Publié le 19 Février 2013

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Galatasaray meydanı - photo d'Ara Güler (1950's)

 

Sezen Aksu Gülümse 1991

 

Le roi Midas, aussi immensément riche que vaniteux offrit l’hospitalité au satyre Silène retrouvé ivre dans ses vignes. En l'honneur du père adoptif et précepteur du dieu Dionysos, il ordonna un grand festin qui dura dix jours et dix nuits. Lorsque Dionysos retrouva Silène, il voulut récompenser le roi en lui accordant un vœu. «Je voudrais que tout ce que je touche devienne de l'or » demanda Midas. Son désir d’or s’accomplissait si bien qu’il réalisa qu’il allait ainsi périr de faim et de soif. Midas ne dut sa survie qu’à l’indulgence de Dionysos qui l’envoya se laver dans la rivière Pactole, laquelle depuis charrie des paillettes d’or.

Inutile de préciser que Midas fut pour le reste de sa vie guéri de sa cupidité...

 

Mythologie grecque

 

Consom’action 

 

Ecologie, économie, politique, ce ne sont pas les occasions qui manquent de nos jours au roi Midas de se rappeler à nous. Tiens ! Pour ne prendre qu’un exemple, au train où vont les choses, si on ne réagit pas, un jour viendra où pour acquérir un livre, on n’aura d’autre choix que d’aller sur le site d’Amazon, malgré la loi Lang qui, en établissant notamment le prix unique des livres (depuis étendue au « livre numérique »), a permis le maintien d’une offre pléthorique de livres, tant quantitative que qualitative, d’un réseau unique au monde de librairies, et ce, pour des prix globalement bien moins élevés que dans la plupart des pays qui n’ont pas un tel dispositif et dans lesquels prévaut « la loi du marché ».

 

A cet égard, notre ministre de la culture a-t-elle eu raison de dénoncer « la concurrence déloyale » d’entreprises comme Amazon, alors qu’on lui demandait de commenter le dépôt de bilan de Virgin ?

Amazon, comme n’importe quelle autre multinationale pratique l’optimisation fiscale en faisant « remonter » ses bénéfices au niveau d’une société holding basée dans le pays présentant la fiscalité la plus avantageuse, en général de petits Etats voire des confettis, du genre paradis fiscal comme le Luxembourg ou l’Irlande, passerelles vers d’autres paradis fiscaux encore plus « cools » comme les îles vierges britanniques (j’enrage que lorsqu’on est venu sauver de la faillite le système bancaire irlandais, il n’ait pas été obtenu au forceps un alignement de son taux d’impôt sur les sociétés sur le taux moyen des grands pays).

« Du coup, sur le milliard d'euros estimé de chiffre d'affaires, Amazon ne déclare en France que 25 millions d'euros. », chiffre qui se rapporte aux seules activités réalisées dans l'hexagone, pour l’essentiel celles de ses trois plateformes logistiques.

 

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Plus largement, pour les quatre mastodontes que sont Amazon, Google, iTunes et Facebook, un rapport sénatorial de juillet 2012 évalue le manque à gagner pour le Trésor public à environ un milliard d'euros par an[1]. Même l’OCDE s’est penchée sur le sujet car, au moment même où une partie de l’Europe glisse dans la récession tandis que se multiplient tailles historiques dans les dépenses publiques et augmentations d’impôts tous azimuts, les taux d’imposition ridicules de ces multinationales capables de faire plier les Etats, finissent par être indécents, pour ne pas dire scandaleux.

 

Mais, à cela a priori rien d’indiscutablement illégal, même si Amazon vient de se voir réclamer 200 millions de redressement fiscal par la France pour déclaration à l'étranger de chiffre d'affaires réalisé en France (que le géant américain compte bien contester si nécessaire en justice). Amazon ne fait que profiter d’opportunités fiscales offertes par l’absence d’« Europe fiscale » et de conventions fiscales bilatérales que notre pays et d’autres ont signées !?

Il n’en demeure pas moins que le différentiel important de coûts qu’il en retire constitue bien une distorsion de concurrence.

Par contre, les frais de port systématiquement offerts, revenant souvent à revendre à perte, pratique prohibée, constitue sans équivoque un acte de concurrence déloyale caractérisé, quand bien même un arrêt en Cour de cassation accorde pour l'heure à Amazon le droit de ne rien changer.

