constitue un sujet tabou pour l’ensemble de la classe politique et que seuls quelques économistes et une poignée de francs-tireurs appellent de leur vœux (par exemple Maxime Sbahi et Hakim El Karoui) : plutôt que de charger encore la barque des actifs, en premier lieu des jeunes qui supporteront en plus la charge de l’endettement public et de l’imprévoyance climatique, mettre à contribution les retraités en abaissant les pensions.

« Depuis 2000, les retraités ont un niveau de vie supérieur aux actifs, même si la différence s’est réduite depuis peu. Il s’agit d’une exception mondiale. Ou presque, puisque l’Italie partage cette "anomalie" avec la France (NDR avec celle du surendettement public). Par ailleurs, seuls 10% des retraités vivent sous le seuil de pauvreté. Contre 15% de l'ensemble de la population. Ils sont souvent propriétaires et disposent d'une plus forte capacité d'épargne que les actifs. »

Pour y parvenir, les mesures de simple justice ne manquent pas :

  • corriger l’anomalie qui veut qu’aujourd'hui les retraités payent moins de CSG et de CRDS que les actifs (aligner les taux) ;
  • suppression de la niche fiscale de déduction de 10 % pour frais professionnels du calcul de l’impôt sur le revenus des retraités ;
  • faire cotiser les retraités à l'assurance maladie sur leur retraite de base (ils sont naturellement les plus gros consommateurs de soins) ;
  • sous-indexer les retraites.

 

Franjo "Les grèves"

 

Allez Monsieur le président, un tout petit peu de courage politique (dans 4 ans, vous vous retirez de la vie politique) ! On n’est plus en 2018, après le mouvement des gilets jaunes où l’État a failli perdre le contrôle de la situation, des retraités dans la rue, sérieusement, est-ce que ça vous fait peur ?

Retrouvez donc le président disruptif que vous fûtes ! Dîtes aux anciens qu’ils ont contracté une dette à l’égard des jeunes qui sont l'avenir de notre pays : les jeunes ont été empêché de vivre durant deux ans uniquement pour sauver les vieux du Covid.

Rappelez leur enfin que notre système de retraite n’est pas un système d’épargne par capitalisation, qu’ils ont des droits à pension tant qu’il y a suffisamment de grain à moudre : en refusant cet ajustement les retraités portent la responsabilité de « la rupture du pacte social » qu’ils invoquent.

 

 

Benaises (non crédité sur Tumblr)

 

Suprême NTM - Le monde de demain (1991)

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