 

 

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Entrepôt d'Amazon à Saran (France)

 

Alors ? Comme disait Lénine, « que faire ? » En attendant une hypothétique adaptation des législations à l’explosion du commerce international par Internet, et de toutes aussi hypothétiques révisions de conventions fiscales bilatérales inacceptables, que faire pour éviter qu’un jour le seul choix offert par « le marché », soit celui que veut bien nous proposer un site Internet surpuissant (ou bien deux ou trois autres en situation d’entente commerciale), avec ses quelques plateformes logistiques faiblement pourvoyeuses d’emplois mal payés ?

 

Pas grand chose, si ce n’est de résister à la tentation de passer au livre électronique qui nous enfermera définitivement chez ces géants (comme un paysan l’est avec ses semences OGM Monsanto) et, autant que possible, d’acheter ses livres neufs en librairie, y compris en province souvent plus mal lotie que les grandes villes.

 

_« Avec Amazon, je reçois mon livre le lendemain. C’est vraiment trop pratique »m’a dit ma mère. Sans supplément de prix, Amazon promet pourtant une livraison dans les 3 à 5 jours ouvrés. C’est peu ou prou le délai pour une commande en librairie, jamais plus d’une semaine. La lecture d’un livre est-elle à ce point compulsive qu’on ne puisse attendre une semaine pour le faire ? D’ailleurs, un peu d’attente intensifiera le désir et le plaisir de le lire.

 

 C’est moins cher sur Internet ! » Neuf ? Faux, dans le pire des cas, 5% moins cher. Chaque année, je fais découvrir à mes étudiants que les livres neufs ne sont pas plus chers dans les petites librairies indépendantes que dans la grande distribution ou sur Internet.

Par exemple, le livre dont il va être question, a dû m’être vendu neuf et en poche 9.6 euros TVA incluse, Amazon le propose à 9.12 euros TTC, déduction faite de la remise maximale autorisée par la loi Lang (5%). Mais à la réflexion, mon libraire me rétrocède les 5% avec sa carte de fidélité, autrement dit, j’achète tous mes livres au même prix que sur Amazon.

 

 Le choix ? » On peut toujours commander, même si j’apprécie de faire « un achat d’impulsion » ou solliciter l’avis ou le conseil des libraires, après avoir fureté et feuilleté ; toute chose impossible sur un site Internet.


[1] Précisons que dans l’UE, pour le commerce « de service électronique » sans livraison de marchandise (fichier de musique sur iTunes par exemple), une deuxième optimisation fiscale est également pratiquée sur la TVA au bénéfice des finances publiques de ces mêmes Etats qui offrent les taux les plus bas, puisque le droit européen, stipule que jusqu’en 2015, la TVA est perçue par le pays de résidence du fournisseur (et non par celui du consommateur).

 

 

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Comment la France est devenue moche - Télérama

 

 

 

Istanbul, souvenirs d’une ville 

 

C’est ainsi en furetant dans ma librairie de quartier que j’ai aperçu ce folio titrant Istanbul d’Orhan Pamuk.

Le dernier livre du prix Nobel 2006, Neige, m’était régulièrement tombé des mains, mais comme Mon nom est rouge m’avait plu presqu’autant que j’aime cette ville et la Turquie en général, je m’en emparai pour le jauger...

 

Istanbul. Sa géographie, entre deux mers, ses collines débordantes de constructions plongeant sur le Bosphore toujours animé par un ballet de vapurs, de navires militaires russes, ou de tankers que l’on retrouve en meute immobiles dans une mer de Marmara d’huile, ce détroit qui vous fait passer d’un court trajet de bateau, de l’Europe à l’Asie, l’inoubliable théâtre d’ombres sur les mosquées d’Eminönü au soleil couchant, ses palais de sultans les pieds dans l’eau,... Tout est vrai dans ces images d’Epinal, tout m’a enchanté, même d’être pour la première fois réveillé en pleine nuit par le chant du muezzin de la mosquée voisine.

 

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En hiver, il n’est pas rare que la neige métamorphose la ville en la couvrant de son manteau blanc. De grands photographes stambouliotes en ont fait les plus étonnantes photographies qu’il m’ait été donné de voir d’Istanbul. Accompagnateur d’un groupe d’étudiants, il y a plus de vingt ans, je me souviens m’être promené avec un collègue dans un quartier pauvre de la vieille ville après la neige, comme dans un décor de vieux film muet en noir et blanc. Partout, y flottait l’odeur de fumée de charbon brûlé et de suie échappée de cheminées à même la façade des maisons basses.

 

L’été précédent, au cours d’un périple en Anatolie, je croisai tous les jours des garçons que je trouvais irrésistibles. Qu’ils s’appellent Mehmet ou Hayrettin, ne changeait rien à l’affaire, le plan le plus osé qu’ils me proposèrent (et que j’acceptai avec enthousiasme), fut de m’apprendre à jouer au Backgammon en buvant un thé ou du café.

Quoi qu’il en soit, ils portent sans doute la responsabilité de m’avoir fait succomber au piège orientaliste qui me fit choisir comme pseudo d’un service de messagerie rose sur Minitel que j’ai brièvement fréquenté, une évocation d’Istanbul et de la Turquie, et ce  jusqu’à aujourd’hui puisque j’en traîne toujours une variante pour mes mots de passe Internet.

 

En 2003, alors que nous étions sur le point de retourner pour la 4e fois passer la Toussaint à Napoli, j’ai dit à Gabriel : « Soyons fous ! Changeons ! Filons cette année à Istanbul ! »...

 

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Nuri Bilge Ceylan 2004 et 2006

 

Bref, sur la 4e de couverture du livre de Pamuk, on peut lire :

 

Évocation d'une ville, roman de formation et réflexion sur la mélancolie, Istanbul est tout cela à la fois. Au gré des pages, Orhan Pamuk se remémore ses promenades d'enfant, à pied, en voiture ou en bateau, et nous entraîne à travers ruelles en pente et jardins, sur les rives du Bosphore, devant des villas décrépites, dessinant ainsi le portrait fascinant d'une métropole en déclin.

Ancienne capitale d'un vaste empire, Istanbul se cherche une identité, entre tradition et modernité, religion et laïcité, et les changements qui altèrent son visage n'échappent pas au regard de l'écrivain, fin connaisseur de son histoire, d'autant que ces transformations accompagnent une autre déchirure, bien plus intime et douloureuse, celle provoquée par la lente désagrégation de la famille Pamuk – une famille dont les membres, grands-parents, oncles et tantes, ont tous vécus dans le même immeuble – et par la dérive à la fois financière et affective de ses parents.
Dans cette œuvre foisonnante, magistralement composée et richement illustrée, Orhan Pamuk nous propose de remonter avec lui le temps de son éducation sentimentale et, in fine, de lire le roman de la naissance d'un écrivain.

 

J’étais déjà conquis. Première édition turque en 2003. Orhan Pamuk est né en 1952. C’est donc l’écrivain de 50 ans qui se souvient de sa jeunesse dans cette ville... Ce que j’admire la mémoire autobiographique des écrivains !  Pour Vladimir Nabokov, c’est une question d’imagination : « Il me semble que la personne qui n’a pas beaucoup d’imagination a aussi mauvaise mémoire. L’enfant qui n’imagine rien en jouant dans les corridors d’un château ne se souviendra que très vaguement de ce château. [...]» ...

 

Le livre est chapitré. Lecture de la table des matières. Tout m’intéresse. Lecture de quelques passages, et puis s’en va avec le livre...

 

L’auteur a illustré son Istanbul - souvenirs d’une ville de clichés de photographes d’Istanbul notamment d’Ara Güler, ainsi que de photos de famille prises par des parents ou par lui-même dans sa jeunesse. Pour savourer pleinement ces illustrations, une édition brochée est préférable (22.4 euros prix éditeur).

 

 

Il était une fois en Anatolie de Nuri Bilge Ceylan

 

 

Ekrem Koçu, les poètes du divan et l’homoérotisme ottoman

 

Le chapitre « la collection de savoirs et de curiosités de Reşat Ekrem Koçu : l’Encyclopédie d’Istanbul » recèle même une pépite pour notre boutique. Il y est question du désir homosexuel, d’homoérotisme et de la beauté des garçons.

 

La vie dans un pays sombrant dans la pauvreté, le manque de lecteurs et la ville elle-même n’étaient pas les seules raisons de la tristesse et de la mélancolie d’Ekrem Koçu. Il y en avait une autre, beaucoup plus déterminante : être homosexuel à Istanbul dans la première moitié du XXe siècle.

Il suffit de jeter un œil aux sujets de ses romans populaires, de humer leur atmosphère haute en couleur, lourde de violence et de sexualité, et surtout de feuilleter au hasard l’Encyclopédie d’Istanbul pour se rendre compte qu’en exprimant, en plein dans les années cinquante, ses tendances sexuelles s’écartant de la norme, ses penchants personnels et ses obsessions, Reşat Ekrem Koçu était bien plus audacieux que tous les écrivains d’Istanbul de l’époque. L’Encyclopédie d’Istanbul, depuis les premiers fascicules et de façon croissante au fil des pages, abonde en propos faisant à la moindre occasion l’éloge de la beauté des jeunes hommes et des garçons. [...]

 

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Photos : Nuri Bilge Ceylan

 

Dans ces articles des premiers volumes, comme les poètes du divan louant hardiment la beauté des garçons, Koçu, qui avait fait illustrer par les fidèles artistes de son Encyclopédie chacun de ces héros imaginaires aux pieds nus, s’abrite derrière la légitimité des procédés et des artifices littéraires. Dans l’article « Jouvenceau », il raconte en les enjolivant les relations entre les jeunes gens imberbes intégrés dans le corps d’armée des janissaires et les « costauds aux mains comme des serres » les prenant sous leur aile.

Dans l’article « éphèbe », après avoir expliqué que « la beauté chantée dans la littérature du divan était celle des éphèbes », il entre complaisamment dans les détails de l’histoire de ce mot, qui avait toujours le sens de « jeune homme dans la fleur de l’âge ». [...]

 

La plupart du temps (entre 1950 et 1970), on se retrouvait le soir dans les bureaux de la rédaction de l’Encyclopédie et après de longues discussions, on se rendait tous ensemble dans une taverne du quartier de Sirkeci. Ces célèbres écrivains de l’époque, qui n’accueillaient jamais de femmes parmi eux et vivaient comme les poètes de cour d’Istanbul, dans un monde éminemment masculin, étaient les derniers représentants de la littérature du divan, de la tradition de la conversation et de la culture masculine ottomane. Cette culture masculine traditionnelle qui parlait des femmes comme de créatures imaginaires et désincarnées dans un langage symbolique et codifié, qui ne s’intéressait à l’amour qu’en tant que sujet littéraire et reliait la sexualité à quelque chose d’étrange, de sale, au péché, à la trahison, à l’infidélité, à l’humiliation, à la faiblesse et à la honte - avec un sentiment de culpabilité et de peur -, est perceptible à chaque page de l’Encyclopédie. [...]

 

 

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portrait d'un lutteur 2007

jeunes lutteurs au repos après le match - Edirne 2006

 

 

Cependant, les écrivains ottomans qui ressentaient les mêmes bizarreries et le même amour pour la ville et les beaux adolescents n’éprouvaient nul besoin d’une telle protection. Dans les Şehrengiz, une forme littéraire très répandue aux XVIIe et XVIIIe siècles, les écrivains ottomans - exactement comme le ferait Koçu -, tout en énumérant les caractéristiques d’une ville et en louant ses beautés, réservaient des pages aux plus beaux adolescents (sous le terme d’ « aimés ») de cette cité. Surtout, les vers dédiés aux beaux éphèbes ne se cachaient pas pudiquement derrière les monuments et les particularités de la ville. [...]

 

Istanbul d’Orhan Pamuk 2003

 

 

Quelle place pour les homosexuels dans la société turque ?

Mémoire de séminaire de Waller Mathias Université lumière Lyon 2 / IEP Lyon

 

Blogmediapart / Bahadir une jeunesse gay à Istanbul

 

Télérama / Les avis sont partagés sur Istanbul d'Orhan Pamuk

 

NGT / Hammam

 

NGT / Mélancolivernale

 

 

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IstanbulMike - lutteurs au repos - Edirne 2006

 

 

Brad Davis dans les geôles turques : Midnight express (1978)

pour le souvenir, pas pour la soupe de Giorgio Moroder

 

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Rédigé par Thomas Querqy

Publié dans #touriste, #culture gay, #économie, #livres, #politique, #les années

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